Le business des autres : mythes et réalités du Web 2.0

Le Web 2.0 est une expression devenue leitmotiv qui s’applique à tout et à n’importe quoi dès lors que l’activité en ligne de type « Web 2.0 » implique l’internaute d’une manière ou d’une autre. Employée ainsi, l’expression Web 2.0 ne signifie plus grand chose : quel rapport y a-t-il entre le blog de son enfant, avec ses quelques photos de stars ou d’anniversaire, et l’encyclopédie en ligne Wikipedia ? En revanche, quel que soit son domaine d’application, l’expression Web 2.0 se définit par opposition au Web 1.0, qu’il soit valorisé quand il s’agit de l’internaute participatif opposé au journaliste ou aux médias traditionnels, ou qu’il se veuille innovateur si l’on considère ses acteurs ou modèles économiques.

Le Web 2.0 est d’abord le Web des autres, en ce qu’il n’est plus conçu par les médias professionnels et leurs journalistes reconnus. C’est le Web fait par tous et par personne. Ainsi, l’homme de l’année 2006 pour le magazine Time1, c’est seulement « You », l’internaute participatif, sans références particulières, par opposition aux « sujets » ou « acteurs » jusqu’ici primés pour leur impact personnel sur la scène mondiale. Le Web 2.0, c’est donc celui des internautes indéfinis, sans fonction, parfois même sans nom pour ceux qui recourent aux « pseudos », celui, à coup sûr, des internautes sans statut.

Mais le Web 2.0 est aussi et, depuis sa naissance, le Web des start-up et de l’argent. A cet égard, le Web 2.0 est assez proche, par ses ambitions, des promesses tenues par les promoteurs du Web 1.0 à la fin des années 1990. Car les sites qui diffusent les informations, photographies, vidéos proposées par l’internaute lambda appartiennent le plus souvent à des start-up ou à des grands groupes qui mettent à disposition les outils logiciels de communication en ligne. Au final, les autres, ces internautes sans statut, travaillent sans y penser nécessairement aux succès de Google, de Rupert Murdoch, d’e-Bay … autant d’acteurs de la communication présents à l’échelle mondiale mais qui apparaissent dans le Web 2.0 sous un autre visage. Ils ne sont plus là, en apparence, pour vendre leurs contenus comme le faisaient les portails liés aux médias traditionnels. Ils offrent à tous un espace de liberté … qui reste pourtant balisé de liens promotionnels.

Business pour les uns, moyen de communiquer pour les autres, le Web 2.0 finance les intermédiaires et amuse les internautes. La stratégie participative rappelle certes les méthodes de partage désintéressé à l’origine du tout premier Internet, le Web 0.0, celui inventé par les chercheurs américains de l’UCLA (le groupe en charge du projet Arpanet résidait à l’Université de Californie, à Los Angeles). En effet, pour utiliser les premiers réseaux de communication en ligne, les chercheurs et les universités devaient s’engager à contribuer à l’enrichissement du service : « celui qui utilise contribue », comme l’explique Michel Ellie2, l’un des fondateurs du premier réseau Internet.

Mais la banalisation d’Internet a substitué aux chercheurs les internautes pressés de mettre en ligne leur intimité ou leurs créations. Reste toutefois une question : les internautes qui offrent des vidéos, des photographies, des informations, parce qu’ils sont d’abord des citoyens qui bénéficient des protections traditionnelles en matière de propriété intellectuelle, demanderont un jour la reconnaissance juridique et financière de leur participation aux sites qu’ils enrichissent au sens propre et au sens figuré. A cet égard, l’exemple du rachat en octobre 2006 de YouTube par Google pour 1,65 milliard de dollars est hautement significatif des ambiguïtés du Web 2.0 en termes de création de valeur : avec trente millions de visiteurs uniques par mois, ce site d’échange de vidéos diffuse des créations sur lesquelles YouTube n’a aucun droit, qu’il s’agisse des créations personnelles des internautes et moins encore des images produites par des professionnels et diffusées sans la moindre rémunération des ayants droit.

Enfin, la constitution de gigantesques bases de données sur les internautes pour développer le marketing communautaire, pour affiner le ciblage des campagnes publicitaires en ligne, posera également un jour le problème du respect des données personnelles.

Pour mieux comprendre ce qu’est le Web 2.0, il faut donc s’interroger sur le sens initial de l’expression, sur la réalité des pratiques, sur les problèmes éthiques et juridiques posés par le « Web participatif » au regard des enjeux économiques qui y sont liés.

Du Web 1.0 au Web 2.0

L’expression « Web 2.0 » ne renvoie pas directement à un ensemble précis de solutions techniques, ni à des usages particuliers, ni à un secteur économique original lié au Web. Pourtant, l’expression désigne bien une évolution des techniques, des usages et des modèles économiques sur Internet. Deux éléments caractérisent notamment le Web 2.0 : la participation des internautes et le recours à des solutions décentralisées. Mais cette évolution est d’abord pensée en rupture avec l’Internet de la fin des années 1990 et du début des années 2000 – autrement dit le Web dans sa version 1.0.

La notion de Web 2.0 a été avancée une première fois en 2004 par Dale Dougherty, mais c’est son collègue Tim O’Reilly qui l’a vraiment popularisée en 2005 dans un texte référence intitulé Qu’est-ce que le Web 2.0 ?3

Dans ce texte, Tim O’Reilly confronte deux versions d’Internet à chaque fois en recourant à des oppositions, celle entre Netscape et Google, celle entre DoubleClick et AdSense, enfin celle entre Akamai et BitTorrent. De ces oppositions émerge une nouvelle manière de construire Internet, d’utiliser ses potentialités et de le rentabiliser.

Le Web 2.0 est d’abord une nouvelle manière de concevoir le réseau. L’opposition Netscape vs Google est exemplaire. Nestcape est un navigateur, c’est-à-dire un moyen d’accéder au Web et à ses contenus. Mais Netscape n’est qu’une plate-forme close, proposant quelques contenus propres. Il ne permet pas de découvrir la richesse d’Internet. Avec Google, tout change. Le site n’est plus qu’un intermédiaire entre le navigateur et les éditeurs de contenus. C’est une fonction, un service : sans lui, trouver ce que l’on cherche sur le Web serait impossible. Autant dire que Google crée le réseau pour ses utilisateurs. Il intègre complètement ce qui caractérise le Web 2.0 : l’abandon des plate-formes, l’idée qu’Internet est un support pour des sites, au profit de la notion de réseau, l’idée qu’Internet est avant tout une manière de mettre en rapport des contenus nombreux, séparés et distincts.

En ce qui concerne le réseau et ses potentialités, l’opposition Akamai vs BitTorrent met en avant l’importance de la participation des internautes. Akaimai est un service d’hébergement de sites. Il s’adresse donc aux éditeurs et s’appuie sur des clients professionnels. Toute augmentation du trafic impose d’investir dans de nouveaux serveurs. BitTorrent fonctionne à l’inverse sur le principe du peer to peer. C’est un logiciel qui permet d’échanger des fichiers sans passer par un serveur centralisé. Chaque utilisateur apporte avec lui sa bande passante et la qualité du service augmente avec le nombre des utilisateurs : plus nombreux sont ceux qui échangent un fichier, plus rapide sera le téléchargement. Tout ceci sans avoir à investir dans de nouvelles infrastructures.

Dernier élément, mais peut-être le plus important : le Web 2.0 impose un nouveau modèle économique sur Internet, basé sur la capacité à toucher des millions de petits clients plutôt que de se concentrer sur quelques grands budgets. C’est ce qui oppose Double- Click à AdSense.

Ces deux logiciels permettent de gérer la publicité en ligne. Le premier gère la mise en ligne des publicités de clients importants, et il repose sur une architecture centralisée. Le second, AdSense, est le logiciel proposé par Google. Il se présente comme un service facilement utilisable : chaque éditeur de site Web, qu’il s’agisse d’un grand site institutionnel ou du site d’une petite entreprise, peut directement utiliser AdSense pour quelques centimes le click. En dernier ressort, Google a des milliers d’annonceurs, peut-être petits, mais dont le nombre garantit des revenus conséquents. L’idée est simple : parce que le Web se compose de quelques grands sites et de millions de petits sites – ce que l’on appelle the long tail (« la longue traîne » en français, comme les confins d’une galaxie), il est possible de rentabiliser un service en multipliant les micro-paiements. Autre exemple d’une telle stratégie : le site eBay, qui sert d’intermédiaire entre des particuliers, permet des ventes occasionnelles moyennant quelques dollars par transaction. Facilitateur d’échanges, le site e-Bay est rentable parce que le nombre de ses utilisateurs renforce la qualité de son offre (le plus grand marché du monde), en même temps que son chiffre d’affaires.

C’est la grande nouveauté du Web 2.0. En s’appuyant sur la participation des internautes, un site peut proposer une offre de contenus autrement impossibles à réunir à moindre coût. Reste ensuite à profiter de cet effet de club pour rentabiliser le site et générer du trafic. Les exemples de cet Internet participatif – ou plutôt de co-production alliant l’éditeur du site et les internautes – sont nombreux. Le principe de co-production caractérise ainsi les succès du Web de deuxième génération : MySpace (équivalent américain du SkyBlog français), Flickr (base de données de photographies mises à disposition par les internautes), Craiglist (site d’annonces en ligne), ou encore YouTube, DailyMotion (sites d’échange de vidéos).

Le Web 2.0 en pratiques

La réalité des pratiques caractéristiques du Web 2.0 conduit cependant à nuancer le jugement positif sur la participation des internautes. Celle-ci est toute relative, quand elle n’est pas seulement anecdotique. Il y a bien sûr les blogs des particuliers, sortes de journaux intimes sans prétention qui n’intéressent qu’un cercle familial, ou des passionnés. Il y a peut-être les avatars – ces personnages fictifs de Second Life, un monde virtuel en ligne. Mais s’agit-il encore du Web 2.0 quand la participation devient à ce point fantasmée qu’elle impose une distance avec la réalité de l’internaute, à l’instar de ce qui existe dans les jeux de rôle ?

Il y a, plus sérieusement, les sites collaboratifs à vocation informationnelle. Pour ces derniers, les études scientifiques révèlent que les internautes contributeurs, s’ils remplacent les journalistes traditionnels ou les experts, se recrutent dans les catégories socioprofessionnelles qui sont justement celles des experts ou des journalistes. Autant dire que l’illusion de la participation universelle est toute relative quand le contenu diffusé exige un minimum de compétences.

L’exemple assurément le plus significatif est celui de l’encyclopédie en ligne Wikipedia. Se présentant comme une « encyclopédie libre, gratuite, universelle, multilingue et écrite collaborativement sur Internet »4, Wikipedia utilise la technologie « wiki » (ce qui signifie « rapide » en hawaïen) qui permet d’écrire un article en ligne et de le modifier à volonté. Elle fait ainsi émerger une forme d’« intelligence collective » comparable en qualité et en richesse à ce que peuvent proposer les articles scientifiques de l’encyclopédie Britannica5. En effet, toute erreur ou toute approximation pouvant être corrigée, la somme des relectures et des corrections apportées par les internautes conduit à éliminer des textes proposés la plupart des scories jusqu’à produire un texte documenté et fiable.

Or l’intelligence collective a un prix, celui de la compétence. Ainsi, le recensement des internautes ayant écrit un article révèle que moins de 20 % des contributeurs produisent à eux seuls plus de 80 % des articles. Ces même contributeurs bénéficient pour leur participation du statut d’administrateur qui leur permet de surveiller les publications, en précisant notamment que l’article ne respecte pas les conditions requises de neutralité. Les administrateurs peuvent même censurer certaines participations. Ainsi, l’encyclopédie Wikipedia, symbole de toutes les libertés, n’échappe pas à une certaine forme de professionnalisation. Son fondateur, Jimmy Wales, envisage d’ailleurs de commercialiser des DVD-Rom Wikipedia qui contiendraient les articles les plus aboutis. Une telle édition a déjà était lancée en Allemagne.

Enfin, si Wikipedia est un site collaboratif, gratuit et à but non lucratif, il n’en est pas de même pour la plupart des sites collaboratifs du Web 2.0. Le site coréen d’information en ligne OhmyNews, rédigé par des « citoyens reporters »6, est lu par deux millions de personnes chaque jour. Les articles proposés sont relus par 35 journalistes professionnels. Et le site, qui finance son activité par la publicité et des abonnements, rapporte de l’argent à son PDG, Oh Yeon Ho.

Quant aux sites dédiés au divertissement, plus encore que les sites collaboratifs d’information, leur objectif est généralement financier. A quelques exceptions près, les sites d’échange de vidéos comme YouTube ou DailyMotion, les sites de « networking » (réseau social) comme MySpace, les sites d’échange de photographies comme Flickr ont tous une dimension économique avérée. Ils se financent par la publicité et ambitionnent de devenir les supports les plus réactifs et les plus efficaces auprès des annonceurs. En effet, l’intérêt des internautes pour ces supports communautaires permet pour la première fois dans l’histoire des médias de constituer des bases de données sur les particuliers avec des informations jusqu’ici confinées dans la sphère privée. En réalité, les éditeurs de sites communautaires ont une connaissance très fine de leurs utilisateurs qu’ils vendent ensuite aux annonceurs. Se développe ainsi un marketing en ligne très ciblé, très réactif.

Mais les internautes qui participent « en toute liberté » à l’enrichissement des services en apparence gratuits que leur offrent les start up du Web 2.0 risquent un jour de s’alarmer de la surveillance à laquelle ils sont soumis sans véritable- ment l’imaginer. A l’évidence, la question de la protection des données personnelles se pose d’ores et déjà. L’exemple le plus significatif de ces bases de données concernant les utilisateurs est peut-être celui du moteur de recherche Google qui, depuis sa création en 1998, conserve toutes les requêtes des internautes repérés par leur identifiant IP en plus des informations concernant le contenu des sites qu’ils ont visités.

Enfin, certains internautes font déjà valoir leurs droits après avoir utilisé les circuits du Web 2.0 pour acquérir leur notoriété. Car les sites d’échange « gratuit » sont de véritables plates-formes pour les jeunes artistes qui peuvent ainsi se faire connaître rapidement. Certains, à l’instar du rappeur français Kamini, ont pu gagner en quelques mois une notoriété qui les a propulsés directement dans la liste des artistes préférés des majors. Ces dernières utilisent égale- ment les sites d’échange de vidéos et de musiques pour tester leurs jeunes artistes et bénéficier ainsi des potentialités du marketing viral. Mais, une fois les jeunes artistes connus, elles exigent rémunération. Autant dire que les sites d’échange de vidéos, de musique ou de photographies sont d’ores et déjà confrontés à l’épineux problème de la rémunération des ayants droits.

Les modèles économiques du Web 2.0

La force principale des sites communautaires où le contenu est produit par les internautes (user generated content) réside d’abord dans leur audience : le site myspace.com revendique 140 millions de membres à travers le monde, le site communautaire de recherche des anciens amis de classe classmates.com regroupe déjà 50 millions de membres, le site Orkut, un site de networking propriété de Google, quelque 28 millions de membres, enfin YouTube revendique 30 millions de visiteurs par mois.
Tous ces sites basent leur activité sur la création de profils où l’internaute s’inscrit en précisant ses goûts, ses centres d’intérêt, ses préférences sexuelles ou culturelles. Enfin, chaque internaute développe un réseau d’amis en ligne qui, par recoupement successif des profils, permet d’établir une carte d’identité précise de chaque utilisateur. Les éditeurs du site n’ont plus alors qu’à vendre aux annonceurs des espaces publicitaires ou liens sponsorisés pour des profils très ciblés. L’interactivité proposée par ces sites permet ensuite de mesurer très précisément le retour sur investissement.

En définitif, le Web en général – et le Web 2.0 en particulier – détrônent progressivement la publicité dans les médias traditionnels où l’efficacité publicitaire est plus difficilement mesurable. Au moins le Web 2.0 oblige-t-il les médias traditionnels à évoluer vers plus d’interactivité, à abandonner la tarification publicitaire basée unique- ment sur la nature du média et son audience7. Et les annonceurs ne s’y trompent pas : selon Zenith Optimédia (chiffres décembre 2006), la part de la communication numérique dans la communication publicitaire globale devrait passer de 5,8 % à 7 % entre 2006 et 2007 pour atteindre finalement 10 % des investissements publicitaires mondiaux en 2010.

A l’image du moteur de recherche Google, le modèle économique des sites communautaires semble donc trouvé, tout entier basé sur la publicité. Ainsi, après avoir acheté MySpace pour 580 millions de dollars en 2005, le groupe NewsCorp. a déjà rentabilisé son investissement, Google lui ayant versé 900 millions de dollars pour en gérer la régie publicitaire sur les trois prochaines années. La contrepartie d’une telle approche est évidente : le financement publicitaire et la logique de la gratuité s’imposent partout sur Internet, qu’il s’agisse des sites d’information en ligne, de l’accès à des sites communautaires ou à des sites d’échanges de vidéos. Au final, tous les contenus produits, qu’ils le soient par les internautes ou par des professionnels, sont considérés comme de simples commodités. Se pose donc le problème de la rémunération des ayant droits.

Conscients des enjeux juridiques soulevés par leur modèle économique, les sites participatifs du Web 2.0 multiplient les stratégies pour proposer une offre légale et riche de contenus, notamment pour éviter de tomber dans les pièges du peer to peer qui, s’il fut un succès planétaire, n’a jamais pu se transformer en véritable succès économique. En effet, les sites de peer to peer ne sont jamais parvenus à rémunérer d’une manière ou d’une autre les ayants droit dont les œuvres sont téléchargées illégalement.

En ce qui concerne la question des droits d’auteurs et celle de la rémunération des auteurs, éventuellement des abonnés, plusieurs approches complémentaires caractérisent la stratégie des sites participatifs. La première est celle des sites collaboratifs et non lucratifs. Ainsi, les articles de l’encyclopédie Wikipedia sont protégés par une licence publique générale GNU (GNU General Public License) : ils sont libres de droits tout en étant protégés, c’est-à-dire qu’ils ne peuvent faire l’objet d’une appropriation commerciale.

La deuxième, plus banale, concerne les contenus produits par les internautes eux-mêmes, notamment sur les blogs et autres pages personnelles des sites communautaires. Les internautes n’exigent pas en général de rémunération pour les contenus ainsi mis en ligne. Toutefois, la rémunération de l’activité en ligne des internautes commence à devenir une réalité. Ainsi, la société Webwag rémunère les internautes qui développent des applications et les offrent sur son site. De nombreux sondages en ligne sont rémunérés. Enfin, pour développer le marketing en ligne, les sites d’e-commerce rémunèrent les avis de certains internautes prescripteurs de tendances ou encore les internautes parrainant un ami.

La question de la rémunération est plus délicate pour les sites d’échange de vidéos qui comptent parmi les extraits mis à disposition par les internautes de nombreuses vidéos protégées par le droit d’auteur et éditées par des professionnels. Certains sites d’échange de vidéos s’inscrivent dans la légalité en interdisant l’accès aux contenus protégés par le droit d’auteur. C’est le cas notamment du site français DailyMotion ou encore de YouTube qui, en octobre 2006, a supprimé 29 549 vidéos sur son site à la demande de la Japan Society for Rights of Authors, Composers and Publishers (JASRAC), l’équivalent japonais de la Sacem, ou encore les vidéos des buts du championnat britannique de football à la demande de la fédération britannique de football. Mais ces sites continuent de se considérer comme de simples intermédiaires techniques, refusant d’être tenus pour responsables des violations du droit d’auteur par leurs utilisateurs. Toutefois, leur objectif reste de légaliser leur offre pour éviter les nombreux procès qui ne manqueront pas de leur être intentés.

Le 23 janvier 2007, le site DailyMotion a ainsi annoncé, à l’occasion du 41e Midem, un accord avec Warner Music pour la diffusion mondiale de son catalogue de vidéos. Les clips seront disponibles gratuitement en ligne mais DailyMotion partagera avec Warner Music une partie de ses revenus publicitaires. DailyMotion avait déjà signé le même type d’accord fin décembre 2006 avec la SPPF (Société civile des producteurs de phonogrammes en France).

Depuis son rachat par Google, YouTube a également signé des accords de diffusion avec les majors américaines Universal, CBS et Warner. Mais la question de la rémunération des ayant droits est loin d’être réglée et les procès risquent de se multiplier. A l’occasion du Midem de Cannes, le 23 janvier 2007, les sociétés d’auteurs8 se sont d’ailleurs réunies pour élaborer une stratégie commune face à DailyMotion, YouTube et MySpace notamment.

Conclusion

Si le Web 2.0 est une manière originale d’utiliser les potentialités du réseau, les problèmes qu’il soulève ressemblent finalement à ceux déjà rencontrés par les médias traditionnels face au Web 1.0, qu’il s’agisse de la banalisation de la gratuité, de la montée en puissance du financement par la publicité ou de la rémunération des ayants droit lorsque l’internaute lambda partage les musiques et les vidéos qu’il aime. En dernière analyse, les sites du Web 2.0, plutôt que de constituer une véritable rupture dans l’économie des médias, s’inscrivent au contraire dans le processus plus large, entamé au milieu des années 1990, de diversification des supports.

Les encyclopédies en ligne, les blogs sont les phénomènes les plus marquants du Web 2.0 qui, par leur ampleur, tendent à occulter l’existence des newsletters dès la fin des années 1990, celle des portails d’information depuis l’invention du Web. Le Web 2.0 ne serait-il pas, alors, l’approfondissement d’un mouvement initié avec l’invention du Web et qui atteint, après dix ans, la taille critique nécessaire à sa rentabilisation, en raison notamment du développement du haut débit et de la banalisation d’Internet dans de nombreux pays ?

Car enfin, les offres de services intégrées, ce que les Américains appelaient le full service network à l’époque de la bulle Internet, avant avril 2000, n’étaient au fond rien d’autre que la possibilité de diffuser sur tous les réseaux des vidéos, de la musique, des jeux, de l’information, la possibilité également de communiquer en ligne, par le téléphone, par les e-mails, par les SMS – la définition classique, en somme, d’une plate-forme plurimédias. D’ailleurs, les acteurs des médias « traditionnels » ne s’y trompent pas. Constatant le rachat progressif des sites du Web 2.0 – les Pure Internet Players – par les grands d’Internet ou des médias, Alain Weill, le PDG de Nextradio TV, insistait récemment sur la rationalisation en cours du secteur9. A l’avenir, les grands groupes de médias et de communication disposeront chacun de leur propre plate-forme plurimédias et continueront par d’autres moyens de faire leur métier de base, celui de producteur et d’éditeur de contenus.

Notes :
1. [« You. Yes, you. You control the Information Age. Welcome to your world », Times Magazine, December 25 – January 1st, 2007.] – retour
2. [Stéphane Mandard avec Michel Elie, « L’héritage des pionniers d’Internet », Le Monde Interactif, 14 mars 2001.] – retour
3. [Tim O’Reilly, What is Web 2.0. Design Patterns and Business Models for the Next Generation of Software, disponible en ligne ici] – retour
4. [Voir www.fr.wikipedia.org.] – retour
5. [Voir Jim Giles, « Internet encyclopaedias go head to head », Nature n° 428, 2005.] – retour
6. [La devise du site est claire : « Every citizen is a journalist ». Voir www.oh- mynews.com.] – retour
7. [Intervention de Maurice Lévy, Président du directoire, Groupe Publicis, colloque « Médias, pouvoirs, société : les défis de l’information en 2015 » à l’occasion du 50e anniversaire de l’Association des journalistes économiques et financiers (AJEF), Sénat, Paris, 9 janvier 2007.] – retour
8. [La Sacem (France), la MCPS/PRS (Grande-Bretagne), la Gema (Allemagne), la Buma/Stemra (Pays Bas), la Jasrac (Japon), la SCD (Chili), la SACM (Mexique).] – retour
9. [Intervention d’Alain Weill, Président de Nextradio TV, colloque « Médias, pouvoirs, société : les défis de l’information en 2015 » à l’occasion du 50e anniversaire de l’Association des journalistes économiques et financiers (AJEF), Sénat, Paris, 9 janvier 2007.] – retour

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici