La protection du secret des affaires

La loi n° 2018-670 du 30 juillet 2018.

L’élaboration de la loi sur le secret des affaires avait suscité beaucoup de réactions d’opposition qui, avant sa promulgation, ont conduit à la saisine du Conseil constitutionnel. Dans sa décision n° 2018-768 DC, du 26 juillet 2018, celui-ci en a cependant validé l’ensemble des dispositions. Le texte a donc pu être promulgué le 30 juillet 2018. Après avoir brièvement évoqué le contenu général de la loi, il convient de considérer particulièrement la manière dont est assurée la conciliation entre le secret des affaires et la liberté de communication.

Contenu général de la loi sur le secret des affaires

La loi du 30 juillet 2018 introduit notamment, dans le Livre Ier du code de commerce, un nouveau titre V, relatif à la protection du secret des affaires, composé d’une vingtaine d’articles.

De manière notable, celui-ci est, dans ses premiers éléments au moins, clairement et rigoureusement organisé : « Chapitre Ier.- De l’objet et des conditions de la protection (Section 1.- De l’information protégée ; Section 2.- De la détention légitime et de l’obtention licite d’un secret des affaires ; Section 3.- De l’obtention, de l’utilisation et de la divulgation illicites ; Section 4.- Des exceptions à la protection du secret des affaires) ; Chapitre II.- Des actions en prévention, en cessation ou en réparation d’une atteinte au secret des affaires (Section 1.- Des mesures pour prévenir et faire cesser une atteinte au secret des affaires ; Section 2.- De la réparation des atteintes au secret des affaires ; Section 3.- Des mesures de publicité ; Section 4.- Des sanctions en cas de procédure dilatoire ou abusive) ; Chapitre III.- Des mesures générales de protection du secret des affaires devant les juridictions civiles et commerciales ; Chapitre IV.- Conditions d’application ».

Doit être retenue notamment la définition que le nouvel article L. 151-1 dudit code donne de « l’information protégée ». Il y est posé qu’il s’agit de « toute information répondant aux critères suivants : 1° elle n’est pas, en elle-même ou dans la configuration et l’assemblage exacts de ses éléments généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d’informations en raison de leur secteur d’activité ; 2° elle revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret ; 3° elle fait l’objet, de la part de son détenteur légitime, de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret ».

Déterminant les « modes d’obtention licite d’un secret des affaires », ainsi admis à la protection, l’article L. 151-3 mentionne : « 1° une découverte ou une création indépendante ; 2° l’observation, l’étude, le démontage ou le test d’un produit ou d’un objet qui a été mis à la disposition du public ou qui est de façon licite en possession de la personne qui obtient l’information ».

Par la même loi, est introduit, au Livre VI du code de la justice administrative, un titre sur « la procédure ordinaire », comportant un chapitre qui traite de « la communication de la requête et des mémoires », dont une section est consacrée à « la protection des pièces couvertes par le secret des affaires ».

Dans les codes du commerce, du cinéma et de l’image animée, des douanes, de l’énergie, de l’environnement, de la propriété intellectuelle, des relations entre le public et l’administration, rural et de la pêche maritime, de la santé publique, de la sécurité sociale et des transports, s’agissant des secrets, les mots « industriel et commercial »« en matière commerciale et industrielle » ou « de fabrication et de commerce » sont remplacés par « des affaires ». Pourtant, n’étaient-ils pas plus explicites et plus précis quant à la détermination de leur objet ?

Secret des affaires et liberté de communication

Diverses dispositions nouvelles visent à assurer la conciliation entre le secret des affaires et la liberté de communication. La section 4 du chapitre relatif à « l’objet » et aux « conditions de la protection » est, pour cela, consacrée aux « exceptions à la protection du secret des affaires ».

Le nouvel article L. 151-8 du code de commerce dispose que, « à l’occasion d’une instance relative à une atteinte au secret des affaires, le secret n’est pas opposable lorsque son obtention, son utilisation ou sa divulgation est intervenue : 1° pour exercer le droit à la liberté d’expression et de communication, y compris le respect de la liberté de la presse, et à la liberté d’information telle que proclamée dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ; 2° pour révéler, dans le but de protéger l’intérêt général et de bonne foi, une activité illégale, une faute ou un comportement répréhensible, y compris lors de l’exercice du droit d’alerte défini à l’article 6 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 […] ; 3° pour la protection d’un intérêt légitime reconnu par le droit de l’Union européenne ou le droit national ».

Par l’article suivant, il est posé que, dans la même circonstance, « le secret n’est pas opposable lorsque : 1° l’obtention du secret des affaires est intervenue dans le cadre de l’exercice du droit à l’information et à la consultation des salariés ou de leurs représentants ; 2° la divulgation du secret des affaires par des salariés à leurs représentant est intervenue dans le cadre de l’exercice légitime, par ces derniers, de leurs fonctions ».

Considérant, parmi les moyens de « réparation d’une atteinte au secret des affaires », la possibilité que soient ordonnées des mesures de « publicité de la décision » et « notamment son affichage ou sa publication intégrale ou par extraits dans les journaux ou sur les services de communication en ligne », l’article L. 152-7 précise cependant que « lorsqu’elle ordonne une telle mesure, la juridiction veille à protéger le secret des affaires ».

Bien que la notion de « secret des affaires » puisse apparaître plus large et imprécise que celles de « secret industriel et commercial » ou « de fabrication et de commerce », précédemment utilisées, la détermination des informations ainsi protégées et des « exceptions à la protection du secret », objet des dispositions nouvelles, devrait assurer une juste conciliation entre ce secret et la liberté de communication.

CONTRÔLE DE CONSTITUTIONNALITÉ DES DISPOSITIONS DE LA LOI SUR LE SECRET DES AFFAIRES

Conseil constitutionnel, décision n° 2018-768 DC du 26 juillet 2018.

Saisi par des députés et des sénateurs de l’opposition de diverses dispositions de la loi votée visant à assurer, par des éléments à introduire dans le code de commerce, la « transposition », en droit français, de la directive européenne 2016/943, du 8 juin 2016, « sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulguées (secrets d’affaires) contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites », le Conseil constitutionnel, dans la décision n° 2018-768 DC, du 26 juillet 2018, les déclare toutes conformes à la Constitution. La décision fait d’abord mention, d’une manière générale, de la limitation du pouvoir d’appréciation du Conseil constitutionnel à l’égard des lois de transposition, en droit interne, des textes de droit européen. Dans ce cadre, elle fait ensuite application du pouvoir d’appréciation du Conseil constitutionnel à l’égard des dispositions qui lui sont soumises.

Limitation du pouvoir d’appréciation

De manière générale, le Conseil constitutionnel fait rappel de ce qu’« aux termes de l’article 88-1 de la Constitution : « La République participe à l’Union européenne » » et que, en conséquence, « tant la transposition en droit interne d’une directive […] que le respect d’un règlement de l’Union européenne, lorsqu’une loi », comme en l’espèce, « a pour objet d’y adapter le droit interne, résultent d’une exigence constitutionnelle ». Il ajoute que si « la transposition d’une directive ou l’adaptation du droit interne à un règlement ne sauraient aller à l’encontre d’une règle ou d’un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France […] en l’absence de mise en cause d’une telle règle ou d’un tel principe, le Conseil constitutionnel n’est pas compétent pour contrôler la conformité à la Constitution de dispositions législatives qui se bornent à tirer les conséquences nécessaires de dispositions inconditionnelles et précises d’une directive ou […] ou d’un règlement de l’Union européenne ». Il appartiendrait éventuellement aux juges saisis d’un litige, de saisir, à leur tour, d’une question préjudicielle, la Cour de justice de l’Union européenne. C’est dans ce cadre que le Conseil constitutionnel fait application de son pouvoir d’appréciation quant à la conformité à la Constitution des dispositions qui lui sont soumises.

Application du pouvoir d’appréciation

Se livrant à l’appréciation des dispositions votées qui lui sont soumises, le Conseil constitutionnel, prenant en compte la détermination des informations « couvertes par le secret des affaires », en considère notamment la conformité aux principes de liberté de communication, de liberté d’entreprise et d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi.

À l’inverse des parlementaires auteurs de la saisine, qui dénonçaient « une définition large et imprécise des informations couvertes par le secret des affaires », le Conseil constitutionnel estime que, aux termes des dispositions en cause, est seule appelée à être « protégée, au titre du secret des affaires », une « information répondant aux trois critères suivants : elle ne doit pas être généralement connue ou aisément accessible[…] ; elle doit revêtir une valeur commerciale du fait de son caractère secret ; elle doit faire l’objet, de la part de son détenteur légitime, de mesures de protection raisonnables pour en protéger le secret ». Il relève encore qu’« une des conditions pour que l’utilisation ou la divulgation d’un secret d’affaire soit illicite et puisse faire l’objet d’une des mesures de protection prévue […] est qu’il ait été obtenu de manière illicite ou que cette divulgation ou cette utilisation se fasse en violation d’une obligation de ne pas divulguer le secret ou de limiter son utilisation ».

Le Conseil constitutionnel a été saisi de diverses dispositions dont il était prétendu qu’elles porteraient atteinte à la liberté de communication tant desdits lanceurs d’alerte, que des journalistes, y incluant la protection de leurs sources d’information, ou pour les personnels d’une entreprise. Il les déclare pourtant toutes « conformes à la Constitution ». Conformément à la limitation du pouvoir d’appréciation qui est le sien à l’égard des lois de transposition d’une directive européenne, le Conseil constitutionnel mentionne que les dispositions contestées « se bornent à tirer les conséquences nécessaires des dispositions inconditionnelles et précises de l’article 2 de la directive du 8 juin 2016 » et que, par suite, il ne lui appartient pas « de se prononcer sur le grief tiré de ce que la définition du secret des affaires […]méconnaîtrait la liberté d’expression ».

Concernant les lanceurs d’alerte, qui bénéficient désormais de la protection que leur accorde la loi n° 2016-1691, du 9 décembre 2016, le Conseil constitutionnel relève que, aux termes de l’une des dispositions contestées, « le secret des affaires n’est pas opposable, à l’occasion d’une instance relative à une atteinte à ce secret, lorsque son obtention, son utilisation ou sa divulgation vise à révéler, dans le but de protéger l’intérêt général et de bonne foi, une activité illégale, une faute ou un comportement répréhensible » et qu’il « résulte des termes mêmes » de la disposition en cause que « cette exception bénéficie non seulement aux personnes physiques exerçant le droit d’alerte […] mais aussi à toute autre personne ayant agi » dans ce cadre et à cette fin.

Les députés requérants considéraient par ailleurs que, « en permettant de porter le litige relatif au secret des affaires devant les juridictions commerciales » qui, selon eux, « ne seraient pas, compte tenu de leur composition, « de nature à assurer le respect des garanties procédurales dues à la liberté d’expression en raison de leur partialité structurelle en faveur des entreprises » », il serait ainsi porté atteinte à cette liberté. À cela, le Conseil constitutionnel oppose le fait que « l’attribution aux juridictions commerciales d’une compétence en matière de contentieux relatifs au secret des affaires ne résulte pas des dispositions » en cause, les seules dont il peut alors connaître et, en conséquence, que « le grief doit donc être écarté ».

S’agissant de ladite transposition en droit interne d’une directive européenne, la marge de détermination et d’appréciation, tant du législateur que du Conseil constitutionnel, est limitée. Contrairement aux arguments avancés par les parlementaires de l’opposition, il est considéré que, par les dispositions contestées, un juste équilibre est assuré entre le nécessaire respect du secret des affaires et les garanties essentielles de la liberté de communication.

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