Dépénalisation de la diffamation

Parmi les propositions formulées par la commission présidée par le professeur Serge Guinchard, fin juin 2008, figure celle d’une « dépénalisation de la diffamation ». Elle fut assez largement contestée, au moins dans les colonnes de plusieurs publications. L’idée a été reprise par certains responsables politiques, à la suite de l’émotion suscitée, fin novembre 2008, par les conditions d’exécution du mandat d’amener d’un ancien directeur de la publication de Libération. Annonce a alors été faite du dépôt d’un projet de loi en ce sens.

Il convient de faire état des raisons et des effets de la dépénalisation de la diffamation et, éventuellement, de quelques autres infractions à la loi du 29 juillet 1881, sinon de l’abrogation de cette loi tout entière.

Les raisons de la dépénalisation

Bien des arguments peuvent être avancés en faveur de la dépénalisation de la diffamation. Certains tiennent à la remise en cause des dispositions de fond de la loi de 1881. D’autres à la contestation de ses particularités de procédure auxquelles, parce qu’ils en tirent de très réels avantages, d’aucuns sont très attachés.

Le droit pénal vise à réprimer les atteintes portées à l’ordre social. Le rapport de la commission Guinchard suggère ainsi le maintien de telles mesures à l’égard des « diffamations présentant un caractère discriminant (raciste, sexiste…) ». Mais est-ce le cas des diffamations envers les particuliers ? N’ont- elles pas pour principal, sinon pour seul effet, de causer préjudice aux personnes mises en cause ? Les formulations actuelles de la loi de 1881 n’entraînent-elles pas de très grandes incertitudes, et donc causes d’échec des actions entreprises, s’agissant de la délicate distinction à faire entre diffamations et injures et leurs sous-catégories ?

La dépénalisation de la diffamation et, plus largement, de la loi de 1881, est déjà largement réalisée du fait de la suppression, par la loi du 15 juin 2000, de la quasi-totalité des peines de prison. L’existence de ces dispositions pénales a pour effet d’exclure toute action civile sur le fondement du régime général de responsabilité de l’article 1382 C.civ. Au sein du Conseil de l’Europe, diverses résolutions et recommandations ont récemment été adoptées en faveur de la dépénalisation de la diffamation. Sont ainsi particulièrement visées les peines de prison appliquées dans certains pays.

C’est évidemment moins aux dispositions pénales de la loi de 1881 qu’à ses particularités de procédure (délai de prescription, exigences relatives aux conditions et modalités d’engagement des actions en justice…), que certains se sont attachés. Ils en ti- rent de substantiels avantages. Ces « pièges procéduraux » assurent leur impunité.

Peut-être nécessaires en 1881, ces obstacles de procédure à la possibilité de poursuivre et de sanctionner les auteurs d’abus de la liberté d’expression n’apparaissent-ils plus justifiés aujourd’hui, dans un contexte évidemment très différent. Ils empêchent, à l’évidence, d’assurer un juste équilibre des droits.

Les effets de la dépénalisation

La dépénalisation de la diffamation et, en conséquence, de façon beaucoup plus essentielle, l’abrogation ou, tout au moins, la non-application, à son égard, des particularités de procédure pénale de la loi de 1881, devraient faciliter l’engagement et le succès d’actions civiles en réparation et, en cas d’urgence, d’actions en référé.

Bien plus que constitutifs de désordres sociaux justifiant une répression pénale, la diffamation comme la plupart des abus de la liberté d’expression sont essentiellement causes de préjudice pour les personnes visées. Celles-ci doivent pouvoir en obtenir réparation. N’étant pas enfermée dans une définition légale, incertaine dans son interprétation et son application, de l’abus commis, l’action civile bénéficie ainsi d’une bien plus grande souplesse de l’intervention du juge et d’une plus grande « adaptabilité » à l’évolution des pratiques et des mœurs.

Pour demeurer efficace et dissuasive, la réparation allouée à la victime ne doit pas, contrairement à ce que l’on peut être amené à constater actuellement et quoi qu’en disent certains sans jamais le démontrer, être par trop inférieure à l’avantage tiré de l’abus commis, en recettes de vente et de publicité.

Le recours à la procédure de référé peut, en pareille circonstance, être envisagé. Du fait de la dépénalisation de la diffamation, il ne serait plus gêné par l’obligation de respect du délai (10 jours) de signification des moyens de preuve de la vérité du fait diffamatoire. Au regard du principe de liberté d’expression, des réserves doivent cependant être formulées s’agissant d’un contrôle préalable, même judiciaire. Par l’écho qui lui est donné, une telle action n’a souvent pour effet que d’accroître la publicité faite à tout ce dont la personne mise en cause se plaint.

Compte tenu des déséquilibres qui découlent moins des dispositions pénales que de procédures pénales très particulières de la loi de 1881, qui constituent le principal moyen de défense des personnes pour- suivies pour diffamation, une dépénalisation de cette infraction et, plus largement, de tous les abus de la liberté d’expression, serait assurément justifiée. La seule voie civile paraît suffisante et surtout plus utile et adaptée. On ne saurait cependant recommander de légiférer sous la pression, ou en cédant à l’émotion provoquée par certains évènements de l’actualité.

En réalité, ce qui serait préférable, c’est une plus grande « déjudiciarisation » des relations des médias et du public. Encore faudrait-il, pour cela, que les premiers s’ouvrent davantage aux débats d’idées et soient plus respectueux du droit de réponse. Ils éviteraient ainsi de nombreuses actions en justice. L’instauration de postes de médiateurs et l’adoption de chartes rédactionnelles, rappelant au respect des droits du public, y contribueraient grandement. Que les médias se montrent plus soucieux des personnes mises en cause et du public dans son ensemble.La liberté de la presse, que la loi de 1881 entendait protéger, ne peut lui être garantie que si elle agit de façon responsable. Les médias doivent être responsables pour être libres. Ils ne peuvent être libres que s’ils sont responsables. Pour cela, il n’est cependant nul besoin de responsabilité pénale. Loin d’y porter atteinte, la dépénalisation pourrait y contribuer, dans l’intérêt de tous.

Sources :

  • « La responsabilité des médias. Responsables, coupables, condamnables, punissables ? », E. Derieux, JCP 1999.I.153.
  • « Justice pénale et droit des médias », E. Derieux, Justices, n° 10, avril-juin 1998, pp. 133-149.
  • « Dépénalisation de la diffamation », E. Derieux, Petites affiches, 8 août 2008, pp. 4-6.
  • « Contentieux de presse : les errements de la commission Guinchard », Ch. Bigot, Legipresse, septembre 2008, n° 254.I.109-110.
  • « Faut-il abroger la loi de 1881 ? », E. Derieux, Legipresse, septembre 1998, n° 154.II.93-100.
  • Responsabilité civile et pénale des médias, Litec, E. Dreyer, 2e éd., 2008, 555 p.
  • L’ambition raisonnée d’une justice apaisée, S. Guinchard, La documentation Française, 2008, 342 p.
  • « Vers une dépénalisation de la diffamation et de l’injure », B. de Lamy, JCP G 2008.I.209.
  • « Ne dépénalisons pas la diffamation et l’injure », Ph. Malaurie, JCP G 2008.Actualités.566.

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