Thomson Corp. rachète Reuters et devient le leader mondial de l’information financière

Créée en octobre 1851 par Paul Julius Reuters pour couvrir la guerre de Crimée, à l’époque où l’information circulait grâce aux pigeons voyageurs, l’agence britannique de presse Reuters a donné progressivement naissance au deuxième groupe d’information financière dans le monde après Bloomberg. Le groupe, coté à la Bourse de Londres en 1984, dispose depuis cette date de statuts spécifiques : aucun actionnaire ne peut détenir plus de 15 % de son capital et une fondation garante de son indépendance, de son impartialité, de son intégrité et de sa liberté, The Reuters Founder Share Company, dispose de droits spécifiques, sorte de Golden Share, qui lui permettent de bloquer toute offre publique d’achat (OPA).

Détrôné de la première place mondiale au début des années 2000 par l’agence américaine Bloomberg, le groupe Reuters recherchait un partenaire stratégique depuis que Tom Glocer, nommé directeur général du groupe en juillet 2001, avait entrepris sa restructuration, réduisant à la fois les effectifs d’un quart et ramenant, en cinq ans, l’offre de produits de 2 000 à 50 afin d’améliorer la visibilité des services du groupe. A cet égard, Tom Glocer, qui devient le nouveau patron de Reuters-Thomson, est en grande partie à l’origine de la fusion des deux groupes. Celle-ci doit générer quelque 370 millions de dollars d’économies à terme. Mais l’essentiel est ailleurs, notamment dans la complémentarité géographique et dans celle de l’offre de métiers.

Le groupe Reuters tire en effet 90 % de ses revenus de la vente de données en temps réel, c’est-à-dire la fourniture d’informations sur le cours des actions, des devises et des matières premières, une activité qui s’adresse principalement aux grandes banques et aux fonds d’investissements. Ses principaux clients se trouvent aux Etats-Unis, mais aussi pour moitié en Europe et en Asie. A l’inverse, Thomson Financial, la division d’information financière du groupe canadien Thomson Corp., renforcée à la suite du rachat en 2006, à l’AFP, de l’agence financière AFX News, s’adresse principalement aux banques d’affaires et aux gestionnaires américains, une activité qui génère 80 % de ses revenus. Elle leur fournit des données sur les obligations à plus long terme. Enfin, Thomson est fortement présent dans la gestion des données historiques et compte près de 20 millions de clients à ses banques de données spécialisées, qu’il s’agisse de médecins, d’avocats ou de financiers. La fusion permet donc à Thomson de se renforcer dans l’information en temps réel, plus haut de gamme, et à Reuters de profiter de l’expérience de Thomson en matière de gestion des données historiques auprès de clients certes moins prestigieux que les grands financiers mondiaux. Sur le plan géographique, la fusion permet à Reuters de se renforcer aux Etats-Unis face à son concurrent Bloomberg et à Thomson de mieux prendre pied en Europe et en Asie.

Enfin, la fusion donne naissance à un géant difficilement contestable : Reuters a réalisé un chiffre d’affaires de 4,7 milliards de dollars en 2006 et Thomson Corp. un chiffre d’affaires de 6,6 milliards de dollars. Le nouveau groupe pèsera donc pour plus de 11,3 milliards de dollars de chiffre d’affaires, dont 59 % réalisés dans le secteur financier et 41 % auprès des autres professionnels (médecine, droit). Il emploiera quelque 50 000 salariés et affichera une capitalisation boursière de 35 milliards de dollars.

La fusion effective reste toutefois conditionnée à l’acceptation des autorités de la concurrence américaine et européenne, une étape supplémentaire à franchir alors que l’accord de Reuters sur l’offre de Thomson Corp. n’était pas évident. Annoncée officiellement le 15 mai 2007 par les deux groupes, la fusion relève en effet du tour de force. Financée à parité en titres et en numéraire pour un montant de 8,8 milliards de livres (13 milliards d’euros), l’acquisition par Thomson Corp. de Reuters remet en question l’interdiction pour un même actionnaire de contrôler plus de 15 % du capital de Reuters. En effet, la nouvelle entité sera détenue à 53%par la famille Thomson à travers sa holding Woodbridge, laquelle détient 70 % des actions de Thomson Corp., le reste étant réparti entre les autres actionnaires de Thomson (23 % du capital) et ceux de Reuters (24 % du capital). Pour monter à 53 % du capital, Woodbridge a dû obtenir l’aval de la fondation de tutelle de Reuters en souscrivant aux Reuters Trust Principles, la charte qui garantit l’indépendance éditoriale de l’agence de presse historique à l’encontre de tout groupe d’intérêts. La chose n’était pas si aisée dans la mesure où The Reuters Founder Share Company avait déjà bloqué un premier projet de rachat en 1987 de la part de News Corp. Mais, à l’inverse de Rupert Murdoch, la famille Thomson n’a pas la réputation d’intervenir dans la ligne éditoriale des titres qu’elle possède, notamment le Globe & Mail de Toronto.

Sources :

  • « Reuters est l’objet d’une offre d’achat », Enguérand Renault, Le Figaro, 5 – 6 mai 2007.
  • « Thomson échafauderait une OPA sur Reuters », Delphine Cluny, La Tribune, 7 mai 2007.
  • « Thomson et Reuters détaillent leur plan de rapprochement », Marina Alcaraz et Nicolas Madelaine, Les Echos, 9 mai 2007.
  • « Projet d’union confirmé pour Thomson et Reuters », Florence Puybareau, La Tribune, 9 mai 2007. – « Thomson Corp. et Reuters finalisent les détails de leur union », Marc Roche, Le Monde, 10 mai 2007.
  • « Thomson – Reuters domine l’information financière », Rémi Godeau, Le Figaro, 16 mai 2007.
  • « Thomson – Reuters : un mariage de géants sous conditions », Isabelle Chaperon, Les Echos, 16 mai 2007.
  • « Reuters se jette dans les bras du groupe Thomson Corporation et de sa famille », Andrea Morawski, La Tribune, 16 mai 2007.
  • « Tom Glocer arrive à ses fins avec le mariage Thomson – Reuters », Andrea Morawski, La Tribune, 18 juin 2007.

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