Deep tech

Abréviation de deep technological innovations pour désigner les technologies de pointe issues de la recherche fondamentale. Fruit des travaux menés par des chercheurs en intelligence artificielle, en biotechnologies, en nanotechnologies, en neurosciences et en robotique, les deep tech développent des solutions nouvelles, dites « de rupture », qui visent à relever de nombreux défis dans les secteurs industriels ou les services, tels que les transports, la finance, la santé, l’agriculture, l’énergie, les télécommunications ou la distribution. Développées par une nouvelle génération de start-up lancées par des chercheurs-entrepreneurs, les deep tech inventent l’avenir : véhicules autonomes, drones, industries 4.0, ingénierie génétique, blockchain, réalité augmentée, réalité virtuelle, nanosatellites, internet des objets… À la jonction du monde industriel et du domaine de la recherche, les deep tech sont porteuses de transformations radicales, scientifiques et technologiques, qui pourraient bouleverser des secteurs entiers de notre société, si l’on en croit ceux qui les promeuvent, en répondant aux grands enjeux économiques, sociaux et environnementaux, de l’espérance de vie aux sources d’énergie en passant par les nouveaux matériaux. Soutenues par les industriels et les investisseurs, elles préfigureraient la prochaine révolution industrielle.

À partir des années 2000, les technologies numériques ont déjà reconfiguré de nombreux secteurs, en transformant notamment des services qui existaient déjà et, surtout, en modifiant leurs usages. Désormais, « les investisseurs se rendent compte qu’il n’y a plus beaucoup d’innovation radicale à attendre des start-up uniquement numériques », explique Xavier Duportet, entrepreneur deep tech et président de Hello Tomorrow, association qui œuvre à fédérer recherche et business. En témoignent les acquisitions récentes des géants de l’internet – Google, Apple, Facebook, Uber, ainsi qu’Elon Musk (Tesla, Space X) – dans les deep tech, viviers de chercheurs. Selon le rapport « From Tech to Deep Tech », publié en avril 2017 par Hello Tomorrow et le cabinet de conseil The Boston Consulting Groupe (BCG) (étude de 400 start-up deep tech dans 50 pays, tous secteurs confondus), les investisseurs et les entreprises s’orientent ostensiblement vers la deep tech. En 2016, 7,9 milliards de dollars ont été investis dans les biotechnologies, contre 1,7 milliard en 2011. Les investissements consacrés aux deep tech impliquées dans le secteur de l’environnement ont quadruplé, passant de 100 millions en 2009 à 416 millions de dollars en 2016. Quant aux entreprises spécialisées dans la réalité virtuelle ou la réalité augmentée, dans les technologies de l’espace et les drones, elles ont cumulé 3,5 milliards de dollars de financement en 2015, contre seulement 104 millions en 2011.

De plus en plus nombreuses sont les entreprises issues des technologies de l’information, ou du secteur du numérique en général, qui font évoluer leur stratégie en matière d’innovation vers les deep tech, à l’instar de Google qui a créé une filiale indépendante, Google Life Sciences, renommée Verily, laquelle annonçait en septembre 2016 la création d’une coentreprise avec le groupe Sanofi avec pour ambition de concevoir des objets connectés pour le suivi du diabète. De même, Uber, Apple et Google investissent dans les voitures sans conducteur, tandis que Facebook mise à la fois sur l’intelligence artificielle, les drones et la réalité virtuelle. Tous impliqués dans les deep tech, les géants de l’internet – Google, Facebook, Amazon, IBM et Microsoft – ont noué un partenariat afin d’avancer dans le domaine de l’intelligence artificielle. Ces groupes aux disponibilités de trésorerie immenses cherchent de nouveaux relais de croissance, en se fondant sur leurs capacités techniques actuelles mais aussi sur des secteurs connexes très différents des leurs.

Autrefois axés exclusivement sur le numérique, les accélérateurs de start-up s’ouvrent, eux aussi, aux deep tech, selon le rapport signé BCG-Hello Tomorrow. Parmi les plus actifs, et centré à l’origine sur le secteur des logiciels, notamment grâce à un partenariat avec les entreprises Dropbox et Airbnb, l’américain Y Combinator a participé à l’amorçage, sur un total de 192 start-up sélectionnées en 2016, de 32 deep tech dont 9 en biotechnologies, 4 dans le développement de drones et 3 dans le hardware de pointe.

Ce secteur de l’innovation fondée sur les grandes avancées technologiques, scientifiques ou d’ingénierie – ces deep technological innovations – développe des solutions nouvelles, en bouleversant non seulement les modèles économiques, mais également les modes de conception et de production. A l’origine de défis technologiques et scientifiques inédits, les deep tech sont confrontées, pour parvenir à émerger, à trois obstacles majeurs d’un niveau bien plus élevé que ceux rencontrés par les start-up de services numériques, toujours selon le rapport « From Tech to Deep Tech » :

  • une levée de fonds très importante, notamment pour l’acquisition d’équipements spécifiques et onéreux ;
  • un délai de mise sur le marché particulièrement long (dix ans), lié au temps requis par l’expérimentation, mais sous-estimé par la majorité des chercheurs ;
  • une conversion à l’échelle industrielle complexe à faire aboutir.

Pour les deep tech, la collecte des fonds nécessaires au développement de leur recherche, d’un montant plus élevé que pour les tech en général, se caractérise, en France, par l’importance des fonds publics, source de financement pour 45 % des start-up interrogées, contre 25 % aux États-Unis. La majorité (55 %) des jeunes pousses françaises de la deep tech font appel à leur famille et à leurs amis pour se financer, plus rarement aux business angels (21 % d’entre elles), aux universités (13 %), aux fonds de capital-risque (5 %) et aux grands groupes (5 %). La quasi-totalité (95 %) des start-up interrogées souhaite développer un partenariat à long terme avec un acteur majeur de l’industrie ; seules un peu plus de la moitié (57 %) y parviennent. En effet, davantage que les fonds de capital-risque, les business angels, les incubateurs et autres accélérateurs, et bien plus que les universités ou l’État, ce sont les grands groupes qui constituent, selon elles, les partenaires les plus à même de répondre à leurs attentes en matière de financement, d’accès au marché, d’expertise technique, de commerce et d’apport de moyens matériels ou humains. À condition toutefois que soient respectés, notamment, les « processus agiles », la caractéristique essentielle du fonctionnement des start-up. La collaboration entre les grands acteurs de l’industrie et les start-up de la deep tech naît d’un intérêt commun. « Pour travailler sur certaines adjacentes à leur business, les grands groupes sont obligés d’aller chercher de nouvelles idées et de les porter, explique Philippe Soussan, expert chez BCG. L’autre enjeu [pour les grands groupes] est de ne pas se faire distancer par les GAFA qui eux investissent dans les nouvelles technologies et même se disent intégrateurs naturels de deep tech. »

Mettant en garde contre le caractère non exhaustif de leur étude, les auteurs tirent toutefois des tendances différentes selon les pays. Ainsi, les États-Unis et le Royaume-Uni hébergent un nombre particulièrement important de start-up encore au stade de l’expérimentation, mais qui réussissent à combiner le développement des technologies avec une forte adaptation au marché (40 % aux États-Unis et au Royaume-Uni contre 20 % dans le reste du monde). La France, quant à elle, est surreprésentée en start-up ayant un faible niveau d’adéquation au marché. C’est ainsi que la France apparaît comme un pays qui réussit à favoriser la recherche fondamentale, et donc la création de start-up au stade de l’expérimentation, sans parvenir à soutenir efficacement leur développement. Contrairement aux États-Unis où la recherche est soutenue par l’industrie, la recherche fondamentale et la valorisation industrielle, en France, ne vont pas de pair ; peu nombreux sont les chercheurs qui deviennent chefs d’entreprise.

Pourtant, « le futur est en train de s’inventer en Europe » annonce le rapport « The State of European Tech » publié en novembre 2016 par Atomico, fonds d’investissement britannique, et Slush, association d’étudiants créatrice d’événements autour de l’innovation. Selon cette étude, 950 start-up consacrées aux deep tech ont été créées en Europe entre 2014 et 2016 (sur 9 mois) contre 1 252 aux États-Unis, dont 470 en Europe et 559 aux États-Unis pour la seule année 2015. Le nombre de transactions dans ce secteur (intelligence artificielle, internet des objets, réalité virtuelle et augmentée, hardware, sans compter les biotechnologies) est passé de 55 en 2011 à 282 en 2016 (sur 9 mois), pour un montant de capitaux investis en Europe de 289 millions de dollars en 2011, 1,33 milliard en 2015 et estimé à 935 millions en 2016. Avec 582 millions de dollars d’investissements cumulés dans les deep tech pour la période 2011-2016, la France dépasse l’Allemagne (480 millions de dollars) et se situe à la seconde place, loin derrière le Royaume-Uni (1 342 millions de dollars).

Les cinq géants américains de l’internet ont acquis au total 53 start-up deep tech européennes entre 2011 et 2016, dont 37 entre janvier 2014 et septembre 2016, selon le rapport Atomico/Slush, ce qui fait une moyenne d’un achat par mois. Parmi leurs acquisitions les plus récentes, se trouvent Cloud9IDE, Colis Privé et NICE, rachetées par Amazon en 2016 ; LinX Imaging, Faceshift, VocalIQ par Apple en 2015 ; Moodstocks et Hark en 2016, après Digisfera en 2015, par Alphabet ; Solair, MinecraftEDU et SwiftKey en 2016 par Microsoft ; ou encore Two Big Ears, MSQRD en 2016 et Pebbles Interfaces en 2015 par Facebook. En comptant l’acquisition du fabricant britannique de semi-conducteurs ARM (la plus grosse capitalisation du secteur high-tech à Londres) par le groupe de télécoms japonais SoftBank, pour 31 milliards de dollars, en juillet 2016, le montant des fusions-acquisitions dans les deep tech en Europe est évalué à 41,2 milliards de dollars sur les neuf premiers mois de 2016, contre 8,1 milliards en 2015 et 3,3 milliards de dollars en 2014. S’ajoute depuis octobre 2016 le rachat du néerlandais NXP Semiconductors (ex-Philips Semiconductors) par l’américain Qualcomm, équipementier en téléphonie mobile, pour 47 milliards de dollars.

Dans cette alliance des sciences et des technologies portées par l’intelligence artificielle, l’Europe, et notamment la France, disposent d’atouts majeurs. « Les centres d’intelligence artificielle les plus avancés sont en Europe », explique Yann de Vries, associé chez Atomico. C’est du reste un Français de renommée mondiale, Yann LeCun, qui dirige les recherches en intelligence artificielle au sein de Facebook, lequel a, en outre, choisi Paris comme ville d’accueil de son laboratoire consacré à ce domaine : le seul du groupe américain à avoir été délocalisé… Parmi les dix établissements d’enseignement en science informatique les plus réputés au monde, cinq se trouvent en Europe (ETH à Zurich, Oxford, Imperial College à Londres, EPF à Lausanne et TU Munich). L’Europe compte 4,7 millions de développeurs professionnels, contre 4,1 millions aux États-Unis. Paris en recense 134 000, se plaçant juste après Londres (300 000) et devant Berlin (82 000). « Cette nouvelle vague de technologies de pointe (deep tech), dont Paris est devenu le fer de lance, va bouleverser nos existences à bien des égards, explique Niklas Zennström, PDG d’Atomico et cofondateur de Skype. Il y a un énorme potentiel économique pour la France si elle sait profiter de cette vague. La France, et plus particulièrement Paris, se targue de compter dans ses rangs des entrepreneurs et des scientifiques de renommée mondiale. »

Parmi les neuf laboratoires totalement privés spécialisés dans la recherche en intelligence artificielle établis aujourd’hui en France, cinq appartiennent à des groupes étrangers, tels que l’américain Facebook, le chinois Huawei, le japonais Sony, et son compatriote Fujitsu qui projette d’en ouvrir un prochainement, comme l’indique le collectif « France is AI ». Pourquoi Paris ? Le Français Yann LeCun, qui a recruté plusieurs chercheurs du CNRS et de l’Inria pour le laboratoire parisien de Facebook qu’il dirige, répond : « Nous avons choisi Paris pour notre centre européen en raison de la concentration de talents en recherche informatique et en intelligence artificielle ». La fuite des cerveaux désertant les centres de recherche publics pour aller travailler dans le secteur privé fait craindre un assèchement du vivier français. Le mauvais exemple, en provenance des États-Unis, du partenariat passé entre Uber et la Carnegie Mellon University en 2015 a marqué les esprits : il s’est soldé quelques mois plus tard par la désertion d’une quarantaine de chercheurs au profit du spécialiste de la VTC. Selon François Sillion, directeur à l’Inria, institut de recherche partenaire de Facebook pour divers projets, l’incomparable niveau de salaire offert n’est pas la seule motivation. Pèsent aussi dans la balance les moyens offerts aux chercheurs par les entreprises privées pour concrétiser leurs travaux. Favorable à « un système perméable entre le public et le privé », il explique, en outre, qu’il y va de l’intérêt même des entreprises de ne pas tarir la source d’embauches.

Entre le modèle américain soutenu essentiellement par l’industrie et le modèle chinois s’appuyant sur l’État, « nous sommes entre deux mondes », résume, quant à lui, Yves Demazeau, président de l’Association française pour l’intelligence artificielle et directeur de recherche au CNRS. Et d’ajouter : « En France, notre modèle académique est très étatique mais manque de financement. Notre survie passera par l’industrie. » Il insiste aussi pour que les groupes français, à l’instar des géants américains, fassent davantage connaître leurs recherches pour attirer les cerveaux. Célébrant en 2017 son 50e anniversaire, le Leti (Laboratoire d’électronique et de technologie de l’information du CEA) est sans doute l’un des meilleurs exemples de collaboration entre un organisme public de recherche et des entreprises privées. Pionnier dans les micro et nano-technologies, le Leti, qui totalise 2 760 brevets, travaille avec 330 partenaires industriels et il a permis la création de 60 start-up. À l’occasion de la présentation en janvier 2017 du plan France IA (voir infra), Thierry Mandon, secrétaire d’État à l’enseignement supérieur, critiquait « les sociétés internationales qui pillent nos chercheurs sans payer leurs impôts en France ». Quelques mois plus tard, à quelques jours de l’élection présidentielle du 7 mai 2017, dans une tribune publiée dans Le Monde, les responsables des instances du Comité national de la recherche scientifique ont manifesté leur inquiétude face au nombre de jeunes scientifiques français qui partent s’installer à l’étranger afin de pouvoir faire aboutir leurs recherches. « La France est-elle prête à se restreindre à l’application d’une science produite ailleurs ? interrogent-ils. […] Soutenir l’emploi scientifique, attribuer aux laboratoires des financements dans la durée, limiter et simplifier la politique de financement par appels d’offres, renforcer les organismes de recherche fondamentale, constituent autant d’objectifs à atteindre. C’est à ce prix que la recherche française gardera toute sa place sur la scène internationale et participera au développement socio-économique de notre pays. »

Sources :

  • The State of European Tech, Atomico & Slush, atomico.com, November 2016.
  • « L’Europe, centre gravitationnel mondial des deep tech », Guillaume Bregeras, Les Echos, 30 novembre 2016.
  • « Paris, fer de lance de la deep tech », Le point de vue de Niklas Zennström, PDG d’Atomico et cofondateur de Skype, Les Echos, 30 novembre 2016.
  • « Europe has a chance to dominate deep tech », John Thornhill, Financial Times, ft.com, 6 February 2017.
  • « La guerre du recrutement dans l’intelligence artificielle », Lucie Ronfaut, Le Figaro, 22 mars 2017.
  • From Tech to Deep Tech, Hello Tomorrow & The Boston Consulting Groupe (BCG), media-publications.bcg.com, April 2017.
  • « La vague de la deep tech déferle sur tous les secteurs de l’économie », Florian Dèbes, Les Echos, 4 avril 2017.
  • « Le pari d’une deep tech est plus long que celui d’une start-up du web », interview d’Arnaud de la Tour, vice-président d’Hello Tomorrow par Florian Dèbes, Les Echos, 4 avril 2017.
  • « Qui sont les deep tech, ces start-up qui inventent le monde de demain ? », Amélie Moynot, chefdentreprise.com, 10 avril 2017.
  • « La recherche, ça intéresse qui ? », tribune de la Coordination des responsables des instances du Comité national de la recherche scientifique, Le Monde, 3 mai 2017.
  • « À propos du Leti. Mission et organisation », Leti, leti-cea.fr.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici