Patrick Drahi bâtit un groupe de médias au nom de la convergence

Libération, L’Express, Stratégies, puis NextRadioTV…, les acquisitions de Patrick Drahi font émerger Altice comme nouveau grand groupe français de médias. La convergence attendue entre « câblos » et médias semble en revanche difficilement identifiable.

Lorsqu’Altice s’est emparé de SFR en avril 2014 (voir La REM n°30-31, p.68), la France a découvert le nom de son fondateur, Patrick Drahi. Certains journalistes ont même jugé bon d’indiquer que le principal défaut de Patrick Drahi en la circonstance était de ne pas faire partie du cercle très restreint de ceux qui ont accès aux plus hautes sphères du pouvoir politique, pour obtenir un soutien lors d’opérations économiques d’envergure. En la matière, le contrôle d’un groupe de médias est la voie d’accès la plus rapide aux réseaux d’influence, ce qui explique, selon certains, le prêt relais de 4 millions d’euros accordé en mai 2014 pour sauver Libération (voir La REM n°30-31, p.26). Depuis, Patrick Drahi s’est livré à une multitude d’achats dans les médias français, parce que le contexte du marché permet de s’emparer à bas prix de groupes constitués, mais également au nom de la convergence entre les médias et ses activités d’opérateur de télécommunications.

La première étape de la constitution du groupe de médias a été la prise de contrôle de Libération, même si Bruno Ledoux en conserve la tutelle. En effet, les 4 millions d’euros avancés par Patrick Drahi en mai 2014 ont ensuite été convertis en actions, Patrick Drahi ajoutant à cette somme 10 millions d’euros supplémentaires, investis dans BHLM (Bruno Ledoux Holding Media) qui contrôle PMP, lequel contrôle Libération. En définitive, le comité d’entreprise de Libération a dû voter, le 12 juin 2014, sur une recapitalisation de 18 millions d’euros, dont 14 millions apportés par Patrick Drahi et 4 millions d’euros apportés par Bruno Ledoux et Franck Papazian, ce dernier détenant un groupe privé de formation.

La seconde étape fut le déploiement en 2015 d’une politique de rachats de groupes de médias, dans la presse mais aussi dans l’audiovisuel, car c’est bien là qu’un opérateur de télécommunications peut envisager une convergence entre ses actifs, d’autant que Numericable est d’abord issu de l’univers de la distribution d’offres de télévision par câble, avant de s’être converti aux communications électroniques.

Fin 2014, le groupe belge Roularta met en vente L’Express et L’Expansion afin de se séparer de ces deux foyers de pertes (5 à 6 millions d’euros) et de recentrer ses activités sur le nord de l’Europe. Plusieurs offres lui sont faites, dont celle émanant de Patrick Drahi, associé à Marc Laufer pour le rachat des newsmagazines, complétée par une offre du groupe Figaro sur les autres titres de presse magazine détenus par Roularta en France. Finalement, le 8 janvier 2015, le groupe confirme être entré en négociations exclusives avec le tandem Drahi-Laufer pour lui céder son pôle News et Culture, soit L’Express et L’Expansion, mais également Mieux vivre votre argent, Lire, Classica, Pianiste et Studio Ciné Live, autant de titres qui n’ont d’intérêt qu’une fois intégrés dans un grand groupe de médias. La cession est estimée entre 5 et 10 millions d’euros et doit donner naissance à un groupe plus important, puisque les titres acquis doivent intégrer une structure commune héritant des titres détenus par Marc Laufer. Ce dernier contrôle un petit groupe de médias, NewsCo, qui représente 20 millions d’euros de chiffre d’affaires, un groupe issu du rachat des activités presse, hors La Tribune, à NextRadioTV (01 Business, Point Banque, La Revue des collectivités locales). Le 12 février 2015, la donne change une nouvelle fois. La complexité d’une vente limitée à une partie seulement des 20 titres de presse magazine détenus par Roularta en France amène ce dernier à opter pour une vente en bloc de ses titres à Patrick Drahi et Marc Laufer, l’ensemble français du groupe Roularta étant finalement cédé entre 50 et 70 millions d’euros, quand il était valorisé 220 millions d’euros au moment de sa prise de contrôle à 100 % par Roularta en 2006. L’opération prend dès lors une tout autre ampleur puisque les deux associés s’emparent également de Point de vue et de L’Etudiant, des titres lucratifs avec une grande visibilité sur le marché français. Les titres plus fragiles, notamment L’Express, seront ensuite soumis à une cure d’austérité. Ainsi, après 115 départs à la suite de l’ouverture de la clause de cession et après avoir mis fin au renouvellement de nombreux CDD, L’Express entend encore baisser les charges de personnel avec un plan de sauvegarde de l’emploi concernant près de 125 postes, dont 19 journalistes, pour retrouver l’équilibre dès 2016.

Une fois les activités françaises de Roularta reprises, restait alors à créer un groupe intégré. Une structure baptisée initialement Mag&NewsCo, puis finalement Altice Media Group, émerge ainsi à l’occasion du rachat des activités françaises de Roularta. Elle va progressivement diluer les participations des partenaires de Patrick Drahi. Outre ses fonds, ce dernier va également apporter à l’ensemble sa chaîne d’information en continu i24News, diffusée depuis Israël à partir de 2013, ainsi que sa participation dans Libération. Marc Laufer perd donc le contrôle de NewsCo, tout en entrant au capital d’Altice Media Group. Quant à Bruno Ledoux, il amène au nouvel ensemble sa participation dans Libération, en contrepartie de quoi il détient 9 % d’Altice Media Group. Le 24 juillet 2015, Altice Media entrait par ailleurs en négociations exclusives avec Intescia, une structure issue de Reed Business, pour racheter Stratégies, Coiffure de Paris et Cosmétique Mag, trois titres professionnels très spécialisés. A force d’acquisitions, la nouvelle entité Altice Media s’est métamorphosée, entre le premier prêt à Libération en mai 2014 et l’été 2015, en un groupe de presse affichant au total un chiffre d’affaires annuel supérieur à 300 millions d’euros, ce qui le place parmi les principaux groupes français.

La véritable transformation d’Altice Media sera son développement dans l’audiovisuel, au-delà d’i24News en Israël. La première étape est passée par la France, même si le groupe a indiqué pouvoir investir dans tous les territoires où Altice est également opérateur de télécommunications, afin de renforcer la fidélité de ses abonnés par des offres de télévision. Le 27 juillet 2015, Patrick Drahi a ainsi annoncé, conjointement avec NextRadioTV, un partenariat qui permettra à Altice de prendre en 2019 le contrôle du groupe fondé par Alain Weil, qui rassemble BFM TV et RMC Découverte, et qui est en train de racheter Numéro 23 (voir La REM n°34-35, p.37). Le montage est complexe. Une nouvelle société est créée, Altice Contents, qui aura la possibilité de racheter en 2019 les 51 % du capital qu’Alain Weil va pour l’instant conserver dans ses chaînes. Ce dernier ne possédera alors plus que 24 % d’Altice Contents, le nouveau groupe pouvant accueillir par ailleurs les actifs presse d’Altice Media Group. Pour intégrer NextRadioTV dans Altice Contents, l’ensemble va être sorti de la Bourse avec une prime de 30 % par action, soit une valorisation exceptionnelle de 600 millions d’euros pour NextRadioTV. Autant dire que si la presse est bradée, la télévision ne l’est pas encore, surtout pour les groupes qui disposent de fréquences en clair. Reste à savoir comment se traduira la convergence revendiquée pour justifier l’opération, car l’accès aux programmes de NextRadioTV, diffusés en clair sur la TNT, ne risque pas de constituer un motif d’abonnement ou de fidélisation pour les clients de SFR-Numericable. En revanche, disposer de deux, voire trois chaînes en clair si le rachat de Numéro 23 va jusqu’à son terme, place Patrick Drahi au cœur du marché des médias français et de leurs réseaux.

Sources :

  • « Patrick Drahi va devenir le principal soutien financier de Libération », Fabienne Schmitt, Les Echos, 12 juin 2014.
  • « L’Express : la vente à Patrick Drahi serait imminente », Nicolas Madelaine et Grégoire Poussielgue, Les Echos, 7 janvier 2015.
  • « Patrick Drahi rachète L’Express-L’Expansion pour moins de 10 millions d’euros », Enguérand Renault, Le Figaro9 janvier 2015.
  • « L’Express : Patrick Drahi aurait mis de 5 à 10 millions d’euros sur la table », Nicolas Madelaine et Fabienne Schmitt, Les Echos9 janvier 2015.
  • « Libé et L’Express bientôt dans un même groupe », N.M., Les Echos, 15 janvier 2015.
  • « En ajoutant L’Etudiant et Point de vue à L’Express, Drahi accélère dans les médias », Julien Dupont-Calbo, Les Echos, 13 février 2015.
  • « Drahi bâtit son empire de médias », Chloé Woitier, Le Figaro, 13 février 2015.
  • « Drahi réduit la voilure à L’Express », Chloé Woitier, Le Figaro, 26 juin 2015.
  • « Altice veut Stratégies, Coiffure de Paris et Cosmétique Mag », Julien Dupont-Calbo, Les Echos, 27 juillet 2015.
  • « En s’alliant à NextRadioTV, Drahi affirme son ambition dans les médias », Fabienne Schmitt, Les Echos, 28 juillet 2015.
  • « Patrick Drahi s’allie à Alain Weill pour prendre le contrôle de NextRadioTV », Alexandre Debouté, Le Figaro, 28 juillet 2015.
  • « Pourquoi L’Express va encore maigrir », Presse News, 22 septembre 2015.
  • « Nouvelle cure de minceur à L’Express », Chloé Woitier, Le Figaro, 29 septembre 2015.

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