Exclusivités : le « cas Orange » impose de repenser les marchés de l’audiovisuel et des télécommunications

Partout en Europe, les opérateurs historiques de télécommunications sont surveillés attentivement par les autorités de régulation, qui craignent qu’ils abusent de leur position hégémonique sur le marché. Orange n’échappe pas à la règle. Mais l’opérateur français de télécommunication est dans une situation particulière. Hormis les traditionnelles questions de dégroupage, c’est-à-dire l’accès pour les concurrents au réseau de l’opérateur historique, hormis la question de l’accès aux fourreaux pour l’installation par les concurrents de leur propre réseau de fibre optique, Orange fait également l’objet d’une attention particulière pour sa stratégie d’exclusivité, qu’il s’agisse de l’accord passé avec Apple, pour la commercialisation de l’iPhone ou de la vente de sa chaîne Orange Sport auprès de ses seuls abonnés triple play.

La question des exclusivités d’Orange, une confusion des genres entre audiovisuel et télécoms ?

En France, la régulation des réseaux et celle des contenus sont historiquement distinctes. L’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) s’occupe des premiers, alors que le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) se consacre aux seconds. Cette « séparation » des réseaux et des contenus est longtemps apparue comme naturelle, bien que l’existence de deux autorités de régulation ait souvent été critiquée.

« Naturelle », parce que la séparation apparaît logique au regard de l’histoire des groupes audiovisuels et de télécommunications en France. L’ouverture à la concurrence a d’abord concerné l’audiovisuel au milieu des années 1980. Cette concurrence nouvelle s’est traduite entre les chaînes par l’élaboration d’une programmation permettant de les distinguer les unes des autres, ce qui a conduit toutes les chaînes à chercher à disposer d’exclusivités. Afin d’être performantes, les chaînes ont proposé chacune une offre unique, les programmes les plus prisés étant les films et séries en première diffusion, les reality shows et les événements sportifs prestigieux en direct. De ce point de vue, la chaîne premium Canal+, qui a bénéficié dès 1984 d’une fréquence hertzienne tout en étant payante, est incontestablement une chaîne exemplaire de ce que peut apporter l’exclusivité, en particulier pour les chaînes payantes. Canal+ est dans une situation qui lui permet de diffuser en exclusivité « 95 % des films français et 90 % des films américains en exclusivité », selon les propos de son PDG, Bertrand Méheut, à quoi il faut ajouter une offre exclusive de football quasi exhaustive.

Le secteur des télécommunications n’est, quant à lui, véritablement libéralisé qu’en 1998, avec l’ouverture à la concurrence de la téléphonie fixe. Mais la concurrence portera ses fruits seulement au début des années 2000, avec le développement du haut débit et des offres d’accès illimité à Internet, relayé ensuite par le développement des offres dites triple play. A l’inverse de l’univers audiovisuel, la qualité d’une offre de services dans l’univers des télécommunications est d’abord conçue en termes de performance technique, c’est-à-dire essentiellement le débit disponible, et de prix d’accès au transport des données. Cette approche se traduit par une politique commerciale de mise à disposition de manière illimitée, moyennant un ticket d’entrée forfaitaire, de services de communication (Internet illimité, appels téléphoniques illimités en France et à l’étranger). Les marchés de l’audiovisuel et des télécommunications apparaissent ainsi comme distincts dans leur approche. Le secteur audiovisuel est dans une logique où l’exclusivité fait partie intégrante de la stratégie des chaînes, avec immanquablement une certaine fermeture des marchés, qui s’exprime dans la compétition pour les droits de diffusion. A l’inverse, le secteur des télécommunications est dans une logique d’accès illimité et indifférencié, les offres étant techniquement substituables les unes avec les autres. Cette substituabilité, caractéristique du marché des télécommunications, fait porter la concurrence sur le prix de l’abonnement, la qualité technique et le nombre de services offerts, par exemple le nombre des pays pour lesquels les appels internationaux sont gratuits, donc illimités. Pour l’accès aux contenus, les offres des différents opérateurs ont longtemps été équivalentes, soit parce qu’ils transportaient indifféremment tous les signaux sans discrimination, comme la distribution de Canal+ par Orange, Free et Neuf Cegetel, soit parce que ces contenus étaient accessibles directement depuis des sites Web tiers. Mais cette opposition entre audiovisuel et télécommunications est-elle encore pertinente aujourd’hui ?

Cette interrogation est au cœur du débat sur les exclusivités d’Orange, notamment dans le domaine des contenus. Sans vouloir donner tort ou raison à l’une ou l’autre des parties prenantes, force est de constater que la stratégie déployée par Orange remet en question l’opposition traditionnelle des réseaux et des contenus, du « modèle télécom » et du « modèle audiovisuel ». En effet, depuis 2006 et la création de Studio 37, sa filiale d’investissement dans les droits cinématographiques, Orange s’est résolument engagé dans une stratégie associant les réseaux aux contenus, ces derniers valorisant l’offre d’accès aux réseaux, considérée à elle seule comme insuffisante pour emporter l’adhésion des clients. Pour Didier Lombard, PDG de France Télécom, « les clients ne se déterminent plus sur la puissance des débits de leur opérateur, mais sur la qualité et la richesse des services qu’il propose. Quand ils s’abonnent, ils veulent savoir à quels programmes de cinéma ou de sport ils auront droit ». Dans cette interview donnée aux Echos le 7 avril 2008, Didier Lombard inverse le schéma classique qui voudrait qu’une offre de télécommunication soit d’abord une offre technique : l’accès technique est un prérequis ; l’enjeu véritable s’est désormais déporté du côté de l’offre de services et de contenus. Autant dire que la compétition entre les fournisseurs d’accès à Internet passe d’abord par leur capacité à proposer en propre des bouquets de chaînes et de services, voire à disposer d’exclusivités sur certaines chaînes et certains programmes.

En France, le marché des programmes est dominé par Canal+, filiale de Vivendi, qui contrôle également le deuxième fournisseur d’accès à Internet, Neuf Cegetel. Le meilleur moyen de disposer d’exclusivités est donc pour Orange d’éditer ses propres chaînes et de se positionner comme un acteur sérieux sur le marché des droits sportifs, mais également des droits cinématographiques et audiovisuels (voir le n°8 de La revue européenne des médias, automne 2008). Reste à savoir si ces exclusivités conçues dans un univers d’opérateur de télécommunication annoncent une régulation plus souple du secteur des télécommunications et de l’audiovisuel, qui prendrait en compte leur interpénétration progressive, ou bien si, à l’inverse, les autorités de concurrence vont profiter du débat sur les exclusivités d’Orange pour réaffirmer la distinction entre le marché des télécommunications et le marché audiovisuel.

L’exclusivité de l’iPhone remise en question par le Conseil de la concurrence : une volonté affichée de maintenir « l’ouverture » du marché des télécommunications

Lors de son lancement mondial en 2007, l’iPhone d’Apple a été commercialisé par un opérateur unique dans chaque pays, l’exclusivité accordée par Apple s’accompagnant de contreparties financières importantes (voir le n°4 de La revue européenne des médias, automne 2007). En novembre 2007, Orange emportait l’exclusivité de la commercialisation de l’iPhone en France face à ses concurrents SFR et Bouygues Telecom, l’exclusivité portant sur une période de cinq ans, Apple bénéficiant toutefois d’une clause de sortie au bout de trois ans. Pour obtenir ce monopole, Orange s’est engagé à participer aux dépenses publicitaires de lancement de l’iPhone à hauteur de 50 %. A l’occasion de la sortie de l’iPhone 3G, le 17 juillet 2008, Orange, désormais autorisé par Apple à subventionner l’iPhone, s’est en outre engagé sur un niveau minimal de subvention, afin de favoriser le décollage des ventes du téléphone intelligent d’Apple. Cette nouvelle stratégie a été couronnée de succès : en cinq mois, entre la mi- juillet et la mi-décembre 2008, Orange avait écoulé 450 000 iPhone 3G. C’est ce chiffre qui aura été retenu par la cour d’appel de Paris pour estimer la valeur économique de l’exclusivité obtenue par Orange pour la commercialisation de l’iPhone.

Saisi par Bouygues Telecom le 18 septembre 2008, le Conseil de la concurrence avait à se prononcer sur l’exclusivité détenue par Orange. Le 17 décembre 2008, il prenait, en urgence, « à titre conservatoire », la décision de casser l’exclusivité de cinq ans dont bénéficie Orange sur la vente de l’iPhone. Pour le Conseil de la concurrence, l’exclusivité ne peut dépasser trois mois, sauf à « introduire un nouveau facteur de rigidité dans un secteur qui souffre déjà d’un déficit de concurrence », le marché du mobile en France, limité à trois acteurs, étant considéré comme trop peu concurrentiel. Le même Conseil de la concurrence avait déjà accusé les trois opérateurs de téléphonie mobile français d’entente illicite en 2005.

Dans sa décision, le Conseil de la concurrence ne remet pas en question l’exclusivité en tant que telle, mais sa durée. En faisant appel de la décision, Orange a donc insisté sur les avantages économiques d’une exclusivité longue : la possibilité de subventionner de manière plus importante l’iPhone, un argument déjà rejeté par le Conseil de la concurrence qui considère que la concurrence entre opérateurs favorise à l’inverse la hausse des subventions ; la possibilité d’investir dans la communication, la formation des vendeurs, le développement de nouveaux services pour l’Internet mobile. L’argumentaire d’Orange n’aura pas suffi : le 4 février 2009, la cour d’appel de Paris confirmait la décision du Conseil de la concurrence. Pour cette procédure en appel, Orange avait été rejoint par Apple, alors que SFR et l’association UFC-Que choisir ? s’étaient associés à la plainte de Bouygues Telecom.

Dans son jugement, la cour d’appel de Paris s’est appuyée sur les avantages économiques très importants liés à l’exclusivité sur la vente de l’iPhone pour considérer la durée de celle-ci comme « disproportionnée ». En effet, mi-décembre 2008, Orange avait vendu 150 000 iPhone 2G et 450 000 iPhone 3G, ces derniers étant commercialisés de- puis juillet 2008. En moyenne, les nouveaux abonnés avec un forfait pour l’iPhone s’engagent pour 18 mois et dépensent 86 euros hors taxes par mois, Orange réalisant une marge brute d’exploitation de 40 % sur ce montant. En définitive, pendant les 18 mois de l’engagement, Orange atteindra un « chiffre d’affaires de services de téléphonie de 696,6 millions d’euros, soit un bénéfice de 278,6 millions d’euros » selon l’arrêt de la cour d’appel. Il faut toutefois déduire de ce bénéfice la subvention de 310 euros accordée par Orange sur chaque iPhone vendu 99 euros, le terminal d’Apple étant facturé aux opérateurs 409 euros. Après déduction de la subvention, le bénéfice net au terme des 18 mois d’abonnement tombe à 140 millions d’euros. Sur cinq mois, Orange a donc, selon la cour d’appel, largement rentabilisé ses investissements pour le lancement de l’iPhone, qu’elle estime à 16,5 millions d’euros.

En dénonçant cette exclusivité, l’objectif est donc de maintenir l’ouverture du marché des télécommunications en espérant une baisse des prix pour le consommateur. Disponible depuis le 8 avril 2009 chez SFR et depuis le 29 avril chez Bouygues Tel com, l’iPhone n’est pas vendu sensiblement moins cher. Pour UFC-Que choisir ?, cette proximité des tarifs entre les trois acteurs limite de fait la portée du jugement sur l’exclusivité. Le jugement n’a pas eu de conséquences économiques pour les consommateurs, mais il leur permet seulement de pouvoir disposer d’un iPhone sans avoir à changer d’opérateur.

Le précédent « Rewind TV », une exclusivité reconnue pour les services de contenus à la demande

Les acteurs et les offres sont beaucoup plus nombreux dans l’univers audiovisuel, qu’il s’agisse de la diffusion de chaînes directement sur les réseaux hertziens ou par satellite, ou de l’accès par Internet à des services de vidéo ou à des chaînes. De ce point de vue, une offre distribuée de manière exclusive soulève à l’évidence moins de problèmes de concurrence sur le marché audiovisuel, d’autant qu’elle s’inscrit dans les stratégies de nombreuses chaînes, qui préfèrent être distribuées par un seul opérateur en échange d’une redevance plus importante. C’est sans aucun doute la raison pour laquelle le Conseil de la concurrence ne s’était pas opposé à l’accord entre Orange et France Télévisions pour une offre exclusive de télévision de rattrapage.

Annoncé le 2 juillet 2007, l’accord de partenariat exclusif « pour un service inédit entre France Télévisions et Orange » a fait entrer la télévision de rattrapage (catch up TV) dans le débat public. Selon les termes de l’accord, France Télévisions et Orange se sont associés pour proposer un service de télévision de rattrapage aux seuls clients d’Orange abonnés à une offre triple play. Ce service, accessible sur TV, PC et mobile, consiste en la mise à disposition à la demande des programmes de flux pendant 7 jours à compter de leur diffusion, et pendant 7 à 30 jours pour les programmes de stocks hors cinéma. Initialement baptisé Rewind TV, puis finalement appelé 24/24TV, France Télévisions étant tenue de respecter la langue française, ce service exclusif de télévision de rattrapage a suscité l’ire des autres opérateurs de télécommunications, réunis dans l’AFORST (Association française des opérateurs de réseaux et services de télécommunications). Cette association a aussitôt demandé à France Télévisions que le service soit proposé à tous les opérateurs « dans des conditions non discriminatoires ». En effet, pendant trois ans, c’est-à-dire la durée de l’accord entre France Télévisions et Orange, les abonnés d’Orange ont accès gratuitement au service de télévision de rattrapage, alors qu’une offre sensiblement équivalente est proposée, parfois de manière partiellement payante, sur francetvod.fr, site de vidéo à la demande de France Télévisions. Cette demande n’aboutissant pas, l’AFORST a saisi le Conseil de la concurrence en octobre 2007 pour dénoncer le partenariat conclu entre Orange et France Télévisions.

La plainte de l’AFORST n’a pas empêché Orange d’offrir 24/24TV à ses seuls abonnés dès le 15 avril 2008. Moins d’un mois plus tard, le 7 mai 2008, le Conseil de la concurrence rejetait la plainte de l’AFORST, considérant que l’exclusivité de trois ans n’était pas anticoncurrentielle dans la mesure où chacun peut accéder aux programmes de France Télévisions sur le site Internet du groupe audiovisuel public et qu’il est possible, pour tous les opérateurs ADSL concurrents d’Orange, de « diversifier leurs offres en proposant à leurs clients d’autres services interactifs (…), ou bien encore développer des partenariats avec d’autres chaînes voire même négocier avec France Télévisions un accord pour diffuser en rattrapage les programmes non couverts par le partenariat incriminé ». Autant dire que le marché des services et des contenus audiovisuels à la demande est suffisamment diversifié pour supporter des exclusivités sans que celles-ci conduisent à une limitation significative de l’offre pour le consommateur. La question, alors, est de savoir si l’exclusivité reconnue pour l’édition de services audiovisuels dans un contexte de marché diversifié vaut également pour un opérateur quand celui-ci produit lui- même les contenus et conditionne l’accès à ces contenus à un abonnement préalable à son réseau.

Orange Sport, une exclusivité d’opérateur ou une exclusivité d’éditeur ?

Comme le souligne Thierry Dahan, rapporteur général du Conseil de la concurrence, dans la lettre de l’ARCEP de septembre-octobre 2008, l’apparition d’offres en exclusivité liées à des abonnements triple play constitue une modification profonde du modèle « télécom » traditionnel. Le métier de base des fournisseurs d’accès est d’être des transporteurs de signaux. Ces signaux, en étant transportés sans discrimination, permettent de laisser aux seuls éditeurs et distributeurs de chaînes le champ de l’exclusivité. Dans le cas où le fournisseur d’accès édite lui-même une offre de services et de contenus tout en acceptant de transporter celle de ses concurrents, la substituabilité est certes « dégradée », elle n’est plus totale, mais elle persiste. Thierry Dahan souligne à juste titre que l’évolution des offres des fournisseurs d’accès à Internet favorise aujourd’hui ce modèle de substituabilité dégradée, « dans lequel l’exclusivité est cantonnée aux étages de l’édition et de la distribution mais épargne l’étage du transport et de la diffusion ». La substituabilité dégradée a toutefois une première conséquence sur la chaîne de valeur entre éditeurs de chaînes, distributeurs et fournisseurs d’accès. L’édition et la distribution par un fournisseur d’accès d’une offre contrôlée en propre lui permet de s’accaparer toute la marge commerciale sur cette partie de l’offre globale de contenus proposée à ses abonnés. En revanche, la substituabilité disparaît quand « l’exclusivité « descend » jusqu’à l’étage du transport », quand un fournisseur d’accès ne transporte que les signaux des programmes et services qu’il édite lui-même. Dans ce cas, le fournisseur d’accès à Internet bénéficie d’un effet de levier, « qui permet de gagner des clients, non pas sur ses mérites propres [l’offre triple play], mais grâce au pouvoir tiré d’une situation de monopole sur un bien connexe ou lié ».

La question se posera donc de déterminer le périmètre toléré pour les exclusivités : limité à l’édition ou étendu également au transport ? Les exclusivités porteront-elles uniquement sur l’édition de chaînes, comme cela existe depuis toujours à la télévision ? En effet, il semble difficilement envisageable de supprimer l’exclusivité pour les droits de diffusion, sauf à remettre totalement en question la rémunération des détenteurs de droits. Les exclusivités porteront-elles au contraire également sur le transport ou faudra-t-il « dégrouper » le transport des chaînes ? C’est ce que souhaitent Free et Neuf Cegetel quand ils saisissent, en juin 2008, le tribunal de commerce de Paris pour concurrence déloyale, dénonçant comme une « vente subordonnée » l’accès à Orange Sport pour les seuls abonnés triple play d’Orange (voir le n°8 de La revue européenne des médias, automne 2008).

Il est vrai que la situation est nouvelle : l’achat de contenus exclusifs par Orange est motivé par la nécessité de proposer une offre de services inédite à ses abonnés triple play, dont une chaîne sportive en exclusivité et accessible sur tous les écrans. Ici, l’édition du service est subordonnée à sa distribution par un réseau précis, qui en conditionne l’existence. L’exclusivité, qui porte sur les contenus, se déplace ainsi vers le réseau, d’où la plainte pour « vente subordonnée ». Dans un premier temps, la vente subordonnée n’a pas été reconnue par les juges, qui ont souscrit à l’analyse d’Orange : la distribution d’Orange Sport s’inscrit dans un contexte technique particulier, où l’accès aux contenus est décliné sur le PC, la télévision et le mobile, réseaux de distribution et chaîne constituant « un produit unique et indissociable ». Le tribunal de commerce de Paris est pourtant revenu sur sa première décision à la suite de l’appel de la décision par Free et Neuf Cegetel. Le 23 février 2009, le tribunal de commerce de Paris a en effet jugé que France Télécom pratique « une vente subordonnée » interdite par le code de la consommation en conditionnant l’accès à Orange Sport à la souscription préalable d’un abonnement à Internet haut débit Orange. De la sorte, Orange peut « acquérir une clientèle qu’il détourne de ses concurrents ». Le tribunal de commerce de Paris donnait le même jour un mois à Orange, soit jusqu’au 24 mars 2009, pour proposer une offre de gros à tous les fournisseurs d’accès à Internet afin de leur permettre de distribuer également Orange Sport, pour mettre fin à la vente liée. Le jugement porte sur une « vente liée » de la chaîne Orange Sport et non sur l’exclusivité en tant que telle, qui porte sur les contenus. Le tribunal renvoie d’ailleurs à la possibilité pour Orange de distribuer sa chaîne au plus grand nombre, sur tous les réseaux, comme un moyen de rentabiliser ses investissements dans les droits exclusifs sur certains programmes, notamment les matchs de football de la Ligue 1. La réponse stratégique d’Orange au jugement est à cet égard très significative : l’exclusivité sur les contenus et le transport a été protégée à tout prix comme un élément de la stratégie du groupe. Ayant fait appel de la décision, le groupe a préféré suspendre, à partir du 24 mars 2009, la commercialisation d’Orange Sport, plutôt que de laisser ses concurrents accéder à son offre. Comme le fait remarquer Xavier Couture, directeur des conte- nus de France Télécom, le jugement n’ordonne pas de mettre Orange Sport à la disposition des concurrents d’Orange, mais de ne plus subordonner la vente de ce service à celle d’un accès à haut débit, quitte à ne plus commercialiser la chaîne tant qu’un jugement sur le fond n’aura pas été rendu. A ce jour, donc, les ventes multiple play exclusives, incluant l’accès au réseau et aux contenus, sont interdites. Il n’est donc pas possible de lier l’accès à l’offre triple play et l’accès à des services exclusifs comme Orange Sport ou, demain, Orange Cinéma Séries, le bouquet de chaînes du groupe accessible aux seuls abonnés à l’Internet haut débit. Si l’on se réfère au cas Rewind TV, les offres peuvent toutefois inclure une clause d’exclusivité de durée raisonnable, qui conduit à « libérer » dans un second temps l’accès au service, qui ne dépendra plus de l’accès à un réseau en particulier.

Il sera difficile, pour les autorités de concurrence, de ne pas statuer sur la question de l’exclusivité à l’heure de la convergence, notamment sur le fait de s’appuyer sur l’exclusivité des contenus pour bénéficier également d’un droit exclusif de transport et de distribution. Dans le cadre du débat parlementaire relatif au projet de loi audiovisuelle, les députés UMP avaient voté, le 16 décembre 2008, un amendement interdisant à un opérateur de télécommunications de réserver à ses seuls abonnés l’accès à son offre de télévision. Visant Orange, l’amendement n’a pas été repris par la commission des affaires culturelles du Sénat qui a au contraire rappelé que « l’exclusivité est un principe structurant de la télévision payante, reconnu comme tel par les autorités de la concurrence et le CSA ». Mais, sur le fond, le droit de la concurrence, et non celui de la consommation dont relève la vente subordonnée, devra, à la demande du gouvernement, répondre à la question de la double exclusivité d’édition et de transport, soit pour l’interdire, pour l’autoriser sur une durée limitée et dans des conditions particulières, ou bien encore afin de l’autoriser sans condition.

Dans son plan France Numérique 2012 présenté le 20 octobre 2008, Eric Besson, alors secrétaire d’Etat au développement du numérique, avait demandé la saisine du Conseil de la concurrence pour déterminer si « la constitution d’offres exclusives et le développement d’un mode d’accès à ces contenus ne servent pas de prétexte à une vente liée à une offre d’infrastructures ». Le 8 janvier 2009, le Conseil de la concurrence confirmait avoir été saisi pour avis par le gouvernement sur les relations d’exclusivité entre activités de fournisseurs d’accès à Internet et de distribution de contenus et de services, en prenant en compte à la fois « l’impact des droits exclusifs de diffusion télévisuelle et de distribution exclusive des chaînes et services payants ». A ce jour, le CSA et l’ARCEP ont rendu leur avis au Conseil de la concurrence, avis qui témoigne de la différence d’approche entre les autorités de régulation de l’audiovisuel et des télécommunications : alors que le CSA est favorable aux exclusivités « pour une période limitée », afin de favoriser les nouveaux entrants dans le domaine audiovisuel, l’ARCEP a de son côté défendu la substituabilité des offres des opérateurs de télécommunication en recommandant qu’Orange permette aux abonnés des autres opérateurs d’accéder aux chaînes éditées par le groupe. Le 12 janvier 2009, Canal+ et SFR ont par ailleurs porté plainte auprès de l’Autorité de la concurrence, qui remplace le Conseil de la concurrence depuis le 13 janvier 2009, pour vente liée par Orange des chaînes Orange Sport et Orange Cinéma Séries, dénonçant en outre une vente « à un prix prédateur » d’Orange Sport, commercialisée à 6 euros par mois.

Face à toutes ces demandes, l’Autorité de la concurrence va peut-être voir sa tâche facilitée par une récente décision de la Cour de justice des Communautés européennes. Le 23 avril 2009, la CJCE a prononcé un arrêt en faveur des ventes liées à propos d’une promotion du groupe Total en Belgique, qui offrait une assistance gratuite à ses clients lui achetant de l’essence. La CJCE précise que « les offres conjointes constituent des actes commerciaux s’inscrivant clairement dans le cadre de la stratégie commerciale d’un opérateur et visant directement à la promotion et à l’écoulement des ventes de celui-ci ». De là à faire d’Orange Sport un faire-valoir autorisé par le droit communautaire de l’offre Internet haut débit du groupe, il n’y a qu’un pas que la Ligue de football professionnel, inquiète pour le financement de ses droits, a déjà franchi en faisant la promotion de l’arrêt de la CJCE.

Sources :

  • « Très vives réactions après l’accord entre France Télécom et France Télévisions », Jamal Henni, Les Echos, 7 août 2007.
  • « Les contenus sont l’oxygène de nos réseaux », interview de Didier Lombard par Jean-Christophe Féraud, Frédéric Schaeffer et Guillaume de Calignon, Les Echos, 7 avril 2008.
  • « Le Conseil de la concurrence ne s’oppose pas au service Rewind TV », AFP, tv5.org, 7 mai 2008.
  • « Télé de rattrapage : la voie est libre pour France Télévisions et Orange », Charles de Laubier, Les Echos, 18 juin 2008.
  • « Convergence contenants – contenus : l’exclusivité inutile et incertaine ? », Tierry Dahan, La Lettre de l’Autorité, ARCEP, septembre – octobre 2008.
  • « Nouvelle bataille juridique autour de l’offensive d’Orange dans la TV », Nathalie Silbert, Les Echos, 29 octobre 2008.
  • « Orange perd son exclusivité sur l’iPhone d’Apple », Frédéric Schaeffer, Les Echos, 18 décembre 2008. – « L’offre de télévision d’Orange menacée par un amendement », Guy Dutheil, Le Monde, 20 décembre 2008. – « Saisine du Conseil de la concurrence sur les exclusivités des opérateurs télécoms sur la distribution de contenus ou de services », minefe.gouv.fr, 9 janvier 2009.
  • « Les exclusivités d’Orange sur la sellette », Delphine Cluny, La Tribune, 9 janvier 2009.
  • « L’iPhone, la machine à cash d’Orange », Guillaume de Callignon, Les Echos, 5 février 2009.
  • « Orange en passe de perdre l’exclusivité de commercialisation de l’iPhone d’Apple », Laurence Girard, Le Monde, 5 février 2009.
  • « Pourquoi Canal+ porte plainte contre Orange », interview de Bertrand Méheut, PDG de Canal +, par Isabelle Repiton et Jamal Henni, La Tribune, 12 février 2009.
  • « Exclusivité d’Orange Sport : verdict aujourd’hui », Delphine Cluny, La Tribune, 23 février 2009.
  • « Orange perd l’exclusivité sur sa chaîne Orange Sport », N.S., Les Echos, 24 février 2009.
  • « Un cataclysme pour la création », interview de Xavier Couture, directeur des contenus de France Télécom, par Yann Philippin et Sté- phane Joby, Le Journal du dimanche, 1er mars 2009.
  • « L’exclusivité est un élément clef pour rentabiliser l’investissement dans l’innovation », interview de Didier Lombard, par David Barroux, Guillaume de Chalignon et Jean-Christophe Féraud, Les Echos, 10 mars 2009.
  • « Bouygues Telecom vendra l’iPhone à partir du 29 avril », F.S., Les Echos, 12 mars 2009.
  • « La justice oblige Orange à suspendre la commercialisation de sa chaîne sportive », Guy Dutheil, Le Monde, 22 mars 2009. – « Le duel Canal+ Orange fait trembler le foot », Marie-Cécile Renault, Le Figaro, 1er avril 2009.
  • « Orange Sport : le CSA plaide en faveur d’une exclusivité temporaire », Emmanuel Paquette, Les Echos, 9 avril 2009.
  • « La LFP voit dans un arrêt de la CJCE un argument favorable à Orange Sport », AFP, tv5.org, 24 avril 2009.
  • « Bouygues Telecom modère un peu le prix de l’iPhone », G. de C., Les Echos, 28 avril 2009.

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