PQR : du nord au sud, les temps sont durs

Plan social à La Voix du Nord et à Nice Matin, redressement judiciaire et recapitalisation pour Paris Normandie, dépôt de bilan pour La Marseillaise et France-Antilles trahissent les difficultés de la PQR.

Dévoilé sur internet par lesechos.fr le 3 janvier 2017, puis le 5 janvier dans la version papier du quotidien économique, le plan social concernant La Voix du Nord a été officialisé le 10 janvier 2017 par son PDG, Michel Nozières. Baptisé « Demain La Voix », le plan a été fortement critiqué par les syndicats car il concerne un quotidien bénéficiaire, dont les difficultés sont pourtant avérées. Le Groupe La Voix du Nord a réalisé un chiffre d’affaires de 256 millions d’euros en 2016 et un résultat d’exploitation de 9 millions d’euros pour l’ensemble de ses activités, qui incluent le quotidien La Voix du Nord (90 millions d’euros de chiffre d’affaires), Le Courrier Picard et L’Union de Reims rachetés respectivement en 2009 et 2012.

Or ces chiffres sont orientés à la baisse, parce que la diffusion recule et donc les recettes de vente et les recettes publicitaires. Le chiffre d’affaires du groupe a ainsi baissé de 18 % entre 2013 et 2016. La Voix du Nord avait une diffusion payée de 235 000 exemplaires en 2013, contre 225 000 exemplaires en 2015, puis 217 000 exemplaires en 2016. En dix ans, le groupe a par ailleurs perdu 27 millions d’euros de publicité. Quant au numérique, il ne représente que 7 000 abonnés, ce qui explique pourquoi le papier représente encore 95 % du chiffre d’affaires. Pour toutes ces raisons, le groupe préfère repenser sa stratégie et entamer sa restructuration dans une situation économique correcte, un argument avancé pour expliquer que le plan de sauvegarde de l’emploi peut se faire dès aujourd’hui dans de meilleures conditions que demain, si le titre venait à être déficitaire. Or, cette perspective est envisageable dans deux ans si rien n’est fait.

Le plan de sauvegarde de l’emploi concernait dans sa première version quelque 178 postes sur les 710 que compte La Voix du Nord, et cela pour toutes les activités à l’exception des informaticiens. Il doit accompagner une restructuration qui se traduira par une diminution du nombre d’éditions, qui passent de 24 à 20. Afin de proposer une information plus proche du terrain, une vingtaine de bureaux occupés par un unique journaliste doivent être ouverts dans des zones où les journalistes de La Voix du Nord n’étaient pas présents. C’est donc la rédaction principale qui sera touchée, même si le plan prévoit 19 recrutements pour le secteur du numérique. Le 28 avril 2017, un accord a été officialisé avec les représentants des syndicats qui porte finalement sur 132 départs volontaires, soit 19 % des effectifs du quotidien, dont 9 % à la rédaction qui passe de 340 à 310 journalistes.

Indépendamment des évolutions de son principal quotidien, le groupe La Voix du Nord envisage de mieux comprimer ses coûts fixes en augmentant progressivement sa taille. Il a ainsi tenté de s’étendre plus avant en Normandie, puisqu’il faisait partie des repreneurs potentiels de Paris Normandie, après que celui-ci a été placé en redressement judiciaire le 1er avril 2016 (voir La rem n°38-39, p.35). En cas de reprise, le groupe prévoyait ainsi d’imprimer l’édition dominicale de Paris Normandie dans l’imprimerie de La Voix du Nord. Mais le tribunal de commerce de Rouen a préféré une autre offre, allant à l’encontre de la consolidation pourtant inévitable de la presse quotidienne régionale en France.

Le quotidien régional Paris Normandie avait déjà été placé une première fois en redressement judiciaire en février 2012, avant d’être repris au Groupe Hersant en juillet 2012 par Xavier Elie et Denis Huertas (voir La rem n°24, p.23). Contrôlé depuis 2014 par le seul Xavier Elie, Paris Normandie a fait l’objet d’un nouveau plan social en 2016, avec le départ de 40 personnes dont 14 journalistes, et d’investissements importants, notamment dans son imprimerie, ce qui a permis de relancer les ventes, passées de 40 000 à 45 000 exemplaires entre 2015 et 2016, alors que le tirage était de 50 000 exemplaires en 2012… et de 166 000 exemplaires en 1972 lors de la prise de contrôle par Robert Hersant. La marque a également été renforcée avec le changement de nom des quotidiens Le Havre Libre et Havre Presse en 2016, rebaptisés Paris Normandie Le Havre afin de donner une identité plus forte à l’ensemble des titres détenus par le groupe.

Mais cela n’aura pas suffi et le placement en redressement judiciaire le 1er avril 2016 a ouvert une nouvelle période d’incertitude pour le quotidien normand, ce qui a conduit le tribunal de commerce de Rouen à ouvrir une procédure de cession en octobre 2016. Plusieurs offres ont été évoquées, notamment un projet de reprise par les salariés associés à la Filpac CGT, qui envisageaient la constitution d’une société coopérative d’intérêt collectif (SCIC), un dispositif qui rappelle la reprise de Nice Matin en 2014 (voir La rem n°33, p.26). Mais le projet, soutenu par les ouvriers du livre, n’a pas pu aboutir, d’autant que la rédaction s’y opposait. Cette dernière s’est à l’inverse engagée en faveur de l’offre de reprise proposée par Rossel, qui prévoyait la suppression de 39 postes techniques, épargnant ainsi les journalistes, un investissement de 3 millions d’euros pour relancer le quotidien, ainsi que l’intégration du quotidien dans le dispositif informatique rédactionnel déjà développé pour les autres titres du nord de la France. Pour les journalistes, l’adossement à un grand groupe de PQR est présenté comme la seule perspective solide et de long terme pour Paris Normandie. Finalement, l’offre de continuation présentée par Xavier Ellie aura eu les faveurs du tribunal de commerce de Rouen le 15 mars 2017.

Xavier Ellie s’engage à apporter 750 000 euros au quotidien, à trouver de nouveaux financeurs et à supprimer 33 postes techniques. Il lui faudra toutefois convaincre les journalistes qui, le 9 mars 2017, avaient publié une lettre ouverte en faveur d’une reprise par Rossel, lettre dans laquelle ils indiquaient que « la solidité financière d’un journal est une des conditions de la qualité du traitement de l’information ». Afin de répondre à cette inquiétude, et dans la continuité des engagements pris auprès du tribunal de commerce de Rouen, Xavier Ellie s’est mis d’accord avec l’entrepreneur normand Jean-Louis Louvel qui, le 21 avril 2017, a pris 49 % de Paris Normandie, via sa holding Fininco Partners, moyennant 750 000 euros, renforçant ainsi « l’identité normande » du titre. Jean-Louis Louvel est en effet un entrepreneur important en Normandie, leader français de la palette et président de l’agence de développement territorial Rouen Normandy Invest. Le même jour, Frédérick Cassegrain, ancien de Marianne et de TV Magazine, était nommé directeur général du groupe, remplaçant Éric Berthot qui avait fait part de sa préférence pour l’offre de Rossel. Il accompagnera donc la destinée du groupe, avec probablement une prise de contrôle à terme par Jean-Louis Louvel, Xavier Ellie devant trouver un repreneur en raison de son âge.

Cette question de la solidité financière de titres isolés, qui ne bénéficient pas des économies d’échelle permises par l’appartenance à un groupe de presse, se pose de la même façon dans le sud de la France, où l’on retrouve également des quotidiens issus de l’ex-Groupe Hersant Média, auxquels il faut ajouter La Marseillaise. Ainsi, le Groupe Nice Matin, qui réunit les quotidiens Nice Matin et Var Matin, devrait à terme perdre son statut de SCIC. En janvier 2016, les salariés ont dû se résoudre à rechercher un nouvel investisseur et le belge Nethys est entré au capital du groupe (voir La rem n°38-39, p.35). Le pacte d’actionnaires prévoit qu’Avenir Développement, filiale de Nethys, pourra monter en 2018 jusqu’à 51 % du capital du Groupe Nice Matin, mais cette montée au capital est subordonnée à une réduction importante du personnel. Pour y parvenir, le Groupe Nice Matin a d’ores et déjà engagé, le 9 janvier 2017, une procédure d’information et de consultation de son comité d’entreprise dans le cadre d’un nouveau plan social concernant 20 % des effectifs, soit un peu plus d’une centaine de salariés sur les 650 que compte le groupe. Ce plan social ne concernant pas la rédaction, un second devra suivre qui visera une partie des 170 journalistes du Groupe Nice Matin, rendant possible la prise de contrôle du groupe par Nethys le 1er janvier 2018.

La Marseillaise est dans la même situation. Reprise en 2015 par les Éditions des Fédérés (voir La rem n°36, p.27), le quotidien a fait l’objet d’un plan social assorti d’une relance des ventes grâce à une nouvelle maquette. Ces dernières ont en effet progressé de 15 % en 2016, mais les pertes sont restées aussi importantes en raison de la quasi-disparition des recettes publicitaires venant notamment des institutions publiques, La Marseillaise ayant pendant longtemps bénéficié du soutien de grandes mairies communistes des Bouches-du-Rhône, désormais passées à droite. Le quotidien a donc dû se résoudre à annoncer son dépôt de bilan, le 23 novembre 2016, la mise en redressement judiciaire ayant été prononcée le 1er décembre 2016 par le tribunal de commerce de Marseille. Outre la baisse des recettes publicitaires, La Marseillaise est pénalisée, selon Le Ravi, par le non-reversement d’une partie des recettes du Mondial de pétanque organisé par l’association le Mondial la Marseillaise, qui dépend statutairement du quotidien. Cette association est depuis toujours dirigée par Michel Montana, ancien directeur de la publicité et des relations extérieures de La Marseillaise, qui ne s’est pas entendu avec les repreneurs des Éditions des Fédérés. Annoncé en avril 2017, son départ du concours de boules qu’il a développé devrait permettre à La Marseillaise de retrouver une marge de manœuvre financière grâce à l’événementiel.

À vrai dire, l’événementiel devient le credo de tous les groupes de presse en PACA. Déjà, le Groupe Nice Matin misait sur cette activité en 2014 pour se relancer, et un premier festival pop-rock, programmé pour août 2017, se tiendra sur le circuit Paul Ricard du Castellet, dans le Var. La presse du Sud s’inspire à cet égard du Télégramme de Brest qui a la même stratégie, puisqu’il contrôle les Francofolies de La Rochelle et le Printemps de Bourges. Au sein du Groupe La Provence, l’événementiel est devenu l’axe majeur de la stratégie de diversification (voir La rem n°36, p.26). Le quotidien a su stabiliser ses ventes en renforçant ses équipes commerciales, en instaurant un paywall sur son site internet, et en lançant une nouvelle maquette en novembre 2016, qui donne la priorité à l’hyperlocal et au sport. Mais il a surtout fait preuve d’un activisme sans précédent en matière de diversification événementielle, lui permettant notamment d’afficher pour la première fois des profits en 2016, ce qui ne s’était pas produit depuis 2010.

Le Groupe La Provence a notamment créé une structure dédiée, La Provence Event, chargée de l’organisation de salons et de conférences sous la marque du quotidien, qui fait ainsi office d’agence événementielle pour des clients extérieurs. En juin 2016, une deuxième structure a été créée, La Provence Sport Organisation, destinée à organiser des événements sportifs. L’arrivée de Franz-Olivier Giesbert comme directeur éditorial et le départ du PDG, Claude Perrier, annoncé le 2 mai 2017, donnent toutefois une importance nouvelle au rédactionnel, quand Claude Perrier avait fortement soutenu le développement de l’événementiel. De son côté, Corse Matin, détenu par le Groupe La Provence, ne bénéficie pas de la dynamique marseillaise : les ventes comme les recettes publicitaires ont creusé les pertes en 2016, imposant au quotidien de l’île de beauté de repenser son offre et de se développer sur le numérique, où il est très peu présent.

Dans les territoires ultramarins, les mêmes maux produisent les mêmes effets. La baisse des ventes accompagnée de celle des recettes publicitaires ont ainsi conduit AGM (Antilles-Guyane Média) à se déclarer en cessation de paiement début avril 2017, le tribunal de commerce de Fort-de-France ayant placé la filiale du Groupe Hersant Média (GHM) en liquidation judiciaire le 11 mai 2017. Selon la rédaction de France Antilles, trois offres de reprises ont été déposées. Une première est portée par Aude Jacques-Ruettard, petite-nièce de Philippe Hersant, l’actuel propriétaire de GHM, et petite-fille de Robert Hersant. Aude Jacques-Ruettard détient déjà 38 % du capital d’AGM et a promis de nouveaux investissements, sans plan social, soit le maintien en poste des 310 salariés que compte le groupe. La masse salariale a déjà été fortement réduite après une première mise en liquidation judiciaire en 2014 et un plan social en 2016. La deuxième offre est portée par She Three, une société contrôlée par Marc Laufer, qui vient de racheter News Co à SFR, cette offre étant assortie d’un plan social portant sur 89 postes. Enfin, une troisième offre provient de la régie parisienne d’AGM. Le tribunal de commerce doit statuer en juin 2017.

Sources :

  • « Corse Matin creuse son déficit », Presse News, 28 juin 2016.
  • « La Provence mise sur l’hyperlocal et le sport », Chloé Woitier, Le Figaro, 7 novembre 2016.
  • « Nouvelles difficultés pour La Marseillaise », Paul Molga, Les Echos, 24 novembre 2016.
  • « La Marseillaise, à nouveau en redressement judiciaire », Les clés de la presse, 25 novembre 2016.
  • « La Marseillaise plombée par le Mondial de pétanques », Julien Vinzent, marsactu.fr, 1er décembre 2016.
  • « Plan social à La Voix du Nord : un quart des effectifs menacés », Nicole Buyse, Les Echos, 5 janvier 2017.
  • « La Voix du Nord détaille son plan social », Nicole Buyse, Les Echos, 11 janvier 2017.
  • « La Voix du Nord va perdre un quart de ses effectifs », Chloé Woitier, Le Figaro, 11 janvier 2017.
  • « Nice Matin, futur ambianceur régional », La Lettre A, 19 janvier 2017.
  • « Nice Matin supprime 100 emplois », Presse News, 7 février 2017.
  • « Le sort de Paris Normandie sur le point d’être scellé », Les Echos, 23 février 2017.
  • « La Provence profitable, une première depuis 2010 », N.M., Les Echos, 9 mars 2017.
  • « Paris Normandie échappe à Rossel », Dominique Aubin, Les Echos, 16 mars 2017.
  • « Paris Normandie continue avec son propriétaire actuel », Alexandre Debouté, Le Figaro, 16 mars 2017.
  • « La petite-fille d’Hersant lorgne France Antilles », Alexandre Debouté, Le Figaro, 7 avril 2017.
  • « Paris Normandie : Jean-Louis Louvel entre au capital du quotidien régional », Guillaume Ducable, lejournaldesentreprises.com, 24 avril 2017.
  • « Accord sur un plan de baisse de 20 % des effectifs à La Voix du Nord », lavoixdunord.fr, 28 avril 2017.
  • « Franz-Olivier Giesbert arrive à La Provence », Chloé Woitier, Le Figaro, 4 mai 2017.
  • « Le « roi de la palette » entre au capital de Paris Normandie », Dominique Aubin, Les Echos, 5 mai 2017.

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