Le droit à l’information sur les actualités sportives : les divergences entre la CJUE et le CSA

Le mois de janvier 2013 aura été riche en développements sur la question toujours controversée de la diffusion de brefs extraits d’événements sportifs par des diffuseurs qui n’ont pas acquis les droits de retransmission de ces événements.

C’est d’abord la CJUE (Cour de justice de l’Union européenne) qui a rendu le 22 janvier 2013 un arrêt selon lequel « la limitation des frais pour la retransmission de brefs extraits d’événements d’un grand intérêt pour le public, tels que des matchs de football est valide » (Affaire C-283/11 Sky Österreich GmbH/Österreichi- scher Rundfunk, ORF). La Cour a ainsi tranché un litige, qui opposait depuis plus de deux ans la chaîne Sky Austria, filiale de News Corp, au diffuseur public ORF, sur la compensation financière que peut demander le détenteur exclusif de droits sportifs pour la mise à disposition de brefs extraits d’ événements concernés à titre d’information conformément à la directive européenne SMA – Services de médias audiovisuels (directive 2010/13/UE du Parlement européen et du Conseil du 10 mars 2010).

C’est ensuite le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) qui a rendu publique, le 30 janvier 2013, sa délibération du 15 janvier relative aux conditions de diffusion de brefs extraits de compétition sportives et d’événements autres que sportifs d’un grand intérêt pour le public (délibération du 15/01/13 relative aux conditions de diffusion de brefs extraits de compétitions sportives et d’événements autres que sportifs d’un grand intérêt pour le public). Alors que le CSA, comme la Cour, rappelle que le droit de citation de brefs extraits d’événements sportifs trouve sa source dans la directive SMA, article 55 – mais également dans les textes européens et français consacrant la liberté d’expression – qui pose le principe du droit du public à l’information sportive, la décision de la Cour avait de surcroît à répondre à la question en vertu de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (7 décembre 2000).

La limitation des frais pour la retransmission de brefs extraits d’événements d’un grand intérêt pour le public est valide

La question qui se pose était de savoir dans quelle mesure la Charte des droits fondamentaux pouvait s’opposer à ce que la compensation financière, demandée par le titulaire des droits exclusifs de retransmission pour de brefs extraits, soit limitée aux frais techniques. En effet, la directive SMA impose aux détenteurs de droits exclusifs de retransmission d’événements représentant un grand intérêt pour le public, de mettre à disposition des chaînes établies dans l’Union européenne qui en font la demande, de courts extraits pour une diffusion dans des reportages d’actualité sur ces événements. La directive prévoit que la compensation financière liée à cette disposition ne peut dépasser les frais supplémentaires directement occasionnés par la fourniture de cet accès.

Sky Autriche considérait que cette limitation de la compensation qu’elle pouvait facturer, en cas d’espèce à l’ORF, était inéquitable au regard des sommes considérables qu’elle devait dépenser pour acquérir ces droits, et donc constituait une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprise et au droit de propriété. Le Conseil supérieur fédéral de la com- munication autrichien, saisi du litige, a donc sollicité la Cour de justice de l’Union européenne pour savoir si la limitation de la compensation financière imposée par la directive constituait un atteinte justi- fiée à la liberté d’entreprise et aux droits de propriété des titulaires des droits exclusifs.

L’avocat général Yves Bot a rappelé, dans ses conclusions, que la disposition contestée de la directive portait effectivement atteinte à la liberté d’entreprise et au droit de propriété, principes garantis par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, dans la mesure où les titulaires des droits exclusifs ne pouvaient plus décider libre- ment des prix auxquels ils entendaient céder l’accès aux courts extraits d’événements. Mais, selon l’avocat général, cette atteinte restait justifiée dans la mesure où elle était largement atténuée par les nombreuses limites et conditions dont la directive assortit la diffusion de ces brefs extraits.

Ainsi, cette diffusion ne peut intervenir que pour les événements d’un grand intérêt pour le public, dans le cadre de programmes généraux d’actualité, pour une durée maximum de 90 secondes, et avec indication de la source des extraits, c’est-à-dire le nom de l’entreprise qui détient les droits exclusifs sur ces images. C’est ce raisonnement qui a été repris par la Cour de justice qui a considéré « que la Charte des droits fondamentaux ne s’oppose pas à ce que la compensation financière, que le titulaire des droits exclusifs de retransmission peut demander pour de brefs reportages par d’autres chaînes, soit limité aux frais techniques ». Par cette position, la Cour rappelle que le législateur de l’Union a établi un juste équilibre entre, d’une part, le droit de propriété et la liberté d’entreprise des titulaires des droits exclusifs de retransmission et, d’autre part, la liberté de rece- voir des informations et le pluralisme des médias. La limitation contestée de la liberté d’entreprise respecte donc, aux yeux de la Cour de justice, le principe de proportionnalité qui s’impose pour toute limitation portée à un droit fondamental.

Un nouveau cadre pour le droit du public à l’information sportive en France

C’est dans ce contexte que le CSA a publié sa délibération du 15 janvier 2013 relative aux conditions de brefs extraits des événements d’un grand intérêt pour le public, applicable à l’ensemble des chaînes établies en France et leurs services de télévision de rattrapage. Cette délibération est entrée en vigueur le 1er février 2013.

C’est également dans le cadre de la directive SMA que s’inscrit cette délibération qui fait suite à la consultation publique lancée par le CSA en avril 2012. Les dispositions de l’article 55 de la directive ont été intégrées dans diverses dispositions législatives françaises, notamment l’article L-333-7 du code du sport. La loi n° 2012-58 du 1er février 2012 a modifié le 6e alinéa de cet article pour préciser que le CSA fixe les conditions de diffusion des brefs extraits. C’est ainsi que fut lancée la consultation publique du 12 avril 2012. La délibération du CSA, qui en est le résultat, est donc applicable à l’ensemble des services de télévision établis en France et à leurs services de médias audiovisuels, y com- pris les services de télévision de rattrapage.

La délibération rappelle le droit de diffusion de brefs extraits de compétitions sportives ou d’événements autres que sportifs d’un grand intérêt pour le public par les diffuseurs qui ne sont pas titulaires de ces droits, dès lors que deux conditions principales sont réunies : d’une part, la diffusion des extraits après la fin de la première diffusion du programme par le service détenteur des droits, et d’autre part, l’identification du service détenteur des droits des images prélevées pendant au moins 5 secondes. Elle rappelle par ailleurs que la diffusion des extraits doit être effectuée au cours d’une émission d’information, mais, on peut noter qu’à la différence de la directive, cette notion couvre également les magazines sportifs pluridisciplinaires, voire unidisciplinaires, alors que la directive parle de «programmes généraux d’actualité ». D’autres conditions spécifiques relatives à l’utilisation des images visent à éviter la constitution d’émissions qui ne porteraient que, ou principalement, sur la diffusion de brefs extraits organisant ainsi un contournement des droits des détenteurs exclusifs. La durée de diffusion de brefs extraits limitée à 90 secondes par heure d’antenne et par journée de compétition ou par événement s’inscrit dans ce cadre. En ce qui concerne la diffusion en replay, la mise à disposition ne doit pas excéder 7 jours à compter de la première diffusion sur la chaîne dont le service de rattrapage reprend les programmes.

Difficile de dire si cette version finale de la délibération calmera les critiques soulevées par le projet de délibération. On peut néanmoins souligner que le CSA, fort des prorogatives issues de la loi du 1er février 2012, a considéré qu’il pouvait prendre quelques libertés par rapport à la directive, notamment sur cette question fortement controversée – et depuis longtemps – de la nature des émissions au sein desquelles peuvent être diffusés de brefs extraits. A l’heure où la Cour de justice vient de rappeler que toute atteinte au droit de propriété et à la liberté d’entreprise doit être proportionnée à l’objectif au nom duquel cette atteinte est effectuée, on peut se demander si la délibération du CSA du 15 janvier 2013 n’est pas porteuse d’une insécurité juridique qu’elle voulait effacer.

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