Publicité en ligne : guerre des nerfs autour de Yahoo !

En proposant de racheter Yahoo! pour 45 milliards de dollars le 1er février 2008, Microsoft a inauguré six mois d’une bataille à plus haut niveau autour du troisième acteur mondial de l’Internet en termes d’audience. Tous les scénarios auront été tentés par Microsoft pour constituer face à Google un nouveau géant capable de rivaliser sur le marché stratégique des moteurs de recherche. Mais c’est Google qui a gagné la mise en convaincant Yahoo! de lui confier la gestion des liens sponsorisés de son moteur de recherche. Google contrôle donc désormais, directement ou indirectement, la quasi-totalité du marché des liens sponsorisés.

En 2007, Google s’impose face à Yahoo! et contraint le groupe à une réorganisation sans précédent

L’année 2007 aura entériné la victoire de Google sur Yahoo!, celle de l’Internet de l’après-2000 sur l’une des icônes de la bulle spéculative de la fin des années 1990. Bien que Yahoo!, avec 136,6 millions de visiteurs uniques en décembre 2007, résiste encore en parts d’audience sur le marché américain face à Google et ses 132,9 millions de visiteurs uniques, le classement mondial des audiences de l’Internet consacre désormais le moteur de recherche. En décembre 2007, Google se prévalait d’une audience mondiale de 588 millions de visiteurs uniques selon ComScore, suivi par Microsoft avec 540 millions de visiteurs uniques et enfin de Yahoo! avec 485 millions de visiteurs uniques. Sur le marché des recherches sur Internet, point de passage obligé de nombreux internautes pour « naviguer », Google est, de par son modèle stratégique, là encore ultra dominant, avec 53,4 % du marché mondial des recherches en 2007, mais presque 100 % dans certains pays, suivi de Yahoo! avec 17,6 % des recherches et de Microsoft avec 6,4 % des recherches.

Sur le marché de la publicité en ligne, Google profite des performances de son moteur de recherche pour dominer le marché de la vente de mots clés, ce qui lui permet de contrôler actuellement 32 % du marché mondial de la publicité en ligne, selon le cabinet eMarketer, contre 17,5 % pour Yahoo!. Cet écart entre les deux géants de l’Internet se double d’une tendance défavorable à Yahoo!, Google augmentant ses parts de marché quand Yahoo! est à la peine. Selon eMarketer, aux Etats-Unis, Yahoo! n’aurait attiré que 16,3 % des dépenses de publicité en 2007, une part de marché en repli de 3 points entre 2004 et 2007, au profit de Google avec 27,4 % de parts de marché en 2007. Et cet écart se mesure également dans les valorisations boursières des deux groupes, Google valant près de sept fois la capitalisation boursière de Yahoo! à fin 2007.

Confronté à la concurrence de Google, Yahoo! tente de réagir. En juin 2007, Jerry Yang, le fondateur de l’entreprise en 1994, a été rappelé à la tête du groupe pour le relancer. Jerry Yang compte imposer Yahoo! comme un portail incontournable sur Internet, point d’entrée sur le réseau pour les internautes – ce que fait Google en tant que moteur de recherche -, mais également plate-forme incontournable de diffusion de publicité pour les annonceurs. Si Yahoo! se positionne actuellement sur l’Internet mobile et développe son savoir-faire sur la publicité ciblée (voir n°6-7 de La revue européenne des médias, printemps-été 2008), les résultats sont encore décevants. Pour l’année 2007, le résultat net du groupe est en baisse de 12,1 %, passant de 751 millions de dollars en 2006 à 660 millions de dollars (446 millions d’euros) en 2007, pour un chiffre d’affaires en hausse de 8 % à 6,9 milliards de dollars. Mais cette hausse est finalement modeste et témoigne des difficultés de Yahoo! dont la croissance du chiffre d’affaires est inférieure à celle du marché de la publicité en ligne, en hausse de 23,9 % en 2007. En conséquence, le 29 janvier 2008, Jerry Yang prenait acte des résultats décevants de son entreprise et annonçait le lancement d’un plan de redressement avec passage en revue des différentes activités et suppression de 7 % des effectifs, soit 1 000 emplois, une mesure que Yahoo! n’avait prise qu’une fois jusqu’alors, au moment de l’explosion de la bulle spéculative autour des valeurs technologiques en 2000.

L’offre de Microsoft sur Yahoo! révèle le désamour de la Silicon Valley à l’égard du géant mondial du logiciel

La faiblesse de Yahoo! et la chute de son cours en Bourse, 50 % de valeur en moins depuis la fin 2005, auront sans doute convaincu l’autre concurrent de Google sur Internet, le groupe Microsoft, de passer à l’offensive pour contrer le moteur de recherche. Le 1er février 2008, Microsoft présentait une offre de rachat de Yahoo! pour 44,6 milliards de dollars (30,1 milliards d’euros), une offre supérieure de 62 % au cours de l’action Yahoo! la veille de l’annonce. Pour l’éditeur de logiciels, qui compte réaliser un quart de son chiffre d’affaires dans la publicité en ligne à l’horizon 2010, ce rapprochement permettrait de faire émerger un rival sérieux face à Google sur le marché de la publicité en ligne, où Microsoft, qui reste un outsider, peut toutefois s’appuyer sur les audiences colossales de ses messageries. Par ailleurs, un rapprochement de Microsoft et de Yahoo! permettrait à Microsoft d’instiller une culture de l’Internet dans ses équipes afin de mieux résister aux tentatives de diversification de Google sur le marché des logiciels en ligne, secteur encore peu développé mais qui menace l’hégémonie mondiale du groupe de Redmond. La confrontation directe entre Microsoft et Google s’est d’ailleurs récemment renforcée, cette fois-ci sur le marché des navigateurs, trusté par Internet Explorer, une domination que Google entend remettre en cause depuis le lancement, le 2 septembre 2008, de son propre navigateur baptisé Chrome.

Si elle a fait couler beaucoup d’encre, l’offre publique d’achat de Microsoft sur Yahoo!, qui a mobilisé tout ce que le monde de la communication et de l’Internet compte de plus puissant, a finalement abouti à une plus grande emprise de Google sur le marché de la publicité en ligne, Yahoo ! ayant préféré se mettre en position de dépendance face à Google plutôt que de céder au géant mondial des logiciels.

L’histoire de l’offre publique d’achat de Microsoft sur Yahoo! éclaire toutefois à elle seule les intérêts des différents géants de l’Internet et les stratégies de leurs dirigeants, alors qu’un mouvement de consolidation du secteur est attendu. Les grandes manœuvres ont en fait commencé après le 11 février 2008, date à laquelle le conseil d’administration de Yahoo! a rejeté l’offre de Microsoft, considérant qu’elle sous- évaluait fortement Yahoo!, sans pour autant opposer un non de principe au rapprochement. Puis vinrent les « chevaliers blancs », ces offres en réponse qui permettent d’envisager d’autres scénarios : un rapprochement de Yahoo! et d’AOL, les numéros 3 et 4 du marché mondial de l’Internet, a d’abord été évoqué, avant que l’éventuel rachat de Yahoo! par News Corp., qui contrôle notamment MySPace, ne focalise l’attention, le tout au conditionnel.

Faute de voir Yahoo! trouver son chevalier blanc, le 5 avril 2008, Steve Ballmer, directeur général de Microsoft, adressait une lettre en forme d’ultimatum au conseil d’administration de Yahoo!, lui donnant trois semaines pour trouver un accord, sans quoi l’éditeur de logiciels menaçait de prendre contact directement avec les actionnaires du portail. Le 7 avril, Jerry Yang opposait un non de principe à l’ultimatum de Microsoft, rappelant que son offre sous-évaluait Yahoo!, un non qui n’est toutefois « pas opposé à une transaction avec Microsoft », mais à un meilleur prix. Ainsi bloquée, Microsoft refusant de relever son offre, la situation a fait émerger de nouvelles initiatives.

Le désamour pour Microsoft conduit Yahoo! à se jeter dans les bras de Google, au risque de déplaire à ses actionnaires

Le 10 avril 2008, outre une nouvelle mention d’un éventuel rapprochement avec AOL, Yahoo! annonçait être parvenu à un accord avec Google qui, pour une phase de test, prendra en charge l’insertion des liens sponsorisés dans les requêtes adressées sur le moteur de recherche de Yahoo!. L’accord est significatif, d’abord parce qu’il révèle l’insuffisance de la régie en ligne de Yahoo!, obligé d’aller chercher l’aide de son concurrent pour optimiser son offre et résister aux pressions exercées par Microsoft. Ensuite, parce qu’il témoigne de l’opposition de principe, voire d’un rejet viscéral de la direction de Yahoo! à l’égard de Microsoft. De son côté, Microsoft organisait le même jour des fuites sur une éventuelle alliance avec News Corp. pour s’emparer de Yahoo!.

Comme dans toute entreprise, ce sont les actionnaires qui, finalement, ont tranché. Lors de la présentation des résultats de Yahoo ! pour le premier trimestre 2008, le 23 avril 2008, les analystes ont apprécié la hausse du bénéfice net, mais ils n’ont pu que constater que la croissance du chiffre d’affaires de Yahoo! était inférieure à celle du marché de la publicité en ligne, autant dire que les perspectives du groupe se détériorent. A l’issue de l’ultimatum de Microsoft fixé au 26 avril, les actionnaires ont donc été déçus quand ils ont appris que, malgré une reprise des négociations entre les deux directions et un relèvement de l’offre de Microsoft de 5 milliards de dollars, la direction de Yahoo! avait encore refusé l’offre d’achat. Le 3 mai 2008, Microsoft annonçait officiellement renoncer à son OPA. Le lendemain, l’action Yahoo! chutait de 15 % et les actionnaires manifestaient ouvertement leur mécontentement.

Dans le même temps, le raider Carl Icahn commençait à racheter les actions Yahoo! Le 15 mai, fort d’une participation de 4,3 % au capital de Yahoo!, Carl Icahn ouvrait la bataille contre Jerry Yang, PDG de Yahoo!, en proposant sa propre liste d’administrateurs et la révocation de l’actuel conseil d’administration à l’occasion de l’assemblée générale prévue au 3 juillet 2008 mais reportée au 1er août. L’objectif, évident, était de renverser la direction pour signer ensuite un accord avec Microsoft sur la base de l’offre initiale qui satisferait tous les actionnaires. Fort de ce rebondissement en sa faveur, Microsoft a alors proposé à Yahoo!, le 18 mai 2008, un accord de coopération dans la publicité en ligne, pour à la fois faciliter le rapprochement des deux groupes et éviter que le test publicitaire entre Yahoo! et Google ne se transforme en partenariat ferme et définitif. Cet accord portait sur un investissement de 8 milliards de dollars dans Yahoo! en contrepartie du rachat par Microsoft pour 1 milliard de dollars du moteur de recherche de Yahoo! La proposition n’a pas convaincu Jerry Yang qui, le 12 juin 2008, confirmait avoir choisi de s’allier à Google deux heures après avoir annoncé la fin de toute négociation avec Microsoft.

L’accord de partenariat, d’une durée de quatre ans, porte sur les Etats-Unis et le Canada, où Google gérera l’insertion des liens sponsorisés dans les pages du moteur de recherche de Yahoo!, ce qui devrait, selon Jerry Yang, rapporter entre 250 et 450 millions de dollars de recettes par an. Pour Yahoo!, l’intérêt de cette alliance reste à démontrer, Google étant son concurrent direct, bien plus que Microsoft. Certains des cadres dirigeants de Yahoo! ont d’ailleurs préféré partir à la suite de l’accord avec Google, qui signifie de fait un recul des ambitions de Yahoo! sur le marché des régies en ligne.

Les dernières tentatives de Microsoft butent sur l’entrée de Carl Icahn au conseil d’administration de Yahoo!

Cherchant à tirer profit du mécontentement des équipes dirigeantes de Yahoo! et de ses actionnaires, Microsoft a multiplié les tentatives de rapprochement avec Yahoo! durant le mois de juillet afin d’être en mesure de proposer un projet convaincant aux actionnaires lors de l’assemblée générale du groupe, le 1er août. Ainsi, le 2 juillet 2008, le Wall Street Journal révélait que Microsoft avait sollicité Time Warner et News Corp. pour un projet de rachat commun de Yahoo !, Microsoft conservant le moteur de recherche et l’activité « liens sponsorisés » quand le portail serait récupéré par son allié, offrant de nombreuses synergies pour un groupe de médias. Mais toutes les velléités de Microsoft à l’égard de Yahoo! se sont effondrées le 21 juillet avec l’annonce surprise d’un accord amiable entre Yahoo! et Carl Icahn : en échange de son entrée au conseil d’administration avec deux autres administrateurs de sa liste, Carl Icahn a accepté de retirer sa motion demandant le remplacement de la totalité du conseil d’administration de Yahoo!. Le 1er août, jour de l’assemblée générale du groupe, fut donc très calme, mais l’entrée de Carl Icahn au conseil d’administration annonce une forte pression sur la direction de Yahoo! et n’exclut pas à terme une scission de la société ou de certaines de ses activités, dont son moteur de recherche.

A court terme, Yahoo! devra répondre de sa stratégie d’alliance avec Google sur les liens sponsorisés. En effet, à eux deux, Google et Yahoo! contrôlent plus de 50 % des recettes publicitaires mondiales en ligne et 75 % des recherches sur Internet, un quasi-monopole qui a conduit le Département américain de la justice (DoJ) à ouvrir une enquête anti-trust sur l’accord entre Google et Yahoo! Les deux groupes ont d’ores et déjà annoncé qu’ils attendraient la décision des autorités avant de mettre en application leur accord. Une décision qui pourrait bien être retardée depuis que l’Association mondiale des journaux (AMJ) a demandé le 15 septembre 2008 aux autorités de concurrence américaine, canadienne et européenne de bloquer l’accord entre Google et Yahoo! du fait de son « impact négatif » sur les recettes des journaux, notamment parce qu’il risque de donner « à Google le pouvoir de fixer et de conserver un niveau de prix élevés sur d’importants segments de la publicité en ligne ». La Commission européenne confirmait le lendemain sa décision d’enquêter sur les conséquences de ce rapprochement pour savoir s’il soulève un problème de concurrence.

Sources :

  • « Yahoo! pourrait supprimer plusieurs centaines de postes pour se relancer », G.C., Les Echos, 23 janvier 2008.
  • « Yahoo! tente de combler l’écart grandissant avec Google », Cécile Ducourtieux, Le Monde, 31 janvier 2008.
  • « Yahoo! distancé par son concurrent Google », V.C., Le Figaro, 31 janvier 2008.
  • « Yahoo! se restructure pour rebondir face à Google », Virginie Robert, Les Echos, 31 janvier 2008.
  • « Pour contrer les ambitions publicitaires de Google, Microsoft lance une offre non sollicitée de 44,6 milliards de dollars sur Yahoo! », La Correspondance de la presse, 4 février 2008.
  • « Yahoo! va rejeter l’offre de Microsoft », La Correspondance de la Presse, 11 février 2008.
  • « Yahoo! fait monter les enchères sans fermer la porte à Microsoft », David Barroux, Les Echos, 12 février 2008.
  • « Yahoo! discute avec AOL pour contrer Microsoft », Pierre-Yves Dugua, Le Figaro, 6 mars 2008.
  • « Fusion avec Microsoft : Steve Ballmer lance un ultimatum à Yahoo! », Laetitia Mailhes, Les Echos, 7 avril 2008.
  • « Yahoo! veut un meilleur prix de Microsoft », Virginie Robert, Les Echos, 8 avril 2008.
  • « Les géants des médias se lancent à leur tour dans la bataille pour Yahoo ! », Cécile Ducourtieux, Le Monde, 11 avril 2008.
  • « Yahoo! signe un partenariat avec Google et pourrait s’allier à AOL, pour résister à la pression de Microsoft », La Correspondance de la Presse, 11 avril 2008.
  • « Yahoo! a peu de chances d’échapper à l’étreinte de Microsoft », Michel Ktitareff et Jean-Christophe Féraud, Les Echos, 24 avril 2008.
  • « Microsoft renonce à une surenchère pour s’offrir Yahoo ! », Eric Chalmet, La Tribune, 5 mai 2008.
  • « Yahoo! sanctionné pour son rejet de Microsoft », Pierre-Yves Dugua, Le Figaro, 6 mai 2008.
  • « Le « raider » Icahn veut le départ des administrateurs de Yahoo ! et pousse à une fusion avec Microsoft », C. Du., Le Monde, 17 mai 2008.
  • « En mal de stratégie sur Internet, Microsoft tend la main à Yahoo ! », Eric Chalmet, La Tribune, 20 mai 2008.
  • « Yahoo! veut rester indépendant et s’appuie sur Google », Yves Mamou, Le Monde, 14 juin 2008.
  • « La stratégie contestée de Jerry Yang provoque l’exode de dirigeants de Yahoo ! », Eric Chalmet, La Tribune, 23 juin 2008.
  • « Microsoft envisage de repartir à l’assaut de Yahoo! », Virginie Robert, Les Echos, 3 juillet 2008.
  • « Yahoo! et Carl Icahn font la paix », AFP, tv5.org, 21 juillet 2008.
  • « La presse ne veut pas de l’alliance Google-Yahoo ! dans la publicité en ligne », N.S., Les Echos, 15 septembre 2008.
  • « Accord Google/Yahoo!: ouverture d’une enquête de l’UE », AFP, tv5.org, 16 septembre 2008.

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