Numericable-SFR rachète à Vivendi ses 20 % dans SFR et s’implante aux Etats-Unis

Effective depuis novembre 2014, la prise de contrôle de SFR par Numericable est totale depuis février 2015, Numericable ayant racheté à Vivendi les 20 % du capital encore détenus dans SFR. Et la politique d’achats d’Altice, maison mère de Numericable, se poursuit : en mai 2015, Altice est entrée sur le marché américain avec le rachat de Suddenlink. Elle devra faire face à un nouveau géant, Charter Communications, la filiale de Liberty s’emparant de TWC après l’échec du rachat par Comcast.

Alors que la fusion entre Numericable et SFR est effective depuis le 27 novembre 2014, le nouveau groupe n’aura mis que quatre mois pour neutraliser deux des cinq remèdes que l’Autorité de la concurrence avait imposés en autorisant le rachat de SFR (voir La REM n°33, p.31).

Parmi ces remèdes, l’obligation de vendre les activités d’Outremer Telecom (OTM) à la Réunion et à Mayotte était prioritaire, d’abord parce que le relèvement surprenant des tarifs d’OTM avait conduit l’Autorité de la concurrence à s’interroger sur la stratégie de Numericable-SFR, qui fragilisait clairement la filiale en vente, au point de remettre en cause l’autorisation de rachat de SFR ; ensuite, parce qu’une cession rapide conduite par Numericable-SFR était le meilleur moyen de valoriser au mieux OTM. Début mars 2015, Altice (maison mère de Numericable-SFR) confirmait la cession d’OTM à l’ex-opérateur historique de Madagascar, le groupe Telma, le montant de la cession étant estimé à 70 millions d’euros. Concrètement, la vente à Telma permet à Numericable-SFR de limiter la concurrence venant d’Océinde, présent dans le téléphone fixe à la Réunion et candidat au rachat d’OTM, ce qui lui aurait permis de constituer rapidement une alternative intégrée face à Numericable-SFR.

Enfin, un second remède n’a plus lieu d’être, à savoir empêcher l’échange possible d’informations entre Vivendi et Numericable-SFR sur la stratégie de Numericable-SFR dans la vidéo, des administrateurs de Vivendi siégeant au conseil de Numericable-SFR tant que Vivendi conserve 20 % du capital. Certes, cette participation résiduelle de Vivendi dans Numericable-SFR a toujours été présentée comme provisoire, Vivendi devant céder sa participation en trois étapes (7 %, puis 7 % , et 6 % du capital) à partir de 2016 (voir La REM n°30-31, p.68). Dès février 2015, trois mois après le rachat de SFR, Patrick Drahi, à la tête de Numericable-SFR, proposait à Vivendi 3,9 milliards d’euros supplémentaires pour lui racheter les 20 % de capital que le groupe détenait encore dans l’opérateur mobile. Cette offre à 40 euros par action sous-valorise l’action SFR, le cours étant à cette date supérieure à 50 euros, mais « mieux disante » par rapport à la valorisation proposée lors du rachat des 60 % de capital de SFR, à 33 euros par action. Le 27 février 2015, Vivendi acceptait l’offre et s’engageait donc vers une sortie rapide du capital de SFR.

Paradoxalement, ce sont pourtant les relations entre Vivendi et Numericable qui menacent encore le rachat de SFR par Numericable. L’annonce du lancement, le 18 novembre 2015, d’une box TV Fibre par SFR, deux semaines avant le rachat effectif de SFR par Numericable et à peine un mois après l’accord donné par l’Autorité de la concurrence (le 27 octobre 2014) était en soi surprenante. SFR prenait une initiative commerciale majeure quinze jours avant d’avoir à sa tête une nouvelle équipe. Or la box TV Fibre par SFR est commercialisée en réalité comme une box TV Fibre SFR by Numericable pour le service de télévision. Cette intégration d’un service de Numericable au cœur d’une offre de SFR, annoncée un mois seulement après l’autorisation de rachat, pourrait indiquer que SFR et Numericable se sont concertés au sujet de la stratégie commerciale du nouvel ensemble avant d’y être autorisés. Or, cette pratique est interdite par le droit de la concurrence, ce qui a conduit l’Autorité de la concurrence à saisir, le 2 avril 2015, plusieurs ordinateurs du groupe Numericable-SFR, afin de « déterminer si Numericable a opéré SFR avant même que l’Autorité de la concurrence ne lui donne l’autorisation de le racheter », Numericable-SFR risquant dans ce cas une amende pouvant aller jusqu’à 5 % de son chiffre d’affaires annuel, soit environ un demi-milliard de pénalités.

Enfin, les ambitions d’Altice, la maison mère de Numericable-SFR, demeurent intactes en matière de rachat d’opérateurs de télécommunications. Le groupe a levé près de 30 milliards d’euros de dette pour s’emparer en un an d’Orange Dominicana (novembre 2013), de SFR et de Virgin Mobile en France, ainsi que de Portugal Telecom (novembre 2014). Concernant Portugal Telecom, la Commission européenne a autorisé sous condition le rachat fin avril 2014, Altice devant revendre ses autres filiales portugaises, Cabovisao et ONI. Autant dire que la dette et l’obligation d’organiser les nouvelles activités rachetées semblaient conduire Altice à se concentrer sur les marchés où le groupe est déjà présent. Mais la volonté d’équilibrer le chiffre d’affaires entre l’Europe et l’Amérique du Nord – où Altice n’est présent que dans les Caraïbes – aura conduit le groupe à annoncer, le 20 mai 2015, le rachat de 70 % du septième câblo-opérateur américain, Suddenlink, pour quelque 6,7 milliards de dollars, ce qui valorise l’ensemble à 9 milliards de dollars. En entrant sur le marché américain, Altice s’impose comme l’un des acteurs mondiaux de la consolidation des télécommunications, le marché américain se caractérisant, d’abord, par l’intégration câble-TV, et non par le développement des offres quadruple play. Or, ce type d’intégration est celui justement maîtrisé par Numericable, constitué en câblo-opérateur unique en France par une succession de rachats, et positionné comme un spécialiste de la TV par câble. C’est ce modèle de consolidation qu’Altice compte déployer également aux Etats-Unis, le groupe n’excluant pas le rachat du géant Time Warner Cable (TWC). En effet, ce dernier est fragilisé. Après avoir fait l’objet d’un accord de rachat par Comcast pour 69 milliards de dollars en février 2014 (voir La REM n°30-31, p.65), Comcast a finalement renoncé à l’opération, fin avril 2015, à la suite des difficultés rencontrées avec les autorités américaines de la concurrence. Le rachat de TWC par Altice pourrait ainsi faire émerger une alternative américaine à Comcast, et propulser Altice parmi les géants mondiaux des télécoms, Altice étant valorisée en Bourse près de 32 milliards d’euros en mai 2015, contre 41,5 milliards d’euros pour TWC.

Mais TWC intéresse depuis longtemps l’américain Liberty Global, leader du câble en Europe, quatrième acteur du marché aux Etats-Unis avec Charter Communications. Après une première tentative de rachat de TWC en 2013, délaissé au profit de Comcast, Liberty Global a annoncé, le 26 mai 2015, quelques jours seulement après le rachat de Suddenlink par Altice, le rachat de TWC pour 78,7 milliards de dollars. Deux mois plus tôt, le 31 mars 2015, Liberty s’était déjà emparé du sixième câblo-opérateur américain, Bright House Networks, pour 10,4 milliards de dollars. Liberty Global devient ainsi le deuxième câblo-opérateur américain, sous réserve d’un accord des autorités de la concurrence, ce qui relègue Altice parmi les outsiders sur le marché.

Sources :

  • « Drahi mise 4 milliards de plus sur SFR », Fabienne Schmitt, Les Echos, 19 février 2015.
  • « En pleine métamorphose, Vivendi cède le reste de Numericable-SFR à Patrick Drahi », Julien Dupont-Calbo, Les Echos, 2 mars 2015.
  • « Numericable-SFR cède les activités mobiles d’Outremer Telecom », Fabienne Schmitt, Les Echos, 9 mars 2015.
  • « Charter to acquire Bright House Networks for §10,4 billions », Charter Communications, PR Newswire, 31 mars 2015.
  • « Numericable-SFR dans le viseur de l’Autorité de la concurrence », Fabienne Schmitt, Les Echos, 3 avril 2015.
  • « Crainte sur la fusion Comcast-Time Warner », Sandrine Cassini, Les Echos, 20 avril 2015.
  • « La fusion Comcast-Time Warner menacée », Pierre-Yves Dugua, Le Figaro, 21 avril 2015.
  • « Patrick Drahi à la conquête des Etats-Unis », Elsa Bembaron, Le Figaro, 21 mai 2015.
  • « Charter rachète Time Warner Cable pour 78,7 milliards de dollars », Reuters.com, 26 mai 2015.

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