La neutralité du Net est une nouvelle fois remise en cause aux États-Unis

Le principe de neutralité du Net, consacré aux États-Unis en 2015 par la Federal Communications Commission, après bien des années de débats, est voué à être remis en cause. Le nouveau directeur de l’agence entend en effet revenir sur la décision fondatrice. Un recours devant la Cour suprême a également été exercé par plusieurs opérateurs qui en demandent l’annulation.

Le 12 juillet 2017 a été marqué par une intense mobilisation en ligne aux États-Unis. Plusieurs sites, dont ceux de plusieurs « géants » du web, ont ainsi protesté publiquement contre la décision de la Federal Communications Commission de remettre en cause le principe de neutralité du Net. Cette manifestation en ligne a pris de multiples formes, allant du hashtag #NetNeutrality sur les réseaux sociaux, jusqu’aux messages de soutien de personnalités (voir la vidéo « The Soothing Sounds of Activism : Net Neutrality » diffusée par Mozilla sur YouTube) en passant par des expressions symboliques (tels les logos « dégradés » ou pixelisés, symbolisant le manque de connexion). Nombreux sont les acteurs à avoir suivi le mouvement, inondant les internautes américains de messages d’avertissement et de sensibilisation quant au respect de leurs droits et libertés sur le web1. L’événement était bien sûr soutenu par plusieurs organisations non gouvernementales, tels Greenpeace ou encore l’American Civil Liberties Union.

Cette vague de réprobation est à la hauteur du vif débat que connaissent les États-Unis depuis quelques années quant à la consécration du principe de neutralité du Net. La dernière décision de la FCC marque ainsi un brusque retour en arrière, alors que la justice américaine venait de confirmer ce principe consacré par l’agence elle-même.

L’histoire mouvementée de la neutralité du Net aux États-Unis

Le principe de neutralité du Net intéresse autant la portée des droits des internautes que la libre concurrence des entreprises du secteur numérique. Il implique d’exclure toute discrimination à l’égard de la source, la destination ou le contenu d’une information ou d’un service. Un certain nombre de pratiques seraient ainsi interdites au nom de ce principe, tel le fait de faire payer des coûts de connexion plus élevés aux internautes désireux d’utiliser certains services, ou à l’inverse, celui de favoriser la diffusion de certains contenus par rapport à d’autres, ou bien encore le bridage total ou partiel des flux des données, y compris pour des raisons techniques.

L’idée communément admise par ce principe est d’éviter que se développe un internet à deux vitesses, où les contenus et les services ne seraient pas distribués de façon égalitaire. La neutralité du Net est présentée comme une garantie en faveur du respect des libertés des internautes, comme la liberté de communication, ainsi qu’une condition nécessaire à la libre concurrence des entreprises investissant le secteur, notamment pour les nouveaux entrants. C’est pourquoi la reconnaissance de ce principe oppose historiquement les représentants de la société civile et les entreprises du web, partisans d’un internet neutre et ouvert, aux plus importants fournisseurs de services, qui souhaitent favoriser leurs propres offres en discriminant le trafic de données.

Sur le plan juridique, la neutralité du Net a connu une histoire mouvementée aux États-Unis, sa consécration n’ayant cessé d’être débattue pendant les dix dernières années. Ses prémices remontent à 2004, avec une déclaration de la FCC relative aux « libertés d’internet »2, cette même agence ayant par la suite édicté de nouvelles règles en 20103. Néanmoins, sa compétence pour imposer la neutralité aux opérateurs se trouvait contestée en l’absence de texte reconnaissant explicitement celle-ci.

Aussi, la justice s’est prononcée à deux reprises contre la FCC en 2010 et 20144. Plusieurs propositions de loi ont également échoué entre-temps, contribuant néanmoins à vivifier le débat outre-Atlantique. Le président Barack Obama s’est par la suite engagé dans le débat public en faveur de la neutralité du Net. Bien qu’il ne puisse influer sur les décisions de l’agence, la consécration du principe connaîtra une avancée considérable en 2015.

Un principe finalement entériné par la Federal Communications Commission

Le 26 février 2015, la FCC édicta de nouvelles règles protectrices de la neutralité du Net à l’égard des opérateurs, au prix d’une requalification de ces derniers. Ceux-ci sont désormais considérés comme des services de télécommunications et non plus d’information, au sens du Telecommunications Act de 1996, ce qui donne à l’agence toute latitude pour leur imposer de nouvelles règles. Qualifiant l’internet de « bien public », la FCC a établi des lignes directrices censées gouverner son fonctionnement, dans le respect d’un principe d’égalité entre opérateurs et contenus5. Un certain nombre de pratiques se trouvaient ainsi interdites comme le blocage d’accès à des contenus, applications ou services licites ; le bridage de connexion ou les mesures de gestion du trafic basés sur une discrimination entre contenus, applications ou services ; le bridage de connexion ou les mesures de gestion du trafic basés sur une discrimination tarifaire, notamment lorsque celle-ci favorise les contenus, applications ou services affiliés ou partenaires de l’opérateur.

Comme l’a indiqué la FCC dans un communiqué, ces règles font de l’internet une plate-forme ouverte pour l’innovation, ainsi qu’un vecteur de la liberté d’expression et de la croissance économique. La décision de l’agence fut cette fois-ci confirmée par la justice, à l’occasion d’un nouveau recours. La Cour d’appel a confirmé la compétence de la FCC pour procéder à la requalification des opérateurs, ainsi que pour leur imposer de nouvelles règles de conduite6.

Mais cette victoire allait finalement être de courte durée, alors que se profilait l’élection du nouveau président des États-Unis. Aussi, la décision précitée a sonné comme un coup de tonnerre, revenant par là même sur l’une des avancées les plus saluées des dernières années.

La remise en cause de la neutralité du Net par l’administration Trump

Dès le mois de janvier 2017, un nouveau directeur fut nommé à la tête de la FCC par le président des États-Unis. Il s’agit précisément de M. Ajit Pai, déjà connu pour ses prises de position contre la neutralité du Net, notamment à l’occasion des contentieux précités. Fervent défenseur des opérateurs, ayant notamment été conseiller de Verizon, le nouveau directeur a ainsi mis en chantier une remise en cause des règles édictées en 2015, estimant que le principe de neutralité avait bridé l’investissement et l’innovation dans le secteur de la communication en ligne. L’agence s’est prononcée favorablement sur la proposition en mai dernier, ouvrant une période de débats et de consultations qui pourrait prochainement aboutir à un texte définitif. À cela s’ajoute un nouveau recours exercé fin septembre devant la Cour suprême des États-Unis par AT&T et d’autres opérateurs contre l’arrêt de la Cour d’appel ayant confirmé les règles de 2015, dont les jours semblent maintenant comptés.

La situation états-unienne tranche avec celle de l’Union européenne, où le principe de neutralité du Net a été formellement consacré par le règlement du 25 novembre 20157. La mise en œuvre pratique en a été éclairée par les lignes directrices de l’ORECE (Organe des régulateurs européens des communications électroniques) publiées l’été dernier8. Si celles-ci laissent la porte ouverte à des mesures de gestion du trafic, ces dernières devront rester exceptionnelles et strictement proportionnées à des objectifs techniques et non commerciaux. Il en est de même pour les pratiques du zero rating, qui ne peuvent affecter le libre choix des internautes (voir La rem n°38-39, p. 61).

Sources :

  1. Voir la liste des participants sur le site https ://www.battleforthenet.com/july12/
  2. M. K. Powell, « Preserving Internet Freedom : Guiding Principles for the Industry », Silicon Flatirons Symposium on « The Digital Broadband Migration : Toward a Regulatory Regime for the Internet Age », February 8, 2004.
  3. FCC Open Internet Order, 21 December, 2010.
  4. United States Court of Appeals for the District of Columbia Circuit, Comcast Corp. v. FCC, 600 F.3d 642, April 6, 2010, et Verizon Communications Inc. v. FCC, 740 F.3d 623, January 14, 2014.
  5. FCC, Protecting and promoting the open internet, adopté le 26 février 2015, disponible sur https://www.fcc.gov/document/protecting-and-promoting-open-internet-nprm.
  6. United States Court of Appeals for the District of Columbia Circuit, United States Telecom Ass’n v. FCC, DC Cir., n°15-1063 et al., June 14, 2016.
  7. Règlement n°2015/2120 du Parlement européen et du Conseil en date du 25 novembre 2015 établissant des mesures relatives à l’accès à un internet ouvert et modifiant la directive 2002/22/CE concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques et le règlement (UE) n°531/2012 concernant l’itinérance sur les réseaux publics de communications mobiles à l’intérieur de l’Union.
  8. BEREC Guidelines on the Implementation by National Regulators of European Net Neutrality Rules, 30 août 2016, disponible sur http://berec.europa.eu/.

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