Vivendi s’impose au sein de Telecom Italia et intègre Havas

Vincent Bolloré contrôle Vivendi avec 20 % du capital, une stratégie reproduite par Vivendi chez Telecom Italia. Le groupe devra probablement en revanche renoncer à Mediaset en Italie, tandis qu’il rachète Havas en France.

Le 8 mars 2017, l’Autorité des marchés financiers (AMF) publiait un avis indiquant que le Groupe Bolloré détenait désormais 26,37 % des droits de vote au sein de Vivendi, en raison de l’attribution des votes doubles qu’impose la loi dite Florange. Ces votes doubles sont attribués après deux ans, ce qui entraîne une hausse régulière des droits de vote du Groupe Bolloré. Ce dernier avait en effet dû monter au capital de Vivendi en 2015, afin de s’imposer face aux fonds américains qui souhaitaient plus de dividendes et une séparation d’Universal Music pour l’introduire en Bourse (voir La rem n°34-35, p.51). L’avis de l’AMF précisait également que les droits de vote du Groupe Bolloré allaient presque atteindre 30 % le 20 avril 2017, cinq jours avant l’assemblée générale du groupe. Avec 30 % des droits de vote pour un peu plus de 20 % du capital de Vivendi, l’AMF considère que le Groupe Bolloré est en mesure de « déterminer les décisions en assemblée générale », le capital de Vivendi étant suffisamment éclaté pour que ne puisse émerger aucune autre majorité alternative.

Cette stratégie de contrôle d’un groupe par un investissement significatif mais non majoritaire permet ainsi au Groupe Bolloré d’imposer ses vues dans les conseils d’administration. C’est ce qui s’est passé chez Vivendi, où l’emprise du Groupe Bolloré a été renforcée à la suite de l’assemblée générale du 25 avril 2017, mais également chez Telecom Italia. Concernant Vivendi, le groupe a proposé que le nombre de membres du conseil passe de quatorze à douze, après le départ de trois membres indépendants et le renouvellement d’un seul membre, remplacé par un représentant des salariés. Dès lors, de neuf, les membres indépendants passent à six, soit la moitié du conseil d’administration. Ils étaient dix en mai 2016, avant que Yannick Bolloré ne vienne remplacer un membre indépendant, démissionnaire. Deux cabinets de conseils aux investisseurs ont dénoncé ces choix qui conduisent à une surreprésentation de l’actionnaire principal au sein du conseil d’administration de Vivendi. Cependant, le 25 avril 2017, Vincent Bolloré voyait son mandat renouvelé à la présidence du conseil de surveillance de Vivendi, et Yannick Bolloré intégrait de plein droit le groupe.

En ce qui concerne la participation de Vivendi dans le capital de Telecom Italia, le même type de stratégie a été déployé. Le 31 mars 2017, Vivendi a transmis un avis à la Commission européenne indiquant sa volonté de prendre le contrôle de l’opérateur italien. En effet, à l’occasion de l’assemblée générale du 4 mai 2017, Vivendi a proposé de faire passer le conseil d’administration de dix-sept à quinze membres, et a présenté dix candidats pour les quinze sièges à pourvoir, quand jusqu’alors Vivendi n’avait nommé que quatre candidats sur seize (voir La rem n°37, p.63). Or, Vivendi ne détient que 23,94 % du capital de Telecom Italia, ce qui là encore lui confère une très forte représentation au sein du conseil d’administration, sans rapport avec la part de capital qu’il détient.

De nouveau, les cabinets de conseil qui accompagnent les investisseurs minoritaires ont recommandé de voter contre ces propositions, en vain. Le 4 mai 2017, Vivendi a donc pris la majorité au sein du conseil d’administration de Telecom Italia, qui a en toute logique nommé Arnaud de Puyfontaine à sa présidence, lequel n’est autre que le président du directoire de Vivendi. Ce choix est osé parce que les manœuvres de Vivendi en Italie, notamment la montée au capital de Mediaset en décembre 2016 (voir La rem n°41, p.65), se traduisent par des ennuis judiciaires qui ciblent Vincent Bolloré et Arnaud de Puyfontaine, tout en remettant en question la participation de Vivendi au capital de Mediaset.

Le dispositif anti-concentration en Italie, hérité de la loi Gasparri de 2004, interdit en effet à un même groupe de disposer d’une part de marché significative à la fois dans les télécommunications et dans l’audiovisuel. Après la montée brutale de Vivendi au sein du capital de Mediaset, le groupe s’est retrouvé dans cette situation en raison du contrôle à la fois de Telecom Italia et de 28,8 % de Mediaset fin 2016. Pour se défendre, Mediaset avait d’ailleurs immédiatement sollicité l’autorité italienne de régulation des télécommunications, l’AGCOM. Cette dernière a rendu son verdict le 18 avril 2017, imposant à Vivendi de renoncer à ses participations soit dans Telecom Italia, soit dans Mediaset, et au moins de descendre en dessous de 10 % du capital de Mediaset afin de ne plus être concerné par les seuils anti-concentration.

Vivendi ayant le contrôle opérationnel de Telecom Italia, un actif utile dans la stratégie de convergence que le groupe entend déployer, notamment en Europe latine, et aussi parce qu’il y a investi quelque 3,9 milliards d’euros, il y a fort à parier que la participation dans Mediaset sera remise sur le marché. L’investissement dans Mediaset a en effet été limité à 1,2 milliard d’euros, à un moment où l’action était à un point bas, Vivendi ayant d’ailleurs été accusé par Mediaset de manipuler le cours de l’action. Il reste finalement à trouver un accord avec Mediaset, avec qui Vivendi devait construire le Netflix européen, un projet avorté après que Vivendi a renoncé au rachat de Mediaset Premium. Cette décision fut à l’origine du conflit entre les deux groupes et de l’arrivée non sollicitée de Vivendi au capital de Mediaset.

C’est d’ailleurs ce conflit qui est l’objet d’une autre plainte de Mediaset contre Vivendi, déposée cette fois auprès du parquet de Milan pour « manipulation de marché ». Selon Mediaset, en annonçant qu’il renonçait au rachat de Mediaset Premium en juillet 2016, Vivendi a fait chuter le cours de l’action Mediaset, ce qui lui a permis ensuite de s’emparer à bon marché de près de 30 % du capital de Mediaset en décembre 2016. Faisant suite à la plainte de Mediaset, le parquet de Milan a officiellement ouvert une enquête en février 2017 qui vise Vincent Bolloré et Arnaud de Puyfontaine au titre de leurs responsabilités au sein de Vivendi.

En France, Vivendi a en revanche éclairci ses rapports avec le Groupe Havas, contrôlé à 60 % par le Groupe Bolloré et dirigé par Yannick Bolloré. Depuis que Vincent Bolloré a évoqué, le 17 mai 2016, un possible rapprochement entre Vivendi et Havas, les actionnaires étaient dans l’expectative. Havas allait-il servir de monnaie d’échange pour permettre au Groupe Bolloré de monter plus encore au capital de Vivendi, en proposant un rachat par échange d’actions ? Les deux groupes, qui ont déjà noué des partenariats dans la publicité ou autour de Studio+, allaient-ils continuer à exister séparément ? C’est finalement l’assemblée générale de Vivendi qui a réglé le problème le 4 mai 2017 en nommant Yannick Bolloré au conseil d’administration de Bolloré et en confiant les clés du conseil d’administration de Vivendi au Groupe Bolloré. L’assemblée générale a alors rendu possible un rapprochement avec Havas par rachat pur et simple, puisque le contrôle de Vivendi permet au Groupe Bolloré de conserver le contrôle sur Havas, le sixième groupe de communication et de marketing au monde.

Le 11 mai 2017, une semaine exactement après l’assemblé générale de Vivendi, le groupe confirmait le rachat d’Havas, l’opération devant être effective en juillet 2017. Vivendi rachètera la participation de 60 % dans Havas détenue par Groupe Bolloré au prix de 9,25 euros par action, soit une prime de 8,8 % par rapport au cours de l’action le jour de l’annonce. Une offre publique d’achat sera ensuite lancée sur le reste du capital, ce qui constitue une obligation légale, Vivendi, toutefois, ne cherchant pas à contrôler la totalité du capital d’Havas. Le Groupe Bolloré va ainsi récupérer 2,5 milliards d’euros, ce qui valorise Havas à 4 milliards d’euros.

Si l’opération répond à une logique patrimoniale pour le Groupe Bolloré, elle est pour Vivendi passablement originale. En effet, alors que les groupes de médias se rapprochent des acteurs des télécommunications, une logique de convergence également déployée par Vivendi, l’alliance entre un grand groupe de contenus et un grand groupe de communication est inédite, même si l’essor du brand content brouille de plus en plus les frontières entre médias et communication publicitaire. Des risques sont également évoqués. Si Havas peut bien sûr apporter des débouchés nouveaux à Gameloft en commercialisant des jeux dédiés pour les annonceurs, si Havas peut mettre en relation les artistes du catalogue d’Universal Music et les annonceurs, il n’empêche qu’Havas sera confronté à des intérêts de groupe contraires quand il achètera des espaces à la télévision.

La logique de groupe voudrait qu’il privilégie les chaînes du Groupe Canal, quand la logique d’Havas conduit naturellement à privilégier tous les grands carrefours d’audience, à savoir TF1, France 2 ou France 3, un engagement rappelé par Yannick Bolloré, PDG d’Havas. Le rachat va en revanche permettre à Havas de disposer de nouveaux moyens pour se développer plus rapidement grâce à Vivendi, alors qu’il était encore trop petit face aux géants mondiaux de la communication (WPP, Interpublic, Omnicom, Publicis), mais déjà trop gros pour être racheté par ces mêmes géants. Vivendi représente en effet un chiffre d’affaires de 10,8 milliards d’euros en 2016, contre 2,3 milliards d’euros pour Havas, et un résultat de 1,25 milliard d’euros contre 117 millions d’euros pour Havas. Avant l’opération de rachat, Havas avait une capitalisation boursière de 3,6 milliards d’euros, contre 23,7 milliards d’euros pour Vivendi. Le nouvel ensemble affichera donc un chiffre d’affaires supérieur à 13 milliards d’euros, juste un milliard de moins que le groupe Sky, premier concurrent de Canal+ en Europe.

Sources :

  • « Les dirigeants de Vivendi dans le viseur de la justice italienne », Olivier Tosseri, Les Echos, 27 février 2017.
  • « Bolloré renforce son emprise sur Vivendi », Alexandre Debouté, Le Figaro, 9 mars 2017.
  • « Vivendi veut la majorité au conseil de Telecom Italia », E.B., Le Figaro, 6 avril 2017.
  • « Vivendi bientôt majoritaire au conseil de Telecom Italia », Fabienne Schmitt, N.M., Les Echos, 11 avril 2017.
  • « La campagne d’Italie de Bolloré mise en échec », Sandrine Cassini, Jérôme Gautheret, Alexandre Piquard, Le Monde, 20 avril 2017.
  • « Bolloré face au jugement des actionnaires de Vivendi », Bertille Bayard, Le Figaro, 25 avril 2017.
  • « Assemblée générale de Vivendi : les agences de conseil vent debout », L. Boi, N. M., Les Echos, 25 avril 2017.
  • « Vivendi prend le pouvoir chez Telecom Italia après un long bras de fer », Elsa Bembaron, Le Figaro, 5 mai 2017.
  • « Vivendi lance le rachat d’Havas », Alexandre Debouté, Jacques-Olivier Martin, Le Figaro, 12 mai 2017.
  • « Vivendi lance le rachat d’Havas, Bolloré consolide son empire médias », Nicolas Madelaine, Véronique Richebois, Les Echos, 12 mai 2017.
  • « Selon Yannick Bolloré, Havas maintiendra ses distances avec le groupe Canal+ », Véronique Richebois, Les Echos, 15 mai 2017.
  • « Le rapprochement de Vivendi et Havas suscite des interrogations », Alexandre Debouté, Le Figaro, 16 mai 2017.

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