Le numérique, une chance pour la culture

Le 2 décembre 2014 s’est déroulé à Paris, au Palais de Tokyo, le Forum dit de Tokyo, organisé par l’Association française des éditeurs de logiciels et solutions internet (AFDEL) et par le think tank Renaissance Numérique. Le forum a réuni créateurs, éditeurs, producteurs, distributeurs, entrepreneurs de la culture et du numérique, usagers, experts et grands décideurs politiques et économiques, afin de présenter « les usages, les outils à l’origine de la création de valeur, les chiffres du secteur, et leur vision du futur de nos industries créatives et des politiques culturelles ». Ce fut aussi l’occasion pour les organisateurs de remettre à Axelle Lemaire, secrétaire d’Etat au numérique, leur livre blanc co-rédigé « Le numérique, une chance pour la culture ».

Ce livre blanc a pour objet de « mieux comprendre comment le numérique crée de la valeur en offrant une nouvelle couche de services inédits aux publics pour l’accès aux œuvres et de nouvelles possibilités de création et de diffusion aux artistes », mais également d’évaluer les opportunités en matière de démocratisation de l’accès et de diversité culturelle au regard du numérique.

Rédigée par Renaissance Numérique, la première partie du rapport s’attache à décrire la mutation et l’explosion des usages culturels à travers sept questions sur la transition numérique de la culture face à son public. Le numérique accomplit-il enfin la promesse d’une culture éternelle ? Sans contraintes géographiques, l’art accomplit-il son rêve d’universalité ? La création dans le continuum numérique : la fin du genre artistique ? Être fan aujourd’hui : de la passion à l’action ? Quelle est la place de l’artiste dans un paysage culturel révolutionné par les usages numériques ? Quand le partage est loi : opportunité ou danger pour la culture ? Le numérique est-il un atout pour la découverte culturelle ? Sont ensuite présentées cinq mesures « non clivantes et à coût zéro pour l’Etat » :

  1. Mettre gratuitement à disposition sur l’URL www.france.art les reproductions photographiques haute définition de l’ensemble des œuvres présentes dans les musées publics, accompagnées de contenus pédagogiques.
  2. Mettre gratuitement en ligne toutes les œuvres du patrimoine culturel de la France tombées dans le domaine public, en fournissant des fichiers téléchargeables sur une plate-forme centrale.
  3. Remettre l’intérêt du public au centre des discussions sur le droit d’auteur et les droits voisins pour permettre aux musées français, à l’instar des musées étrangers, de présenter leur collection sur leur site web.
  4. Harmoniser le prix du livre au format numérique pour qu’il soit moins élevé que celui de la version papier, ce qui n’est pas toujours le cas aujourd’hui.
  5. Accélérer le financement de projets culturels innovants par la présence de représentants des acteurs du numérique dans les nombreux fonds pour l’innovation dans le domaine culturel.

L’AFDEL, dans une seconde partie, évalue l’impact du numérique sur les chaînes de valeurs actuelles des marchés du livre, de la musique et de l’audiovisuel, et met en lumière pour chacun d’eux les mutations à l’œuvre.

Le marché du livre, très concentré en France, est caractérisé, depuis le début des années 2000, par une intégration verticale de l’édition et de la distribution, menée par les grands groupes d’éditeurs. La chaîne de valeur du livre rassemblant l’auteur, l’éditeur, l’imprimeur, le distributeur, le vendeur et le client final est remise en cause par le numérique, faisant fi des coûts d’impression pour le format électronique (e-book) et surtout des coûts de distribution/diffusion, dorénavant opérée via le réseau internet. Les acteurs traditionnels du livre doivent également composer avec les librairies en ligne et les market places comme Amazon ou la Fnac. Le rapport n’hésite pas à critiquer la politique de certains éditeurs qui assument ne pas vouloir développer l’e-book en pratiquant des prix plus élevés, afin de ne pas cannibaliser la vente des livres imprimés. Le rapport souligne en outre qu’il est de plus en plus fréquent pour un auteur de s’autoéditer et de vendre son œuvre via une market place qui lui reversera 70 % du prix de vente et non 5 ou 10 %.

Sur le marché de la musique, le rapport présente le numérique à la fois comme un nouveau défi technologique, mais également comme une réponse à « l’essoufflement d’un système hérité des années 1980, qui a démontré de trop nombreuses imperfections (quotas, rémunération des auteurs, copie privée…) ». Citant l’exemple de la radio, le rapport rappelle qu’un peu moins de 2 % des titres français programmés en radio ont occupé près de 70 % des diffusions et que, en termes de rémunération des créateurs, le système, caractérisé par la concentration de l’investissement et de la production, profite surtout à un petit nombre d’artistes à succès, puisque moins de 10 % des auteurs-compositeurs touchent suffisamment de droits d’auteur pour vivre de leur art. Le numérique permet ainsi aux artistes et aux auteurs d’utiliser de nouveaux canaux de distribution et de diffusion de leur musique, ainsi qu’à leurs clients d’acheter des titres dématérialisés ou encore de les écouter en streaming, ce qui entérine le passage d’un marché de la musique basé sur la possession à celui basé sur l’usage.

Les bouleversements sur le marché de l’audiovisuel ne sont pas en reste : « le passage d’un système fermé, où le contenu était rare, contrôlé et diffusé très largement à tout le public (broadcast) à un système ouvert, non contrôlé, au contenu très abondant et à la diffusion individualisé (unicast) est la transformation majeure de ces dernières années ». A tous les niveaux de la chaîne de valeur traditionnelle de l’audiovisuel, de nouveaux moyens d’accès et de nouveaux supports sont en train de renouveler en profondeur non seulement le fonctionnement de l’industrie audiovisuelle, mais également son financement : vidéo à la demande, consommation délinéarisée sur les nouveaux terminaux portables, nouvelles chaînes accessibles sur le web, nouvelles sources de financement participative s’appuyant directement sur le public.

Le numérique, une chance pour la culture, Pierre Balas, Camille Vaziaga – Renaissance numérique et Loïc Rivière (livre), Diane Dufoix & Agathe Bounfour (musique), AFDEL (audiovisuel) – AFDEL & Renaissance Numérique, 2 décembre 2014

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