Brand safety, transparence des régies : les annonceurs se font insistants, les médias jouent leur carte maîtresse

Vidéos problématiques sur YouTube Kids, contenus xénophobes ou haineux, fake news : les annonceurs exigent des garanties sur l’association de leurs messages à des contenus de qualité. Les médias saisissent l’occasion et s’allient pour offrir aux annonceurs des campagnes à l’échelle européenne.

Le marché de la publicité en ligne aime les renversements : après que les annonceurs anglo-saxons ont fait leur mea culpa sur leurs campagnes intrusives et mal maîtrisées, après qu’ils ont dénoncé les agences pour l’opacité des tarifs pratiqués, à défaut d’indiquer aux annonceurs les rabais qu’elles obtiennent des médias (voir La rem n°40, p.86), voici qu’annonceurs et agences s’en prennent désormais de concert aux régies des plateformes, notamment celles de Google et de Facebook. Certes, Facebook avait déjà été pointé du doigt dès septembre 2016, quand le Wall Street Journal avait révélé ses méthodes très conciliantes ou avantageuses de calcul de l’impact de ses publicités vidéo. Mais, depuis, la vague de protestations est forte, d’autant que la capacité des algorithmes des géants de l’internet à maîtriser les flux qui transitent dans leurs écosystèmes s’avère de facto limitée, la prolifération mal contrôlée des fake news au sein de leurs environnements en étant la preuve éclatante.

Le premier reproche concerne la brand safety, à savoir la garantie pour les marques des annonceurs d’apparaître dans un environnement publicitaire sûr et de qualité. La brand safety n’était pas un sujet d’inquiétude quand les agences de conseil et achat média associaient le message publicitaire aux contenus des médias, tout en garantissant de toucher la cible souhaitée dans un contexte éditorial adapté. En revanche, la brand safety devient un véritable problème avec le développement de la publicité programmatique, qui associe le message publicitaire prioritairement au profil de l’utilisateur, donc sans garantir de manière systématique une proximité entre la nature du message publicitaire et la nature du message éditorial. Tant que le profil de l’internaute est le bon, les messages des annonceurs peuvent donc se retrouver accolés à des contenus qu’ils désapprouvent totalement.

En l’occurrence, YouTube concentre les accusations parce qu’il accueille de nombreuses vidéos que des médias professionnels n’auraient certainement pas choisi de diffuser. Le service d’échange de vidéos détenu par Google avait été pointé du doigt une première fois en mars 2017 après les révélations du Times sur l’affichage de messages publicitaires à côté de vidéos appelant au terrorisme, de vidéos racistes et xénophobes (voir La rem n°42-43, p.92). 250 marques suspendaient dans la foulée leurs campagnes sur YouTube, qui a dû en urgence s’engager à renforcer son dispositif d’intelligence artificielle pour repérer les vidéos problématiques, tout en annonçant ne plus diffuser de publicités autour des vidéos ayant réalisé moins de 10 000 vues. Ces vidéos confidentielles sont en effet moins susceptibles de faire l’objet de signalements de la part des utilisateurs de YouTube. Mais les efforts déployés par YouTube n’ont guère été suffisants : le 21 novembre 2017, le Times révélait de nouveau que des publicités étaient accolées à des contenus problématiques, concernant cette fois-ci des mineurs, une situation d’autant plus grave qu’elle a été constatée sur le service YouTube Kids, un portail lancé en 2015. Aussitôt, les annonceurs concernés ont retiré leurs publicités.

Pourtant, YouTube avait été alerté. Le service avait déjà été pointé du doigt par les médias américains pour l’existence de vidéos « perturbantes » sur YouTube Kids. Le 4 novembre 2017, le New York Times s’était fait le relais des inquiétudes de parents choqués par certaines images sur YouTube Kids, qu’ils croyaient pourtant sécurisé car destiné aux enfants. Le 6 novembre 2017, un écrivain anglais, James Bridle, s’alarmait du détournement de dessins animés dans des vidéos parodiques violentes, comme Peppa amenée à manger sa mère dans une parodie de Peppa Pig. Il dénonçait également des chaînes amateurs où des parents instrumentalisent leurs enfants pour faire des vues sur YouTube, la chaîne Toy Freaks étant ciblée parce qu’elle est accessible sur YouTube Kids et parce qu’elle proposait des images qui révélait une possible maltraitance d’un père à l’égard de ses deux filles. Publié sur l’agrégateur de blogs Medium, ce coup de colère a bénéficié d’une bonne viralité qui a fini par convaincre des grands médias de s’y intéresser. Buzzfeed a repris l’information en s’emparant du sujet « Toy Freaks » afin d’en explorer la problématique richesse, jusqu’à l’exclusion de la chaîne de l’univers YouTube (après consultation, le site Buzzfeed a diffusé les vidéos problématiques en décembre 2017, donc après la fermeture de la chaîne YouTube – mais en avertissant du risque d’images choquantes). Enfin, YouTube a également été pointé du doigt, non pas pour des vidéos, mais pour des commentaires accompagnant des vidéos mettant en scène des enfants, certains commentaires étant tendancieux ou à caractère sexuel.

Finalement, le retrait des annonceurs britanniques après l’article du Times aura obligé YouTube à réagir en urgence pour rétablir la brand safety, et la confiance dans ses algorithmes publicitaires. Quatre jours après la publication de l’article du Times, YouTube annonçait le gel de ses initiatives dans le contenu éditorial à destination des familles et des enfants, tout en disant travailler à une liste blanche des sites adaptés aux enfants, donc aussi aux annonceurs. Cette liste sera vérifiée par des modérateurs et non pas les seuls algorithmes de YouTube. Le 27 novembre 2017, une semaine après l’article du Times, YouTube annonçait la suppression de 270 comptes d’utilisateurs et de 150 000 vidéos douteuses, tout en ajoutant avoir bloqué l’affichage de publicité sur deux millions de contenus répartis entre 50 chaînes sur YouTube Kids. Enfin, le 5 décembre 2017, Google annonçait le recrutement de 10 000 personnes en 2018 pour renforcer la modération sur ses services, soit une hausse de 25 % des effectifs de l’entreprise dans le monde. Il s’agira de modérateurs, mais également d’ingénieurs qui travailleront sur le renforcement des algorithmes de détection des propos et vidéos problématiques, principalement sur YouTube, afin de mieux identifier les contenus pour enfants qui peuvent poser problème, mais aussi les vidéos xénophobes, celles appelant au terrorisme ou encore les fake news.

L’enjeu est majeur car, à l’exception des contenus xénophobes ou appelant au terrorisme, la plupart des vidéos incriminées par les annonceurs ne sont pas illégales et respectent les conditions de publication sur YouTube. Elles sont en revanche problématiques pour certains publics, comme les enfants, mais aussi pour les annonceurs qui ne veulent pas être accusés de financer des contenus contraires aux valeurs auxquelles ils souhaitent être associés. C’est la raison pour laquelle le recours à des modérateurs s’impose pour les cas les plus complexes. En même temps, ce travail de modération sera exploité par les systèmes d’apprentissage automatique de Google, afin que l’intelligence artificielle puisse traiter à l’avenir un nombre plus important de contenus douteux. En effet, avec 400 nouvelles heures de vidéo postées sur YouTube chaque minute, le recours aux algorithmes et à des capacités massives de traitement est inévitable, pour ne laisser aux modérateurs que la part la plus subtile des contenus à évaluer. C’est ce qu’a rappelé Google en mettant en avant la performance de ses algorithmes. En novembre 2017, 98 % des vidéos retirées de YouTube avaient été identifiées par des algorithmes, contre 76 % en août 2017.

De ce point de vue, 2018 doit être l’année de la reconquête de la confiance pour YouTube, un message que Google a cherché à faire passer aux annonceurs en durcissant encore ses règles d’affichage des publicités le 17 janvier 2018. Après avoir imposé, en avril 2017, au moins 10 000 vues pour accéder au « programme partenaire » de YouTube, lequel permet de monétiser ses contenus avec la publicité, le service d’échange de vidéos impose en outre, à compter du 20 février 2018, qu’une chaîne ait au moins 1 000 abonnés et cumule 4 000 heures de visionnage sur les douze derniers mois pour accéder au « programme partenaire ». Il n’en demeure pas moins que ces critères quantitatifs ne sont pas une garantie de qualité, même s’ils peuvent en être un indicateur. Ils sont en revanche des marqueurs de « l’engagement » des utilisateurs, lequel est la garantie d’une meilleure attention, donc d’une meilleure mémorisation des messages des annonceurs. YouTube ne s’y trompe pas puisqu’il va permettre aux annonceurs de choisir le degré de risque qu’ils acceptent d’endosser dans l’affichage de leurs campagnes.

L’inventaire publicitaire sur YouTube est ainsi divisé en trois parties, avec les vidéos les plus sûres d’un côté, celles qui garantissent moins la brand safety de l’autre mais génèrent en revanche un plus fort engagement. Ce peut être enfin les cas des vidéos sur les chaînes des membres du programme Google Preferred, qui fédère les 5 % de chaînes des youtubeurs suscitant l’engagement le plus fort. Ainsi, le youtubeur PiewDieDie affiche l’une des plus grosses communautés sur YouTube, mais il a tenu des propos antisémites et nazis sur sa chaîne, comme l’a révélé le New York Times en février 2017. Ce fut le cas encore pour le youtubeur Logan Paul qui a eu la bonne idée de se filmer à côté d’un pendu pendant la nuit du réveillon. Pour éviter de tels dérapages, YouTube a confirmé que ces chaînes très « engageantes » vont faire l’objet d’une vérification humaine, une par une, pour ne pas confondre la performance quantitative, le nombre de vues, et la qualité : aux annonceurs d’apprécier…

Révélateur des tensions entre annonceurs et services en ligne, le débat sur le contrôle par YouTube des images qu’il héberge aura rappelé la nécessité d’un meilleur contrôle du marché publicitaire en ligne, mais également des offres éditoriales en ligne. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a ainsi proposé un élargissement de ses prérogatives aux contenus vidéo sur internet. Côté annonceurs, les initiatives françaises se veulent également précurseurs car elles ont abouti à la fois à la création d’un label de qualité, et à une mutualisation des données pour optimiser l’efficacité de la communication sans nuire à l’expérience des internautes.

La création d’un label de qualité pour les sites et les régies en ligne est une innovation, car jusqu’alors les annonceurs avaient procédé par exclusion des sites pratiquant la fraude au clic, tel le Trustworthy Accountability Group (TAG) lancé par l’IAB (Internet Advertising Bureau) aux États-Unis. En se mettant d’accord sur les bonnes pratiques, le Syndicat des régies internet (SRI), l’IAB France, l’Udecam (Union des entreprises de conseil et achat média) ou encore le Geste, qui regroupe les éditeurs de services en ligne, l’Union des annonceurs (UDA), l’ARPP (Autorité de régulation professionnelle de la publicité) ont pu, en France, déterminer cinq critères pour qu’un site bénéficie du label Digital Ad Trust (DAT). Présentés le 7 décembre 2017, ces critères devront faire l’objet d’une mesure par des tiers indépendants et certifiés, effectuée par le Media Rate Council américain, mais qui devrait à terme être prise en charge par son équivalent européen, l’European Visibility Certification Framework (EVCD).

La liste des premiers sites bénéficiant du label DAT devrait être présentée en mars 2018. Il s’agit clairement, avec le DAT, d’imposer la brand safety en garantissant aux marques l’affichage de leurs messages autour de contenus non problématiques, mais aussi sur des sites ne pratiquant pas d’affichage publicitaire agressif (pop-upautoplay). Cette exigence devrait être satisfaite par de nombreux sites puisque Google avait annoncé l’application de sa politique de blocage des publicités intrusives affichées dans Chrome à partir du 15 février 2018. Comme il s’agit du premier navigateur utilisé en France, les sites auront tout intérêt à déployer d’autres formats publicitaires. Mais la lutte contre les formats publicitaires agressifs peut également se retourner contre les annonceurs. Ainsi, la version 11 de Safari bloque depuis le 11 septembre 2017 les cookies associés aux sites web quand ces derniers ne sont pas consultés durant trente jours, ce qui limite d’autant les possibilités de ciblage publicitaire proposées par des sociétés comme Criteo, spécialiste du retargeting. Un dernier critère concerne les données personnelles des internautes, à savoir le respect du règlement européen sur la protection des données personnelles (RGPD), applicable dès le 25 mai 2018 (voir La rem n°42-43, p.21).

Le même jour, l’UDA tenait sa réunion annuelle et prenait également des décisions importantes. La première d’entre elles concerne la traçabilité des campagnes, la fraude au clic et la brand safety. Un référentiel de l’efficacité des campagnes sera ainsi lancé en 2018 qui doit permettre de comparer l’efficacité des campagnes en ligne et à la télévision, un média pour lequel l’environnement est sûr, mais le ciblage difficile. Ce référentiel imposera le recours aux tiers de confiance, y compris pour Facebook ou Google qui proposent chacun leurs propres outils de mesure de la performance publicitaire. S’ajoute à ce référentiel un programme FAIRe pour la communication responsable, lancé le 16 février 2018 : lutte contre les stéréotypes sexistes dans les publicités, prise en compte de la pression publicitaire : autant d’engagements que les annonceurs signataires s’engagent à respecter. Enfin, les grands annonceurs français se sont mis d’accord pour mutualiser une partie des données de leurs clients pour, en les croisant, cibler davantage leurs messages publicitaires. Cette plateforme commune, baptisée Quality Open Platform (QOP), sera donc un contrepoids important aux bases de profils établies par Facebook ou Google, et constitue ainsi une alternative pour les régies des médias qui travailleront avec les annonceurs réunis au sein de l’UDA.

Enfin, les annonceurs se mobilisent également contre la fraude au clic. À travers la World Federation of Advertisers (WFA), ils ont saisi Europol afin que l’Union européenne lutte plus efficacement contre les fermes à clics ou les robots divers et variés qui augmentent les revenus publicitaires des sites web par des campagnes massives de faux clics.

Confronté au malaise des annonceurs, les médias avancent de leur côté une réponse rassurante. Alors que les grandes plateformes d’hébergement comme YouTube ou Facebook ont du mal à contrôler les messages qu’elles accueillent, les médias mettent en avant leurs régies qui garantissent une communication publicitaire dans un environnement où l’éditeur contrôle l’affichage, et peut même s’engager sur la nature premium des contenus. Ainsi, après les alliances des médias français dans les régies Gravity et Skyline (voir La rem n°44, p.32) succèdent désormais les régies de taille européenne. TF1, ProSiebenSat1 et Mediaset, présents tout à la fois en Italie et en Espagne, s’étaient déjà alliés au sein de Studio71 pour créer un réseau européen de chaînes YouTube (voir La rem n°41, p.37). Ils sont désormais associés, avec le britannique Chanel 4, dans une régie commune réunissant les espaces en ligne des différents groupes. Baptisée European Broadcaster Exchange (EBX), cette régie permet aux annonceurs de lancer des campagnes à l’échelle européenne dans un environnement vidéo de qualité, et avec un ciblage des audiences affiné puisqu’il s’agit de publicité programmatique. Elle répond donc aux souhaits des annonceurs globaux et s’impose ainsi comme une alternative premium aux inventaires proposés par YouTube ou Facebook, qui garantissent une empreinte européenne, mais ont plus de mal à garantir la brand safety.

Sources :

  • « Safari 11 : Apple crache dans la soupe des publicitaires », Christophe Auffrey, zdnet.fr, 15 septembre 2017.
  • « On YouTube Kid, startling videos slip past filters », Sapna Maheshwari, nytimes.com, November 5, 2017.
  • « Something is wrong on the Internet », James Bridle, medium.com, November 6, 2017, https://medium.com/@jamesbridle/something-is-wrong-on-the-internet-c39c471271d2
  • « Fraude publicitaire : la fédération des annonceurs monte au créneau », Véronique Richebois, Les Echos, 9 novembre 2017.
  • « Chanel4 s’allie à TF1 et Mediaset face aux Gafa », Marina Alcaraz, Les Echos, 15 novembre 2017.
  • « This Dad Got Kicked Off YouTube For Making Disturbing Videos Of His Daughters That Millions Of People Watched », Remy Smitd, buzzfeed.com, November 21, 2017.
  • « YouTube attaqué sur ses contenus pour enfants », Nicolas Madelaine, Les Echos, 22 novembre 2017.
  • « YouTube plongé dans la polémique », Véronique Richebois, Les Echos, 27 novembre 2017.
  • « YouTube supprime 150 000 vidéos polémiques sur les enfants », Lucie Ronfaut, Le Figaro, 29 novembre 2017.
  • « YouTube va mobiliser dix mille modérateurs sur ses contenus sensibles », Elsa Trujillo, Le Figaro, 6 décembre 2017.
  • « YouTube renforce sa surveillance des contenus », Sébastien Dumoulin, Les Echos, 6 décembre 2017.
  • « Pub digital : la filière crée un label de qualité », Alexandre Debouté, Le Figaro, 7 décembre 2017.
  • « Pub en ligne : le bras de fer se durcit entre annonceurs et Gafa », Véronique Richebois, Les Echos, 8 décembre 2017.
  • « Les annonceurs pointent une crise de confiance », Alexandre Debouté, Le Figaro, 8 décembre 2017.
  • « Après Apple, Google s’engage dans la lutte contre les publicités intrusives », Alexandre Debouté, Le Figaro, 21 décembre 2017.
  • « Les annonceurs prônent une publicité responsable », Alexandre Debouté, Le Figaro, 17 janvier 2018.
  • « YouTube durcit sa monétisation », Chloé Woitier, Le Figaro, 18 janvier 2018.
  • « YouTube durcit ses règles pour rassurer les annonceurs », Leïla Marchand, Sébastien Dumoulin, Les Echos, 18 janvier 2018.

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