Facebook repense son écosystème social

Le rachat d’Instagram et surtout celui de WhatsApp témoignent de la nouvelle stratégie de Facebook. Pour rester le leader de la sociabilité sur le Web, Facebook opte en effet pour une stratégie globale, entourant son réseau social d’une myriade d’applications mobiles dédiées à la diversité des usages sociaux et des utilisateurs.

Après avoir repensé le Web d’un point de vue social, en alternative aux algorithmes de Google, Facebook se retrouve aujourd’hui obligé de faire évoluer sa stratégie. S’il n’abandonne pas l’idée d’un écosystème social qu’il contrôle, le réseau doit se repenser en entreprise globale de l’internet, forte d’une galaxie de services servant à préserver la force de son vaisseau amiral, comme les multiples services de Google le font en préservant les revenus du moteur.

Assurément, Facebook en a les moyens. L’incontestable réussite du réseau social, lancé en 2004, lui permet de compter en 2014 parmi les rares entreprises du Web à disposer d’une valeur en Bourse supérieure à 200 milliards de dollars. Et ce succès en Bourse, Facebook n’ayant été introduit au Nasdaq qu’en mai 2012, n’est pas seulement dû au nombre phénoménal de ses utilisateurs (plus d’un milliard), mais également à la capacité qu’a eue le réseau à opérer sa mue sur mobile. En effet, venu du Web des ordinateurs fixes, comme Google, Facebook est parvenu en moins d’un an, durant l’année 2013, à faire basculer ses utilisateurs dans l’environnement mobile, là où le temps passé sur internet augmente considérablement, tout en monétisant cette conversion, le mobile pesant plus de 50 % du chiffre d’affaires de Facebook depuis la fin 2013. Reste donc à Facebook à ne pas se faire contourner ou dépasser par les autres applications sociales, nées sur mobile et qui, plus récentes, attirent un public d’adolescents qui considère déjà Facebook comme un ancêtre parmi les réseaux sociaux.

Les alternatives à Facebook se multiplient en effet. Il y eut Twitter (2006), dont le succès se limite aux « influenceurs » et qui ne parvient pas à s’imposer dans les usages quotidiens du plus grand nombre. Il y a aussi d’autres réseaux sociaux, tout aussi anciens que Facebook, ainsi que des réseaux spécialisés comme le réseau social LinkedIn (2003). Il reste que les nouveaux concurrents viennent du mobile, proposant des applications plébiscitées et grand public, souvent comme une alternative à Facebook : Instagram en fait partie, qui a popularisé le partage social de photos (2010), et plus récemment Snapchat (2011), sur le même créneau, ou encore l’application vidéo Vine (rachetée par Twitter en 2012 et lancée en 2013), ainsi que la messagerie instantanée WhatsApp (2009) et ses équivalents asiatiques Kakao (2010), Line (2011), ou WeChat (2011). A chaque fois, ces applications ont rencontré le succès parce qu’elles ont été conçues d’abord pour le mobile, parce qu’elles ont proposé ensuite une sociabilité où la publicité des profils est limitée, au point d’être qualifiées parfois de « privées », à tout le moins reposant plus sur les communications interpersonnelles que sur l’échange public de centres d’intérêt.

Face à ces alternatives et à l’évolution des usages sur mobile où les internautes plébiscitent les applications ciblées plutôt que les portails à tout faire, comme le sont Facebook ou encore Google+, le réseau social a donc opté pour une stratégie d’écosystème élargi. Au centre, Facebook, autour duquel gravite une myriade d’applications indépendantes ou reliées directement au réseau, afin de renforcer la fidélisation des utilisateurs et de permettre à Facebook de conserver sa place de leader incontestable de la sociabilité en ligne. En février 2014, Facebook a ainsi lancé Paper, une application mobile qui fédère des articles de presse et permet de réagir aux lnformations ; en juin de la même année, l’application Slingshot, un service de messagerie éphémère ; en juillet, une autre application mobile, Mention, qui permet aux célébrités d’interagir plus facilement avec leur public en identifiant sur d’autres applications, dont Facebook, les commentaires de leurs fans.

Parallèlement aux nouvelles applications lancées, Facebook multiplie les rachats. Après celui de la très populaire application de photos Instagram, rachetée en avril 2012 pour 1 milliard de dollars (voir REM n°26-27, p.39), Facebook a cherché à s’emparer du service de partage éphémère de photos et vidéos Snapchat, à qui il a proposé 3 milliards de dollars en novembre 2013, offre que le fondateur de Snapchat a refusée et qui explique sans aucun doute le lancement de Slingshot sept mois plus tard. La course à la croissance du nombre d’utilisateurs, et surtout au rajeunissement de la base des utilisateurs qu’aurait permis le rachat de Snapchat, a de toute façon pris une tout autre ampleur avec le rachat de WhatsApp, en février 2014, la messagerie mobile forte de près de 500 millions d’utilisateurs, pour la somme phénoménale de 19 milliards de dollars (4 milliards en numéraire, 12 milliards en actions, et 3 milliards à venir dans les quatre ans). Avec WhatsApp, auquel s’ajoutent les 200 millions d’utilisateurs actifs de Facebook Messenger, Facebook devient le leader mondial des messageries mobiles et récupère les contacts téléphoniques du service, sa base étant en forte croissance, à l’inverse du réseau social dont la croissance repose de plus en plus sur la conquête des nouveaux internautes dans les pays en développement. Malgré ce rapprochement, le marché des messageries mobile reste assez concurrentiel puisque la Commission européenne a, le 3 octobre 2014, autorisé sans condition le rachat de WhatsApp par Facebook.

Cette diversification de Facebook en dehors de son réseau social, ici dans l’une des applications mobiles les plus populaires, lui garantit certes un rajeunissement de son audience, voire des synergies entre les nouvelles applications contrôlées et le réseau social, mais surtout une absence de concurrence frontale avec les autres géants du Net. Très chère payée, l’application WhatsApp, désormais dans le giron de Facebook, échappe par exemple à Google qui, s’il s’en était emparé, aurait menacé très sérieusement le réseau social. De réseau social universel, Facebook devient donc une entreprise globale de l’internet, disposant d’une galaxie de marques et d’un navire amiral, Facebook.com, vers lequel seront in fine rapatriés tous les nouveaux usages. C’est sous cet angle qu’il faut analyser le rachat, en mars 2014, de l’entreprise Oculus VR pour 2 milliards de dollars. Cette start-up a créé un casque de réalité virtuelle, qui plonge notamment l’utilisateur de jeux vidéo dans un univers immersif, dénué donc des contraintes qu’impose le terminal et son écran, y compris le smartphone, toujours à distance de l’utilisateur. Si le lien avec le réseau social n’est pas évident, Oculus VR produisant d’abord du matériel, il atteste que Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook, anticipe déjà une évolution de son réseau social. Dans le communiqué annonçant le rachat, Mark Zuckerberg annonce se « projeter vers les prochaines plates-formes, celles qui permettront de nouvelles expériences, plus personnelles, plus utiles et plus amusantes ». Ce sont ces nouvelles expériences qui permettront, demain, de fidéliser les nouveaux utilisateurs et de garantir les revenus de Facebook, dont le succès initial a reposé sur les jeux sociaux, lesquels généraient encore, via les commissions prélevées, 9 % de son chiffre d’affaires au moment du rachat d’Oculus VR.

Sources :

  • « Comment Facebook compte garder une longueur d’avance », Nicolas Rauline, Les Echos, 11 décembre 2013.
  • « Pourquoi Facebook a cassé sa tirelire pour s’offrir WhatsApp », Nicolas Rauline, Les Echos, 21 février 2014.
  • « La folle ascension de WhatsApp, l’application qui vaut 19 milliards », Benjamin Ferran, Le Figaro, 21 février 2014.
  • « Après les smartphones, Facebook investit dans la réalité virtuelle », L.R., Le Figaro, 27 mars 2014.
  • « Facebook se positionne sur la réalité virtuelle et imagine l’après-mobile », Nicolas Rauline, Les Echos, 27 mars 2014.
  • « Facebook lance une application destinée aux célébrités », L.R., Le Figaro, 19 juillet 2014.
  • « Facebook cherche à se réinventer sur mobile », Lucie Ronfaut, Le Figaro, 25 juillet 2014.

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