La loi française création et Internet

Le projet de loi « favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet », dit « création et Internet » ou, plus communément encore, « Hadopi » (Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet), a été adopté le 13 mai 2009. Le Conseil constitutionnel en a été saisi. Sa promulgation est donc retardée. Au texte originellement destiné à contribuer à l’action contre le téléchargement illégal, ont été ajoutées d’autres dispositions ayant pour objectif l’adaptation du droit à Internet et, plus largement, aux médias numériques.

La lutte contre le téléchargement illégal

Reprenant certaines recommandations du « Rapport Olivennes » (voir n°5 de La revue européenne des médias, hiver 2007-2008), la loi comporte des mesures d’encouragement au développement de l’offre légale et des sanctions pour les cas avérés de téléchargement illégal.

Le développement de l’offre légale

Selon l’espoir des autorités, l’augmentation de l’offre légale devrait contribuer à diminuer les pratiques de téléchargement non autorisé. La révision des « délais d’exploitation des œuvres cinématographiques », ou « chronologie des médias », est supposée y participer. Le délai à l’expiration duquel un film « peut faire l’objet d’une exploitation sous forme de vidéogrammes » est réduit à « quatre mois à compter de la date de sa sortie en salle ». Une durée inférieure peut être fixée par le Centre national de la cinématographie (CNC). La détermination de la date de diffusion des œuvres cinématographiques par les services de médias audiovisuels (SMA), est renvoyée aux contrats signés avec les titulaires de droits ou à un éventuel « accord professionnel ». Comptant sur la valeur incitative du nouveau dispositif, le législateur confie à la Haute Autorité la mission d’attribuer un label d’identification du caractère légal de l’offre de certains services de communication au public en ligne. Le CNC est chargé de contribuer « à la mise en place d’un portail de référencement destiné à favoriser le développement des offres légales ».

Les sanctions à l’encontre du téléchargement illégal

Appelée à contribuer à la promotion de l’offre légale, la Hadopi doit également participer à la lutte contre le téléchargement illégal. Cette « autorité publique indépendante » se voit attribuer un rôle d’évaluation des « technologies de reconnaissance des contenus et de filtrage » et d’identification des « modalités techniques permettant l’usage illicite » d’Internet. En son sein, la Commission pour la protection des droits constitue la pièce maîtresse du dispositif de sanctions.

Saisie notamment par les sociétés de perception et de répartition des droits ou agissant « sur la base d’informations transmises par le procureur de la République », la Commission devrait obtenir des opérateurs, l’identité et les coordonnées « de l’abonné dont l’accès à des services de communication au public en ligne a été utilisé à des fins » de téléchargement illégal.

Il est prévu qu’elle déclenche alors le mécanisme de la « riposte graduée ». Elle commencera par « envoyer, à l’abonné, une recommandation lui rappelant » l’obligation de respecter le droit et le prévenant « des sanctions encourues ». Elle l’informera de l’existence de « l’offre légale » et de « moyens de sécurisation permettant de prévenir les manquements » au droit. En cas de nouvelle violation constatée dans un délai de 6 mois, un second avertissement sera adressé. Si, dans l’année suivante, l’utilisateur persiste, la Commission pourrait prononcer « la suspension de l’accès au service pour une durée de deux mois à un an ; la limitation des services ou de l’accès à ces services ; une injonction de prendre des mesures » de sécurisation « de nature à prévenir le renouvellement du manquement ».

Les motifs de contestation sont nombreux à l’encontre de ces diverses dispositions adoptées afin de lutter contre le téléchargement illégal : le pouvoir de surveillance et de sanction accordé à une autorité administrative ; le cumul de condamnations administratives et judiciaires ; l’éventualité d’une transaction ; les menaces qui pèsent sur les données personnelles, s’agissant de l’identification des internautes et du relevé de leurs comportements ; la contrainte d’avoir à payer le prix de l’abonnement en dépit de la suspension de la connexion ; l’impossibilité d’en souscrire un autre ; l’obligation de s’en assurer pesant sur les fournisseurs d’accès ; l’exigence, pour le titulaire de l’accès à Internet, de mettre en œuvre des moyens de sécurisation visant à en empêcher des usages illicites ; l’habileté de certains à échapper aux mesures de contrôle…

L’adaptation du droit au numérique

Parmi les tentatives d’adaptation du droit à l’évolution des techniques, figurent celles concernant les droits d’auteurs des journalistes et celles qui concernent d’autres usages du numérique.

Les droits d’auteur des journalistes

La possibilité, pour un journaliste, « de faire reproduire et d’exploiter ses œuvres » est limitée parce qu’il cède désormais ses droits à un « titre de presse ». Il s’agit de « l’organe de presse » auquel le journaliste « a contribué, ainsi que de l’ensemble des déclinaisons du titre ». Est « assimilée à la publication dans le titre de presse la diffusion par un service de communication au public en ligne sous le contrôle éditorial du directeur de la publication ». Lorsque la société « édite plusieurs titres de presse, un accord d’entreprise peut prévoir la diffusion de l’œuvre par d’autres titres de cette société ou du groupe ».

La législation nouvelle introduit un critère de durée pendant laquelle, pour un usage interne au « titre de presse », l’entreprise a tous les droits. « L’exploitation de l’œuvre du journaliste sur différents supports a pour seule contrepartie le salaire, pendant une période fixée par un accord » collectif prenant « en considération la périodicité du titre ». C’est seulement après cette période qu’une rémunération sera due. L’étendue des modes d’exploitation pour lesquels les droits sont cédés au « titre de presse » prive le journaliste de la faculté d’y procéder lui- même et de percevoir une rémunération complémentaire.

Les autres usages du numérique

L’Autorité de régulation des mesures techniques, instituée par la loi du 1er août 2006 (voir n°1 de La revue européenne des médias, février 2007) est remplacée par la Hadopi. La composition et l’organisation de celle-ci sont distinctes. Ses missions sont élargies. Elle conserve des compétences en matière de contrôle du recours aux mesures techniques de protection et de garantie de l’interopérabilité. L’intervention de la Commission pour la protection des droits, dans la lutte contre le téléchargement illégal, ne constitue qu’un aspect de son action. De nombreuses dispositions du code de la propriété intellectuelle sont ainsi modifiées.

Par ailleurs, dans la loi du 1er août 1986 relative au statut des entreprises de presse, est introduite une définition des « services de presse en ligne ». Ils peuvent être admis à certaines modalités d’aides de l’Etat : exonération de la taxe professionnelle et régime particulier de l’impôt sur les bénéfices.

Une autre disposition est relative à la détermination de la personne pénalement responsable des messages ou commentaires adressés, par les internautes, à un service de communication au public en ligne, « dans un espace de contributions personnelles identifié comme tel ».

Courant après l’évolution des techniques et de leurs usages, pour tenter de les encadrer ou (s’) en donner l’illusion, le législateur y parviendra-t-il ? L’équilibre des droits, de propriété intellectuelle des uns et de respect de ceux (vie privée, présomption d’innocence, droits de la défense…) des internautes soupçonnés de procéder à des actes de téléchargement illégal, des éditeurs de presse et des journalistes, des personnes mises en cause et de ceux qui contribuent à la diffusion de messages litigieux est-il assuré ? Les mesures destinées à promouvoir l’offre légale ou dont on attend, par un système de « riposte graduée », qu’elles aient un « rôle pédagogique » auront-elles le résultat escompté ? Le dispositif choisi sera-t-il applicable et efficace ? Ne sera-t-il pas très vite dépassé, s’il ne l’est pas déjà ? Les jeux politiques ne l’ont-ils pas emporté sur toute autre préoccupation ?

Sources :

  • Projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet, Code de la propriété intellectuelle et code du travail.
  • Le développement et la protection des œuvres culturelles sur les nouveaux réseaux. Rapport au ministre de la culture et de la communication. Mission confiée à Denis Olivennes, 43 p., www.culture.gouv.fr/culture/actualites, novembre 2007.

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