Lancement de l’iPhone aux États-Unis, arrivée programmée en Europe

L’iPhone, le nouveau téléphone multimédia d’Apple (voir n° 2-3 de La evue européenne des médias, printemps-été 2007), a été lancé le 29 juin 2007 sur le marché américain. Au-delà des effets de communication et de l’engouement des consommateurs pour la marque Apple, le lancement de l’iPhone remet en question les relations traditionnelles entre les équipementiers et les opérateurs de télécommunications. En effet, Apple a décidé de ne commercialiser l’iPhone que sous forme de partenariats exclusifs avec le leader de chaque pays. Aux États-Unis, c’est donc AT&T qui l’a emporté avec son réseau mobile Cingular. En outre, les opérateurs ne peuvent pas subventionner le terminal, vendu 499 dollars pour 4 Gigaoctets de mémoire et 599 dollars pour 8 Gigaoctets de mémoire.

Enfin, pour activer l’iPhone, il faut ouvrir un compte sur le site iTunes Store du groupe, ce qui permet à Apple d’établir un lien direct avec l’abonné et de gérer la facturation des services sur le mobile, une activité qui revenait jusqu’alors aux opérateurs de télécommunications par l’intermédiaire de la carte SIM. A cet égard, les conditions du lancement de l’iPhone d’Apple témoignent de l’enjeu des nouveaux services multimédias mobiles et de l’inversion des rapports de force entre équipementiers, opérateurs de télécommunications et éditeurs de services, au moins de la remise en question des anciens équilibres.

Aux États-Unis, cette stratégie d’Apple, déjà éprouvée en 2001 avec le lancement de l’iPod couplé au site iTunes Music Store, n’a pas soulevé d’opposition particulière dans la mesure où les opérateurs de téléphonie mobile se rémunèrent sur la voix et le trafic de données et ne cherchent pas à augmenter leur ARPU (Average Revenue per user) en éditant eux-mêmes des services en ligne. Pour AT&T, l’alliance avec Apple était donc stratégique. Apple a en effet annoncé vouloir écouler 10 millions d’iPhone avant la fin 2008, soit 1 % du marché mondial, dont une grande partie aux États-Unis. Pour AT&T, qui dispose de l’exclusivité commerciale sur cinq ans pour la distribution de l’iPhone, cet accord est une occasion idéale d’augmenter son taux de recrutement de nouveaux abon- nés. Toutefois, les premiers chiffres de vente de l’iPhone aux Etats-Unis ont été décevants : alors que les analystes estimaient les ventes du premier week-end de lancement à 200 000 unités, AT&T annonçait, fin juillet 2007, qu’il avait enregistré 146 000 ventes d’iPhone entre le 29 juin 2007, jour du lancement, et le 30 juin au soir. Pour AT&T, en revanche, le taux de recrutement de nouveaux abonnés est positif : 40 % des acheteurs de l’iPhone sont de nouveaux clients. Au troisième trimestre, AT&T affiche un gain net de 1,5 million d’abonnés pour des ventes d’iPhone estimées à 1 million d’unités sur les mois de juillet et août, un chiffre loin d’être exceptionnel, les ventes de téléphones haut de gamme comme le Razr de Motorola étant supérieures.

A l’évidence, le succès attendu avec l’iPhone n’est pas totalement avéré à tel point que, deux mois après son lancement, le 5 septembre 2007, Steve Jobs, le patron d’Apple, annonçait une baisse de 200 dollars sur le modèle haut de gamme de l’iPhone, qui passe aux Etats-Unis de 599 à 399 dollars, et l’arrêt immédiat de la commercialisation de l’iPhone à 4 Gigaoctets de mémoire. S’expliquant sur cette baisse brutale et rapide du coût de l’iPhone, Steve Jobs l’a justifié par « la capacité d’Apple à réduire ses coûts de production et par la volonté d’avoir des tarifs attractifs pour les fêtes de fin d’année ». Plus simplement, en ramenant le prix de l’iPhone aux alentours de 400 dollars, Apple fait entrer celui-ci dans la gamme des téléphones haut de gamme, alors même que l’iPhone ne dispose pas de fonction 3G, une fonction proposée par tous les mobiles concurrents, notamment Sony-Ericsson, Samsung ou Nokia. Selon les analystes de Piper Jaffray, cette baisse du prix de l’iPhone devrait permettre à Apple d’en écouler en moyenne 27 000 par jour contre 9 000 actuellement, soit trois fois plus.

Le 18 septembre 2007, l’arrivée de l’iPhone en Europe était annoncée, dans un premier temps au Royaume-Uni. Alors qu’Apple avait un temps envisagé de confier à un seul opérateur la commercialisation de l’iPhone en Europe, le groupe a décidé de s’appuyer sur le leader de chaque pays. En 2007, seuls le Royaume-Uni, l’Allemagne et la France pourront bénéficier de l’iPhone, les autres pays d’Europe ainsi que le continent asiatique devant attendre 2008. Au Royaume-Uni, O2, la filiale britannique de Telefonica, lancera l’iPhone le 9 novembre 2007 pour 269 livres, soit 387 euros, un prix nettement plus élevé qu’aux États-Unis (399 dollars, soit 287 euros hors taxes). Le forfait proposé par Telefonica comprend l’échange illimité de données, mais n’inclut pas de fonctions GPS ou 3G. Telefonica s’appuiera en outre sur le réseau de magasins Carephone Wharehouse pour vendre l’iPhone.

Le 19 septembre 2007, Steve Jobs annonçait que l’iPhone serait distribué en Allemagne par le leader T-Mobile, filiale de Deutsche Telekom, également à partir du 9 novembre 2007 et pour un prix de 399 euros. Enfin, le 20 septembre, Didier Lombard, président de France Télécom, annonçait qu’Orange avait obtenu l’exclusivité pour la commercialisation de l’iPhone en France.

Au Royaume-Uni, en Allemagne et en France, l’iPhone ne sera pas subventionné et les opérateurs, à l’instar d’AT&T aux Etats-Unis, « se sont engagés à verser 30 % de la facture totale à Apple » selon Jean-Pierre Champion, patron des magasins The Phone House, filiale de Carephone Warehouse. Apple a donc obtenu auprès des opérateurs européens ce qu’aucun autre équipementier n’avait obtenu auparavant, à savoir le partage des revenus générés par le trafic des données.

Cette remise en question des anciens équilibres tranche avec la stratégie des opérateurs européens qui cherchent tous à développer et contrôler les services en ligne pour augmenter leur ARPU. Le pari fait sur l’iPhone risque donc d’être lourd de conséquences pour les opérateurs européens dans la mesure où Apple, qui contrôle iTunes Music Store et propose des applications avec l’iPhone, s’accaparera l’essentiel des revenus générés par les services mobiles et le tiers des revenus générés par le trafic. Il n’est pas évident que les opérateurs acceptent, à terme, un tel décalage dans la chaîne de valeur. Pour l’instant, les opérateurs comptent sur l’iPhone et sa clientèle technophile pour développer l’usage des services mobiles. Mais rien ne dit qu’à l’avenir les opérateurs européens, qui éditent leurs propres services mobiles, voire contrôlent déjà pour certains des catalogues de droits, acceptent de dépendre aussi fortement d’Apple.

Enfin, Apple, qui va verrouiller l’iPhone pour que ce dernier ne soit accessible qu’à un opérateur par pays, risque également de se heurter aux autorités nationales. L’ARCEP, l’autorité française de régulation des télécommunications, rappelle d’ailleurs « qu’il s’agisse d’un iPhone ou de tout autre combiné mobile, [que] le consommateur est en droit, six mois après l’acquisition d’un appareil, de demander à son opérateur de le “désimlocker”. Et dans ce cas, l’opérateur concerné ne peut pas s’opposer à sa demande » – ce qui équivaut à ouvrir le combiné aux réseaux concurrents, un moyen légal pour les futurs propriétaires de l’iPhone de rompre leur dépendance à l’égard d’Apple.

Sources :

  • « Apple veut contrôler l’iPhone à la place des opérateurs mobiles », Emmanuel Paquette, Les Echos, 14 juin 2006.
  • « iPhone : les premiers chiffres officiels de vente déçoivent », Les Echos, 25 juillet 2007.
  • « Interrogations sur l’iPhone d’Apple », Florence Puybareau, La Tribune, 7 septembre 2007.
  • « Apple casse le prix de l’iPhone pour relancer les ventes », Guillaume de Calignon, Les Echos, 7-8 septembre 2007.
  • « L’iPhone débarque en Europe », Le Figaro, 14 septembre 2007.
  • « L’iPhone débarque en Europe sans la 3G », Philippe Crouzillacq, 01.Net, 18 septembre 2007.
  • « Orange distribuera l’iPhone d’Apple en France », Florence Puybareau, La Tribune, 18 septembre 2007.
  • « L’iPhone d’Apple arrive en Europe », Florence Puybareau, La Tribune, 19 septembre 2007.
  • « Steve Jobs donne le coup d’envoi de l’iPhone en Europe », G. C., Les Echos, 19 septembre 2007.
  • « T-Mobile sera le distributeur exclusif de l’iPhone en Allemagne », AFP in tv5.org, 19 septembre 2007.
  • « Orange sera le distributeur exclusif de l’iPhone d’Apple en France », Cécile Ducourtieux, Le Monde, 22 septembre 2007. –
  • « iPhone : les opérateurs reverseront 30 % de la facture à Apple », Les Echos, 29 septembre 2007.
Alexandre Joux, directeur de l'Ecole de journalisme et de communication d'Aix-Marseille (EJCAM), Aix-Marseille Université, IRSIC (Institut de recherche en sciences de l'information et de la communication)

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