Secret des sources des journalistes. Condamnation de la France à raison d’une perquisition au sein d’un journal

CEDH, 12 avril 2012, Martin et autres.

Par un arrêt du 12 avril 2012, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) condamne la France, pour violation du secret des sources d’information des journalistes, à raison d’une perquisition effectuée, en juillet 2006, par un juge d’instruction, au sein du journal Midi Libre, pour tenter de déterminer comment et par qui un rapport provisoire confidentiel de la Chambre régionale des comptes leur avait été transmis.

A l’appréciation des juges français, sur le fondement des dispositions législatives alors en vigueur, s’oppose donc celle du juge européen qui, sans texte explicite en l’occurrence, consacre un tel droit à la protection des sources d’information des journalistes.

Appréciation des juges français

A l’époque des faits (juillet 2006), la protection des sources d’information des journalistes était, sans reconnaissance formelle d’un tel principe, cependant partiellement assurée, en France, sur le fondement de dispositions légales introduites en janvier 1993. Il en était particulièrement ainsi, aux termes de l’article 56-2 du code de procédure pénale (CPP). Il y était notamment posé, sans plus de précision, que « les perquisitions dans les locaux d’une entre- prise de presse ou de communication audiovisuelle ne peuvent être effectuées que par un magistrat qui veille à ce que les investigations conduites ne portent pas atteinte au libre exercice de la profession de journaliste et ne constituent pas un obstacle ou n’entraînent pas un retard injustifiés à la diffusion de l’information ».

Une formulation aussi incertaine ne pouvait donner lieu qu’à des interprétations assez divergentes, notamment entre juges et journalistes. A la suite de la perquisition effectuée au sein du journal par le juge d’instruction, les journalistes en sollicitèrent l’annulation. La Chambre de l’instruction de la Cour d’appel rejeta leur demande. Elle estima que la perquisition était nécessaire à la manifestation de la vérité (l’identification des personnes qui auraient manqué au respect de leur obligation de secret en fournissant un document confidentiel aux journalistes) ; qu’elle avait été limitée dans le temps ; et qu’elle n’avait pas créé d’obstacle ou de retard dans la diffusion de l’information. La Cour de cassation rejeta le pourvoi, estimant que l’ingérence était nécessaire et proportionnée au but légitime poursuivi.

C’est de cette appréciation des juges français que les journalistes, estimant qu’il avait été porté atteinte à leur droit à la protection de leurs sources d’information, saisirent la Cour européenne des droits de l’homme.

Appréciation du juge européen

Avant de se prononcer sur le cas particulier de la perquisition contestée, la CEDH rappelle certains principes qui lui ont précédemment servi pour la consécration d’un tel droit à la protection des sources d’information des journalistes.

La Cour énonce que « la protection des sources journalistiques constitue l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse » ; que « l’absence d’une telle protection pourrait dissuader les sources journalistiques d’aider la presse à informer le public sur des questions d’intérêt général » ; et que, « en conséquence, la presse pourrait être moins à même de jouer son rôle indispensable de « chien de garde » ». Elle ajoute que si la presse « ne doit pas franchir certaines limites, tenant notamment à la protection de la réputation et aux droits d’autrui ainsi qu’à empêcher la divulgation d’informations confidentielles, il lui incombe néanmoins de communiquer, dans le respect de ses devoirs et de ses responsabilités, des informations et des idées sur toutes les questions d’intérêt général ».

Au titre des principes encore, la Cour pose que « la garantie que l’article 10 offre aux journalistes, en ce qui concerne les comptes rendus sur les questions d’intérêt général, est subordonnée à la condition que les intéressés agissent de bonne foi sur la base de faits exacts et fournissent des informations « fiables et précises » dans le respect de la déontologie journalistique ».

Elle ajoute encore que « là où la liberté de la presse est en jeu, les autorités ne disposent que d’une marge d’appréciation restreinte pour juger de l’existence d’un « besoin social impérieux », préalable nécessaire à toute mesure d’investigation portant sur les sources d’information des journalistes ». Faisant application de ces principes, la CEDH considère en l’espèce que, bien que « l’ingérence visait à empêcher la divulgation d’informations confidentielles, à protéger la réputation d’autrui et notamment la présomption d’innocence », le document publié concernait « un sujet d’intérêt général […] que les requérants avaient le droit de faire connaître au public à travers la presse ».

Appréciant le caractère nécessaire de la mesure restrictive de la liberté d’informer, la Cour « se demande si d’autres mesures que la perquisition au siège de la rédaction du journal n’auraient pas pu permettre au juge d’instruction de rechercher s’il y avait eu effectivement violation du secret professionnel » conduisant à la transmission du rapport aux journalistes. Elle estime qu’il n’a pas été « démontré que la balance des intérêts en présence, à savoir, d’une part, la protection des sources et, de l’autre, la répression d’infractions, a été préservée ». De tout cela, la Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 10 Conv EDH consacrant le principe de liberté d’expression.

Depuis la date à laquelle il avait été procédé à la perquisition contestée en cette affaire, le principe du droit à la protection des sources d’information des journalistes a été consacré, en droit français, par la loi du 4 janvier 2010, qui l’a introduit dans la loi du 29 juillet 1881, et qui, pour le conforter, a modifié notamment l’article 56-2 CPP relatif aux perquisitions visant des journalistes (voir REM n°13, p.3). La législation française se rapproche ainsi des exigences de la CEDH.

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