Editeur ou hébergeur : la responsabilité d’un moteur de recherche

Cass. civ., 1ère, 19 juin 2013, Sté Google Inc. c. Sté Lyonnaise de garantie.
TGI Paris, 17e ch, 23 octobre 2013, B. Lallement c. Sté Google France et autres.

Les « moteurs de recherche » permettent aux internautes, en procédant à une interrogation à partir de mots-clés correspondant à leurs sujets de préoccupation, d’accéder aux références de documents préalablement indexés, parfois en très grand nombre, et, par le lien établi, de les consulter. Pour faciliter, préciser et accélérer l’interrogation, en affinant le tri des éléments les plus pertinents, des suggestions de recherche peuvent être automatiquement formulées et proposées aux utilisateurs. Dans l’arrêt, objet du pourvoi en cassation, préalablement rendu, dans le litige en question, le 14 décembre 2011, par la cour d’appel de Paris, celle-ci décrit cette « fonctionnalité » comme consistant à proposer « aux internautes qui effectuent une recherche, à partir des premières lettres du mot qu’ils ont saisies, un menu déroulant de propositions qui comporte une liste de requêtes possibles, le dispensant d’avoir à taper le libellé complet de leur recherche ». Une telle opération et proposition, lorsque, comme en l’espèce, elle accole, au nom d’une société, le qualificatif d’« escroc », constitutif d’injure (au sens de la loi du 29 juillet 1881 et c’est sans doute ce qui emporte ici la décision), est-elle de nature à engager la responsabilité de l’exploitant du moteur de recherche ? Alors que, illustration d’une jurisprudence encore hésitante, les juges du fond l’avaient retenu comme responsable, la Cour de cassation, par son arrêt du 19 juin 2013, conclut en sens contraire.

Dans l’affaire qui a donné lieu au jugement du TGI de Paris, du 23 octobre 2013, aux interrogations sur le nom de la personne en cause étaient immédiatement accolées, par le même procédé, les suggestions « escroc » ou « secte ».

En application de la directive européenne n° 2000/31/CE du 8 juin 2000, dite « commerce électronique », et de la loi de transposition française n° 2004-575 du 21 juin 2004, dite « pour la confiance dans l’économie numérique » (LCEN), la solution de pareils litiges devrait dépendre de l’exacte appréciation de la fonction assumée par le moteur de recherche. Celui-ci doit-il être considéré comme un prestataire technique, et plus précisément comme un « hébergeur », ou comme un « éditeur » de service ? Dans le premier cas, il doit, sauf conditions particulières, être considéré comme irresponsable ; tandis que, dans le second cas, il doit, au contraire, être tenu pour responsable responsable (voir REM n°6-7, p.4 ; n°9, p.5 et n°18-19, p.7). Ce n’est pourtant pas ainsi que, en cette affaire, a statué la Cour de cassation.

En son article 6.I.2, la loi du 21 juin 2004 décrit les fournisseurs d’hébergement comme les personnes « qui assurent […] pour mise à disposition du public, par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par les destinataires de ces services ». Dans la présente affaire, la Cour de cassation évoque le fait que « la fonctionnalité aboutissant au rapprochement critiqué est le fruit d’un processus purement automatique dans son fonctionnement et aléatoire dans ses résultats, de sorte que l’affichage des mots-clés qui en résulte est exclusif de toute volonté de l’exploitant du moteur de recherche d’émettre les propos en cause ou de leur conférer une signification autonome au-delà de leur simple juxtaposition et de leur seule fonction d’aide à la recherche ».

Dans le jugement du 23 octobre 2013, le tribunal retient notamment que « les exploitants du moteur de recherche Google ont délibérément fait le choix de faire apparaître sur l’écran de l’utilisateur, sans que celui-ci ait formulé la moindre demande, des suggestions de requêtes et de « recherches associées«  » et que, « du fait du caractère automatique du choix des suggestions qui s’affichent sur l’écran de l’internaute, les défendeurs peuvent être suivis lorsqu’ils affirment qu’ils n’ont pas eu l’intention d’afficher sur l’écran de l’utilisateur les expressions incriminées ». Il poursuit cependant que « le caractère automatique de l’apparition des suggestions incriminées n’implique pas qu’elles soient le fruit du hasard puisque […] ces suggestions apparaissent en raison du choix fait par l’exploitant du moteur de recherche de mettre en place cette fonctionnalité » et qu’elles « sont le résultat des algorithmes choisis par cet exploitant ». Il en conclut que « si l’éventuelle responsabilité de l’exploitant ne peut être appréciée en fonction du régime applicable à celui de l’expression de la pensée humaine, cette analyse ne saurait conduire à l’exclusion de toute responsabilité ». Les éditeurs de services, principaux responsables, ne sont pas davantage identifiés, par l’article 6.III.1 de la même loi de juin 2004, que comme étant « les personnes dont l’activité est d’éditer un service de communication au public en ligne », c’est-à-dire qui ont l’initiative et la maîtrise de certains contenus. N’est-ce pas la fonction assumée par le moteur de recherche qui, au-delà du stockage de données et de la création de liens informatiques permettant d’y accéder, qui feraient ainsi de lui un simple hébergeur, suggère, même si c’est de manière automatique et par reprise et synthèse de mots empruntés aux documents répertoriés, des appréciations sur les personnes en cause ?

Si, comme l’avaient fait les juges du fond dans l’affaire sur laquelle statue la Cour de cassation, la qualité d’éditeur est retenue, celui-ci doit être tenu pour responsable des contenus litigieux.

Même la qualification d’hébergeur n’entraîne pas, à coup sûr, l’irresponsabilité du moteur de recherche. Si le principe en est posé par les dispositions des 6.I.2 et 6.I.3 de loi de juin 2004, il n’en est ainsi que s’il n’avait pas effectivement connaissance du caractère illicite des informations stockées et à condition que, dès le moment où il en aurait eu connaissance, il aurait « agi promptement pour retirer ces informations ou en rendre l’accès impossible ». Alerté par la société mise en cause, dans les conditions très rigoureuses de la « notification » déterminées par l’article 6.I.5 de la même loi, l’opérateur du moteur de recherche ne devrait pas pouvoir, au moins à partir de ce moment-là, prétendre ne pas avoir eu « connaissance des faits litigieux ».

L’arrêt de cassation du 19 juin 2013 comportant renvoi devant une autre cour d’appel, l’affaire n’est donc pas close. En cette espèce ou en de semblables affaires telles que celle qui est l’objet du jugement du TGI de Paris, du 23 octobre 2013 ou dans certaines de leurs suites, il pourrait encore être statué différemment.

Sources :

  • « La fonctionnalité « Google Suggest » mise hors de cause », Céline Castets-Renard, Revue Lamy Droit de l’Immatériel, n° 96, p. 67-69, août 2013.
  • « Exclusion de la responsabilité des suggestions d’un moteur de recherche », Emmanuel Derieux, Revue Lamy Droit de l’Immatériel, n° 96, p. 63-66, août 2013.
  • « Google n’est pas responsable des suggestions générées par « Google Suggest » », Olivier Roux, Revue Lamy Droit de l’Immatériel, n° 96, p. 70-74, août 2013.
  • « L’exclusion de la loi du 29 juillet 1881 en matière d’affichage automatique de suggestions via le service « Google Suggest » », François Klein et Matthieu Bourgeois, Legipresse, n° 308, p. 491-496, septembre 2013.
  • « Goggle Suggest et Google Images : remise en cause du critère de l’automaticité des résultats », Matthieu Berguig, Legipresse, n° 312, p.37-44, janvier 2014.

2 Commentaires

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici