Musique : vers un marché unique européen des licences

En se mettant d’accord sur une proposition de directive instaurant la possibilité de licences multi-territoriales pour les œuvres musicales, la Commission européenne et le Parlement font un pas vers la création d’un marché unique européen du droit d’auteur. La directive ne concerne pas les œuvres audiovisuelles et cinématographiques, qui relèvent de la directive Services de médias audiovisuels, et pour lesquelles les enjeux commerciaux sont infiniment plus importants.

La Commission européenne a rendu publique, le 11 juillet 2012, sa proposition de directive sur la gestion collective des droits et sur l’octroi de licences multiterritoriales pour les utilisations des œuvres de musique en ligne. Cette proposition de directive s’inscrit dans la logique européenne de constitution d’un marché unique, notamment pour les droits de propriété intellectuelle. Force est de constater que le marché européen est fragmenté en différents marchés nationaux, en particulier pour le droit d’auteur, ce qui freine le développement de services transnationaux, facilités pourtant par la nature même de l’internet. Ainsi, que ce soit dans la musique ou dans la vidéo en ligne, chaque offre de service doit, pour s’adresser aux consommateurs de l’un des Etats membres, obtenir au préalable des concessions de droits d’auteur auprès de l’organisation nationale de gestion collective, ainsi en France auprès de la SACEM pour les œuvres musicales.

Cette organisation nationale de la gestion des droits a certes des avantages. Elle constitue, par sa complexité, une protection pour les acteurs nationaux, qui seraient sinon plus facilement concurrencés par des acteurs internationalisés. Autant dire qu’elle préserve la diversité culturelle au regard de l’offre, mais elle l’entrave du point de vue de la demande. Cette organisation engendre en revanche des coûts importants, parce qu’elle multiplie les guichets pour pouvoir exploiter une œuvre à l’échelle européenne. C’est d’ailleurs ce sur quoi s’appuie la proposition de directive, qui porte sur la seule exploitation de la musique en ligne. Elle vise à « promouvoir la transparence et améliorer la gouvernance des sociétés de gestion collective » afin, dans un second temps, d’« encourager et faciliter la concession de licences de droits d’auteur multiterritoriales et multirépertoires pour l’utilisation d’œuvres musicales en ligne dans l’Union européenne et l’Espace économique européen ». La proposition de directive n’impose pas des licences multiterritoriales par défaut, mais elle rend possible l’exploitation d’une œuvre grâce à une licence multiterritoriale, ce qui permettra aux prestataires de services de s’adresser à une seule société de gestion collective pour l’ensemble du marché européen, ou au moins pour un ensemble élargi de pays membres. Mais le développement des licences multiterritoriales reste lié aux choix stratégiques des auteurs, pour ceux qui gèrent leurs droits individuellement, et à ceux des sociétés de gestion collective.

A l’évidence, si ces licences multiterritoriales se banalisent, l’activité d’entreprises comme iTunes, Deezer ou Spotify sera facilitée, les œuvres étant dès lors plus facilement exposées à un public élargi. Les licences multiterritoriales favorisent de ce point de vue la diversité culturelle, en même temps qu’elles font émerger un véritable marché européen pour la musique en ligne. Mais l’Europe n’a pas le même niveau d’intégration culturelle que les Etats-Unis et, au regard des habitudes, le marché de la musique en Europe n’existe pas : dans chaque pays se juxtaposent des « tubes » mondialisés et une production musicale nationale à succès. La meilleure exposition à l’échelle européenne des productions nationales inversera peut-être cette tendance. Il reste que l’aboutissement des négociations en Europe, qui se sont achevées le 4 novembre 2013 au Parlement européen, constitue en soi une avancée, l’élaboration d’une position commune européenne sur les problématiques du droit d’auteur étant toujours délicate. D’ailleurs, le projet de directive ne porte que sur la musique en ligne, un secteur déjà fortement internationalisé (3 majors) et ne bénéficiant pas de dispositifs nationaux complexes d’aide à la création comme ce peut être le cas pour la production audiovisuelle et cinématographique, où les enjeux de diversité culturelle, et surtout les enjeux commerciaux, sont bien plus importants.

Sources :

  • « Droit d’auteur : la Commission propose de faciliter l’octroi de licences de droits sur les œuvres musicales dans le marché unique », communiqué de presse, Commission européenne, Bruxelles, 11 juillet 2012.
  • « Musique : l’Europe change ses règles de gestion des droits pour s’adapter à l’ère numérique », Renaud Honoré, Les Echos, 11 juillet 2013.
  • « Gestion collective des droits d’auteur et concession de licences multiterritoriales de droits pour la musique en ligne », communiqué de presse, Conseil de l’Union européenne, Bruxelles, 2 décembre 2013.

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