En France, la difficile cession des Echos par le groupe Pearson

Après avoir confirmé la mise en vente des Echos le 19 juin 2007, le groupe britannique Pearson est entré en négociations exclusives avec Bernard Arnault, le patron de LVMH et géant mondial du luxe. Annoncées le 21 juin 2007 par Bernard Arnault, ces négociations exclusives, la clause étant valable jusqu’à fin novembre, ont d’emblée suscité l’inquiétude de la Société des journalistes du premier quotidien économique français. En effet, alors que Marjorie Scardino, directrice générale de Pearson, avait fait savoir qu’elle ne vendrait pas le titre à un industriel afin d’éviter tout conflit d’intérêts, la proposition de Bernard Arnault, à hauteur de 240 millions d’euros, une valorisation équivalente à deux fois le chiffre d’affaires et vingt cinq fois le résultat d’exploitation des Echos, ainsi que la pression des actionnaires, ont manifestement changé la donne.

Trois conditions ont toutefois été posées par Pearson à la revente des Echos : un bon prix, l’assurance de l’indépendance éditoriale, ainsi que la garantie de l’emploi. Le 19 juin 2007, la rédaction des Echos se mettait une première fois en grève, anticipant l’annonce de négociations exclusives avec Bernard Arnault, considérant que « cet acquéreur potentiel ne satisfait pas à deux exigences majeures : l’indépendance éditoriale et le maintien de l’emploi ». En outre, le rachat par Bernard Arnault soulève d’autres problèmes, notamment celui de l’avenir de La Tribune, le deuxième quotidien économique français, propriété de DI Group (LVMH) depuis 1993. Enfin, le contrôle des Echos par Bernard Arnault entraînerait, pour les journalistes de la rédaction, d’analyser les activités de leur actionnaire, très présent en France, le groupe LVMH ayant été cité 150 fois dans le quotidien économique sur le premier semestre 2007. Cette situation semble toutefois ne pas poser de problèmes majeurs aux journalistes de La Tribune qui traitent pourtant des mêmes sujets.

Le 22 juin 2007, les rédactions de La Tribune et des Echos se mettaient simultanément en grève, les premiers pour rester dans le giron de LVMH – au moins pour ne pas être revendus trop précipitamment et voir leur titre affaibli – , les seconds pour éviter d’y entrer. En effet, Bernard Arnault s’est engagé à revendre La Tribune en cas de prise de contrôle des Echos. Plusieurs repreneurs se sont déjà déclarés intéressés, notamment Alain Weil, le président directeur général du groupe Next Radio.

Ce processus a toutefois été remis une première fois en question par l’offre avantageuse de rachat des Echos faite par le groupe français Fimalac, spécialisé dans les services financiers avec l’agence de notation financière Fitch Ratings. En effet, après avoir été sollicité par la direction de la rédaction des Echos, Marc Ladreit de Lacharrière, président du groupe Fimalac, a proposé, le 12 juillet 2007, quelque 245 millions d’euros pour le rachat du groupe Les Echos, une offre assortie en outre des trois garanties demandées par Pearson. Présenté comme le candidat idéal par les journalistes des Echos, Marc Ladreit de Lacharrière, ancien propriétaire de Valmonde (Le Journal des Finances, Valeurs actuelles), un groupe qu’il a vendu en 1998 à Dassault, satisfait à la condition du prix posée par Pearson, son offre étant supérieure de 5 millions d’euros à celle, déjà élevée, de Bernard Arnault. En matière d’emploi, Marc Ladreit de Lacharrière assure le maintien des effectifs et sa volonté de renforcer les capacités de son groupe dans le secteur de l’information économique et financière. Enfin, concernant les garanties apportées à l’indépendance éditoriale, Marc Ladreit de Lacharrière propose de donner aux journalistes un droit de veto direct sur la nomination des directeurs de la rédaction, 55 % au moins des journalistes devant donner leur accord aux nominations proposées par l’actionnaire, une possibilité que la Société des journalistes des Echos n’avait pas évoquée auprès de Pearson quand elle a formulé ses conditions sur le respect de l’indépendance éditoriale. L’offre est valable jusqu’au 31 décembre 2007, ce qui laisse le temps à Pearson de l’examiner sans avoir à remettre en cause la clause d’exclusivité signée avec LVMH.

Répondant indirectement à l’offre de Fimalac, LVMH et Pearson annonçaient, le 23 juillet 2007, être parvenus à un accord sur l’emploi et l’indépendance éditoriale des Echos. Un document intitulé « Principes clefs de l’indépendance éditoriale des Echos » fait état de concessions majeures de LVMH : suite à sa proposition d’instaurer un conseil de surveillance des Echos, LVMH accepte d’y nommer trois administrateurs indépendants qui, plutôt que d’être nommés par LVMH et Pearson, le seraient par LVMH et la Société des journalistes des Echos. En outre, le directeur de la rédaction fera partie du conseil de surveillance et ne pourra être révoqué qu’avec l’accord d’au moins deux des trois administrateurs indépendants, une manière de concéder que l’actionnaire n’a pas le pouvoir de décision sur la rédaction. La nomination du directeur de la rédaction se fera d’ailleurs avec l’accord a minima de deux des administrateurs indépendants et de l’absence d’opposition de la majorité des journalistes. Pour autant, les journalistes des Echos rejetaient le même jour ces garanties, considérant que les conflits d’intérêts liés à la couverture des activités de LVMH ne pouvaient disparaître, quelles que soient les garanties accordées en matière éditoriale.

Pearson, qui devra choisir en dernier ressort l’offre à retenir, reste toutefois décidé à se séparer de ses activités de presse économique et financière à l’étranger pour se recentrer sur ses activités d’édition. Malgré la difficile vente des Echos, Pearson est entré en négociations exclusives début septembre 2007 avec le groupe Der Spiegel pour lui vendre sa participation de 50 % dans le Financial Times Deutschland, lancé en 2000 en partenariat avec Grünher+Jahr, une filiale de Bertellsmann, laquelle contrôle par ailleurs 25,5 % du Spiegel. Cette annonce confirme la stratégie de Pearson qui avait déjà revendu en 2004 le magazine économique espagnol Expansion.

Le groupe Pearson, qui réalise plus de 65 % de son chiffre d’affaires dans l’édition scolaire, domaine où il occupe la deuxième place mondiale derrière Reed Elsevier, multiplie à l’inverse les rachats dans ce secteur. Ainsi, le 4 mai 2007, Pearson avait racheté pour 950 millions de dollars à Reed Elsevier deux filiales de Harcourt, Harcourt Education International, un éditeur basé à Oxford, ainsi que Harcourt Assesment, une activité américaine d’évaluation et de tests scolaires.

Sources :

  • « Le britannique Pearson se renforce dans l’édition scolaire », I. C., Les Echos, 7 mai 2007.
  • « Inquiétudes autour de la probable vente du quotidien économique Les Echos », Pascale Santi, Le Monde, 16 juin 2007.
  • « Bernard Arnault accentue son offensive sur Les Echos », Marc Roche et Pascale Santi, Le Monde, 20 juin 2007.
  • « Les Echos en grève contre la vente à Arnault », Marie-Laetitia Bonavita, Le Figaro, 20 juin 2007.
  • « Les Echos en grève contre l’arrivée possible de Bernard Arnault », Pascale Santi, Le Monde, 21 juin 2007.
  • « Le groupe LVMH est le seul en lice pour racheter le quotidien économique Les Echos », Pascale Santi, Le Monde, 23 juin 2007.
  • « La Tribune et Les Echos en grève contre Bernard Arnault », Pascale Santi, Le Monde, 26 juin 2007.
  • « La Tribune pourrait être vendue cet été par LVMH », Daniel Psenny, Le Monde, 28 juin 2007.
  • « Accord Pearson – LVMH sur Les Echos », M.-L. B., Le Figaro, 4 juillet 2007.
  • « Les Echos de nouveau en grève pour leur indépendance », S.B., La Tribune, 4 juillet 2007.
  • « Bernard Arnault s’engage à respecter l’indépendance des Echos », Pascale Santi, Le Monde, 5 juillet 2007.
  • « Les salariés de La Tribune inquiets pour la survie de leur titre », Marie Catherine Beuth, Le Figaro, 11 juillet 2007.
  • « Le processus de vente de La Tribune engagé », S.B., La Tribune, 11 juillet 2007.
  • « La Tribune : le comité d’entreprise déclenche le droit d’alerte », N.S., Les Echos, 11 juillet 2007.
  • « Contre-offre de Fimalac sur Les Echos », M.-C. B. et P. L., Le Figaro, 13 juillet 2007.
  • « Marc de Lacharrière vient contrer Bernard Arnault sur Les Echos », J.-B. J., La Tribune, 13 juillet 2007.
  • « Les Echos : Marc Ladreit de Lacharrière prêt à jouer le rôle de chevalier blanc », Nathalie Silbert, Les Echos, 13- 14 juillet 2007.
  • « Fimalac, un holding recentré sur l’information financière », L. F., Les Echos, 13-14 juillet 2007.
  • « Les salariés des Echos affichent leur préférence pour la candidature de Fimalac », Guillaume Fraissard, Le Monde, 14 juillet 2007.
  • « Les Echos : LVMH donne des gages, la rédaction toujours opposée », Nathalie Silbert, Les Echos, 24 juillet 2007.
  • « Situation toujours bloquée aux Echos », Guillaume Fraissard, Le Monde, 25 juillet 2007.
  • « Constituer le premier groupe d’information financière en Europe », interview de Marc Ladreit de Lacharrière, président de Fimalac, Frédéric Lemaître et Pascale Santi, Le Monde, 6 septembre 2007.
  • « Les conditions de la vente de La Tribune restent floues », N.S., Les Echos, 7-8 septembre 2007.
  • « Pearson veut accélérer la vente des Echos à LVMH », Pascale Santi, Le Monde, 13 septembre 2007.
  • « Le Spiegel lorgne le FT Deutschland », Bénédicte de Peretti, La Tribune, 18 septembre 2007.
Alexandre Joux, directeur de l'Ecole de journalisme et de communication d'Aix-Marseille (EJCAM), Aix-Marseille Université, IRSIC (Institut de recherche en sciences de l'information et de la communication)

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