Malgré les difficultés du marché de la musique enregistrée, Universal Music Group rachète EMI

En s’emparant d’EMI, Universal Music Group confirme sa position de leader mondial du marché de la musique, qu’il verrouille en distançant définitivement son concurrent Sony Music. Mais le marché de la musique enregistrée reste menacé : malgré les bons chiffres du numérique, le retour en force des offres payantes est loin de correspondre aux usages des internautes.

Le 1er février 2011, la banque Citigroup est devenue actionnaire à 65 % d’EMI après que le fonds Terra Firma, qui l’avait rachetée en LBO (Leverage Buy Out), eut renoncé à réinvestir dans la major du disque pour faire face aux échéances de sa dette (voir REM n°18-19, p.50). De fait, EMI fut en vente depuis cette date, Citigroup ayant vocation à céder l’entreprise pour récupérer son investissement. Une partie de ce dernier a déjà été remboursée par Terra Firma qui avait déboursé 4,2 milliards de livres pour la major en 2007. En épongeant la dette de la major, passée de 3,4 milliards de livres à 1,2 milliard de livres le 1er février, Citigroup a toutefois accepté de perdre une partie des sommes espérées lors de l’opération de LBO, le désendettement d’EMI étant nécessaire pour trouver un repreneur.

BMG Right Management, Warner Music, mais également Sony Music étaient intéressés par le rachat de tout ou partie des actifs d’EMI, mais c’est finalement Universal Music Group, la première major de la musique, qui l’a emporté le 11 novembre 2011 pour un montant total de 1,2 milliard de livres (1,4 milliard d’euros). Avec cette opération, Universal Music Group, détenu par Vivendi, consolide le marché mondial de la musique en rapprochant les numéros 1 et 3 du secteur, distançant désormais Sony Music, en deuxième position, et Warner Music, qui se retrouve désormais en troisième position. L’opération sera financée en partie par Vivendi qui va recourir à des lignes de crédit, en partie par la cession d’actifs non stratégiques au sein d’Universal Music Group, le montant des cessions étant évalué à 500 millions d’euros. Assurément, ces cessions seront également un moyen de rassurer les autorités de la concurrence américaine et européenne, lesquelles devront autoriser la fusion des deux majors, qui ajoute aux 4,4 milliards d’euros de chiffre d’affaires d’Universal Music Group les 1,8 milliard d’euros de chiffre d’affaires d’EMI.

Les autorités de la concurrence ont, dans le passé, refusé les fusions entre majors afin d’éviter la constitution d’un oligopole sur le marché du disque, qui a connu ses années fastes dans les années 1980 et au début des années 1990, faisant vivre jusqu’à six majors. La situation a désormais changé, avec l’effondrement du marché du disque depuis la fin des années 1990 et le décollage timide et précaire du marché du numérique, qui ne compense pas encore les pertes sur le marché du disque.

Dans son rapport Digital Music Report 2012, l’IFPI (International Federation of the Phonographic Industry) se réjouit par exemple de la montée en puissance du numérique sur le marché de la musique. Ce dernier est estimé à 5,2 milliards de dollars en 2011, en hausse de 8 %, et représente désormais quelque 32 % du marché de la musique, loin devant les médias qui ont, moins sûrement que la musique, pris le virage du numérique. En comparaison, la part du numérique dans le chiffre d’affaires de la presse est de 5 % en 2011, de 4 % pour le livre et de 1 % pour le cinéma.

Il reste que le marché de la musique enregistrée a été divisé par plus de deux en dix ans, sous l’effet du piratage, et que la bouée de sauvetage du numérique est confrontée désormais à un redoutable défi : après le succès du paiement à l’acte, avec le couple iTunes-iPod imaginé en 2003 par Apple, après l’alternative proposée, dès 2007, par les sites de streaming financés par la publicité, comme Deezer et Spotify, les offres légales illimitées, les seules vraiment adaptées aux technologies et aux usages, sont en train de migrer vers le payant. Le coût d’accès au catalogue des majors impose en effet de nouvelles recettes, le financement de la création également (voir REM n°17, p.38), mais le risque est de rabattre de nouveau les internautes vers la gratuité qu’offrent les sites illégaux et de fragiliser le décollage du marché du numérique.

Ainsi, en France, Deezer a été contraint, le 6 juin 2011, à limiter à cinq heures par mois l’écoute de musique pour inciter les 20 millions d’internautes qui plébiscitent son service à migrer vers les offres payantes, c’est-à-dire un abonnement facturé 10 euros par mois pour écouter la musique en illimité. Le site s’enorgueillit de 1,3 million d’abonnés en France en septembre 2011, grâce notamment à son partenariat avec Orange, le groupe de télécommunication étant monté au capital du site de streaming en juillet 2010. Or, sur les 1,3 million d’abonnés, seuls 200 000 payent vraiment pour Deezer, le reste des abonnés (1,1 million) étant amené par Orange, qui met à disposition Deezer dans le forfait mobile de certains de ses abonnés. Paradoxalement, sont comptés comme abonnés les clients d’Orange qui n’activent pas le service. Ils sont nombreux car, selon Denis Lagedaillerie, président du label Believe, seulement 25 % à 35 % des clients d’Orange activent Deezer, un chiffre qui monte à 90 % chez les possesseurs de smartphone. Autant dire que le nombre de personnes manifestant clairement une volonté de payer pour Deezer est très limité : la gratuité continue largement de l’emporter.

Depuis l’été 2010 et le lancement des messages d’avertissement de la Hadopi, le peer to peer a reculé  en France, passant de six millions d’utilisateurs à un peu moins de 4 millions fin 2011, au profit du streaming, légal ou illégal. Cette tendance s’est traduite dès le deuxième trimestre 2011 dans le baromètre REC de l’Institut GFK sur les usages numériques des Français : pour la première fois, une majorité de Français a déclaré opter pour le streaming (51 %) plutôt que le téléchargement (49 %). Mais 61 % des personnes recourant au streaming disent se contenter de l’offre gratuite. Sur l’ensemble des internautes, seuls 11 % des interviewés disent procéder à des paiements pour de la musique, qu’il s’agisse d’achats à l’acte ou d’abonnement. Et cette tendance en faveur du streaming gratuit avec financement publicitaire se traduit dans la popularité des sites de musique : YouTube et DailyMotion, qui diffusent gratuitement des clips en streaming, arrivent devant Deezer et Spotify dont l’offre est plus contraignante.

De ce point de vue, le marché est loin d’être stabilisé, malgré les bons chiffres des abonnements, au point que la fusion d’Universal Music Group et d’EMI semble autant défensive qu’offensive. Elle est offensive en effet en ce qu’elle verrouille le marché, les opportunités de croissance pour Sony Music étant désormais très limitées. Elle est offensive également car elle permet à Universal Music Group de s’emparer de la division gestion de droits d’EMI, un secteur porteur où s’est positionné par exemple BMG Right Management après avoir abandonné ses activités d’édition musicale. Enfin, EMI est la major qui a su magnifier la scène musicale britannique, un atout essentiel à l’heure où le marché de la musique dans son ensemble est tiré, non plus par la musique enregistrée, mais par les concerts et la vente de droits. La fusion est en revanche défensive dans la mesure où elle a pour conséquence de limiter à trois le nombre de majors de la musique, signe que le marché n’a plus les moyens de financer des acteurs en plus grand nombre.

Sources :

  • « Musique : les bons chiffres que cache la chute des ventes de CD », latribune.fr, 22 juin 2011.
  • « La musique plus écoutée en streaming que téléchargée sur le web », lesechos.fr, 16 juillet 2011.
  • « Les ventes de musique numérique dopées par l’accord Deezer- Orange », Jamal Henni, La Tribune, 14 septembre 2011.
  • « Universal Music rachète EMI pour 1,4 milliard d’euros », Enguérand Renault, Le Figaro, 12 novembre 2011.
  • Digital Music Report, IFPI, 32 p, janvier 2012.

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