Touchée par les difficultés du marché publicitaire, la presse gratuite amorce un mouvement de consolidation

Portée par la hausse continue des dépenses publicitaires depuis le début des années 2000, la presse gratuite est touchée de plein fouet par les difficultés du marché publicitaire. Les deux grands groupes de presse gratuite, Metro International et Schibsted, ont chacun mis en place un plan de réduction des coûts. Certains titres non rentables sont fermés, comme 20 Minutes en Espagne. Pour les derniers arrivés sur le marché de la presse gratuite, sauf cas exceptionnel comme la France où les gratuits sont adossés à de grands groupes, survivre en période de crise devient difficile.

La particularité de la presse gratuite est avant tout son extrême sensibilité à la conjoncture économique : financée à 100 % par la publicité, ne bénéficiant que de peu d’aides de l’Etat dans les pays où le soutien à la presse est institutionnalisé, la presse gratuite dépend des budgets de communication des annonceurs, les premiers touchés en cas de crise économique, bien qu’ils soient parmi les plus dynamiques dans les périodes de prospérité. Aussi tous les titres de la presse gratuite s’attendent-ils à une année 2009 difficile, qui le sera plus ou moins selon les différents marchés, avec chacun ses particularités. A l’exception des pays où le marché des gratuits est le plus encombré, les titres gratuits espèrent toutefois tirer leur épingle du jeu. Car la baisse des investissements publicitaires, si elle touche toutes les catégories de presse, est plus marquée pour la presse payante que pour la presse gratuite. Cette dernière bénéficie d’audience en progression et propose des tarifs publicitaires bon marché, ceux-ci étant, selon Permikael Jensen, président de Metro International, inférieurs de 10 % à 25 % à ceux de la presse payante sur le marché français.

Avec un modèle économique fondé sur des coûts réduits, la presse gratuite se caractérise en premier lieu par sa dimension internationale. Les deux premiers éditeurs de presse gratuite, le norvégien Schibsted et le suédois Metro International, ont ainsi multiplié les déclinaisons de leurs titres à travers l’Europe, répliquant sur tous les marchés des méthodes éprouvées : pagination réduite, traitement de l’information limité, rédaction de petite taille, positionnement sur les cadres actifs urbains et les jeunes lecteurs, ceux-là même qui délaissent le plus la lecture des quotidiens payants, distribution extrêmement maillée sur les lieux de fort passage, notamment les transports en commun, tôt le matin pour être lus avant le premier contact avec la presse payante, que l’on découvre au bureau ou le soir dans sa boîte aux lettres. Une stratégie qui a jusqu’ici permis un développement spectaculaire de la presse gratuite dans la plupart des pays où elle s’est implantée, à quelques exceptions près, comme l’Allemagne notamment.

Pour Metro International, l’heure de la rentabilité a sonné

Présent dans 18 pays avec 56 éditions et une diffusion mondiale proche de 10 millions d’exemplaires, Metro International est le leader mondial de la presse gratuite. En 2008, le groupe est parvenu, malgré un dernier trimestre difficile du fait de la chute des recettes publicitaires, à afficher un bénéfice net de 4,06 millions de dollars (3,15 millions d’euros), contre une perte de 20,15 millions de dollars en 2007. Mais ce résultat positif masque les difficultés du groupe qui bénéficie, pour l’année 2008, d’un résultat exceptionnel avec la vente, en mai 2008, de 35 % de sa participation dans sa filiale suédoise à son concurrent norvégien Schibsted pour 350 millions de couronnes suédoises (35,4 millions d’euros). En effet, en 2008, le chiffre d’affaires de Metro International est en repli de 10,7 % à 29,47 millions de dollars. Le résultat du groupe est en fait fortement pénalisé par les pertes sur les marchés les plus touchés par la crise économique, le sud de l’Europe avec l’Espagne, l’Italie, le Portugal et la France, enfin les Etats-Unis. Ces difficultés ont entraîné la convocation d’une assemblée générale extraordinaire du groupe, le 24 février 2009, pour procéder à une augmentation de capital de 52 millions d’euros, afin de permettre à Metro International de faire face au remboursement d’une partie de ses dettes arrivant à échéance. Kinnevik, actionnaire principal de Metro International avec 44 % du capital du groupe, a financé la recapitalisation. En même temps, Kinnevik annonçait avoir reçu une offre d’achat, sans donner d’indication sur le repreneur potentiel, attisant ainsi la spéculation sur le titre du groupe Metro. Le 20 avril 2009, jour de la publication de ses résultats trimestriels, Metro confirmait ne pas être parvenu à un accord avec son repreneur potentiel, ce qui entraîna le jour même une chute de 40 % du titre en bourse. L’année 2009 s’annonce difficile : au premier trimestre, le chiffre d’affaires est en recul de 24 % sur un an, à 55,6 millions d’euros, chute ramenée à 19 % si l’on déduit la disparition du chiffre d’affaires généré un an plus tôt pour la même période par Metro Espagne. En effet, Metro International multiplie les réductions de coûts, qui se sont traduites, en Espagne, par l’arrêt de la publication du gratuit du groupe.

En novembre 2008, Metro a ainsi annoncé une réduction de ses effectifs de 20 à 25 % au Danemark ; le groupe prépare par ailleurs le licenciement d’une dizaine de salariés en France sur un effectif de cent personnes. Sur le marché espagnol, le groupe a simplement décidé de mettre fin à la parution de son quotidien gratuit, le 29 janvier 2009, invoquant des « pertes intenables », estimées à 5 millions d’euros en 2008. Lancé en 2001 et distribué dans les sept principales villes espagnoles, Metro Espagne était le cinquième quotidien du pays, avec 1,8 million de lecteurs. Concurrencé par 20 Minutos, leader de la presse gratuite sur le marché espagnol, marché saturé par ailleurs du fait de l’existence de deux autres gratuits, Que ! et ADN, Metro Espagne avait déjà réduit ses effectifs d’une trentaine de personnes en décembre 2008 et limité sa pagination afin de diminuer ses coûts de production. Cela n’aura manifestement pas suffi, notamment à cause de la chute importante du marché publicitaire espagnol, de 16 % en 2008 selon l’Association des éditeurs de quotidiens espagnols (AEDE). D’autres fermetures de gratuits ne sont pas à exclure, la stratégie du groupe Metro International étant de céder ou de fusionner tous ses titres dans les pays où il n’occupe pas la première ou la deuxième place sur le marché des gratuits.

Schibsted diminue également ses coûts et participe à la consolidation du secteur

A l’instar de Metro International, qui a préféré se retirer du marché espagnol, saturé, plutôt que de prendre le risque de pertes récurrentes, Schibsted participe aussi à la consolidation du marché des gratuits. Après être monté dans le capital de l’édition suédoise de Metro, Schibsted a cessé la parution de Punkt sur le marché suédois, son quotidien gratuit lancé en octobre 2006 et déficitaire depuis ses débuts. L’objectif est de consolider le marche suédois des gratuits, dans un pays de 9 millions d’habitants seulement. Après l’entrée de Schibsted dans le capital de Metro Suède, une régie publicitaire commune a par ailleurs été mise en place avec l’autre quotidien gratuit de Schibsted sur le marché, Aftonbladet. En Suède, Schibsted est également présent dans la presse avec le quotidien Svenska Dagbladet.

A l’évidence, il n’y a de place, sur les marchés européens, que pour trois, voire quatre journaux gratuits, les derniers entrés sur le marché étant les plus fragiles, avec les quotidiens du soir, qui ne bénéficient pas des nouvelles « fraîches » du matin et qui doivent de ce fait adopter un positionnement éditorial plus proche de la presse populaire. Ainsi, à l’occasion du premier Congrès mondial de la presse gratuite, en septembre 2009 à Madrid, le professeur Piet Baker, de l’université d’Amsterdam, notait que « en 2007, 23 titres, soit environ un dixième du secteur, ont mis la clé sous la porte, et 12 autres depuis le début de l’année 2008 ». Ce fut le cas notamment au Danemark, où le dernier entré sur le marché, le gratuit Nyhedsavisen, a cessé de paraître le 1er septembre 2008, le marché étant désormais partagé entre trois titres, MetroXpress, 24timer et Urban. Ce fut encore le cas en République tchèque où le groupe suisse Ringier a décidé d’arrêter, le 19 décembre 2008, la parution de son gratuit 24 Hodin, lancé en novembre 2005. En Italie, le groupe Il Sole 24 Ore a décidé d’arrêter, le 1er avril, la parution de son gratuit 24 Minuti. Lancé fin 2006, parmi les derniers arrivés sur le marché italien des gratuits, 24 Minuti était diffusé à 200 000 exemplaires à Milan et 250 000 exemplaires à Rome.

Pour tous les groupes de presse, la restructuration du secteur « gratuit » est donc commencée, ce qui se traduit chez Schibsted par un plan de réduction des coûts, 25 postes devant être supprimés au niveau du siège, mais également en Espagne où le marché de la presse gratuite est le plus difficile. Au quatrième trimestre 2008, les recettes publicitaires de 20 Minutos ont ainsi chuté de 31 %. Les effectifs de 20 Minutos, le quotidien pourtant le plus lu du pays et qui devrait bénéficier du retrait de Metro, ont été restreints de 10 %, sa pagination a également été réduite, alors que certaines imprimeries du groupe seront fermées dans la péninsule Ibérique. Le groupe Schibsted est en effet confronté à des impératifs nouveaux qui l’obligent à se réorganiser. Bénéficiaire en 2007 (635 millions de couronnes, soit 71,2 millions d’euros), le groupe a annoncé, lors de la présentation de ses résultats le 27 février 2009, être déficitaire pour l’année 2008, avec une perte de 906 millions de couronnes (102,6 millions d’euros) pour un chiffre d’affaires de 13,6 milliards de couronnes. Et l’année 2009 s’annonce encore plus difficile que 2008, cette dernière ayant été pénalisée essentiellement par la dégradation de la situation au quatrième trimestre.

En France, le marché de la presse gratuite frôle la saturation

La saturation du marché de la presse gratuite est directement liée à la saturation du marché publicitaire ; celui-ci n’étant pas extensible à l’infini, ce qui est pris par la presse gratuite devant être en partie conquis sur les autres postes des « dépenses médias » des annonceurs. Ainsi, en France, les chiffres Yacast 2008 mettent en évidence le dynamisme des gratuits sur le marché publicitaire, ces derniers enregistrant une hausse de 24,2 % en valeur de leurs recettes publicitaires brutes, à 376 millions, et de 12,3 % en volume. Malgré ce dynamisme, les 376 millions d’euros de recettes publicitaires brutes, avant négociation, peinent à assurer, à eux seuls, des bénéfices aux quatre grands quotidiens d’information gratuits du territoire : 20 Minutes, Metro, Direct Soir et Direct Matin.

Le premier gratuit de France, 20 Minutes, a une diffusion supérieure à 780 000 exemplaires en 2008, avec ses huit éditions locales. Lancé en 2002, comme son concurrent Metro, il a réalisé un bénéfice de 0,7 million d’euros pour la première fois en 2008, contre une perte de 1,7 million d’euro en 2007, pour un chiffre d’affaires de 50,4 millions d’euros en 2008, en hausse de 11 %. Déjà bénéficiaire en 2007 à hauteur de 0,3 million d’euros, le quotidien papier affiche un bénéfice de 3,2 millions d’euros en 2008, alors que le site Internet est en perte de 2,5 millions d’euros, contre une perte de 2 millions d’euros en 2007, du fait des investissements consentis pour son développement. En effet, 20 Minutes, qui a stabilisé son réseau de distribution en France depuis 2005, cherche d’abord à augmenter son audience tous supports, une politique d’investissement qui a longtemps reporté l’atteinte de son point d’équilibre financier.

Pour 20 Minutes, la rentabilité passe par le développement du support imprimé et les synergies avec Internet, la presse gratuite retrouvant en ligne un modèle économique comparable, mais sur un support où l’offre d’information est beaucoup plus importante et la concurrence immanquablement plus rude. Le site de 20 Minutes se place au quatrième rang des sites d’information en France. Il sert désormais de tremplin au site économique lancé par le groupe en octobre 2008, baptisé e24, déclinaison d’un concept développé par Schibsted en Suède en octobre 2005, puis au Pays-Bas et en Norvège. Par le trafic que 20 Minutes renvoie vers e24, le site étant détenu à 70 % par Schibsted et 30 % par 20 Minutes France, le nouveau site d’information économique compte s’imposer dans le paysage de la presse et devenir « le MTV de la presse économique », un support facile d’accès, destiné aux cadres moyens, donc moins élitiste que ses concurrents imprimés La Tribune et Les Echos. En janvier 2009, e24 affichait une audience de 340 000 visiteurs uniques mensuels, 50 % du trafic étant amené par 20minutes.fr.

Lancé en février 2002, Metro France est le seul quotidien gratuit d’information à avoir été rentable, durant trois années consécutives, entre 2005 et 2007. Après un quatrième trimestre 2008 déficitaire, l’édition française de Metro a dû annoncer un résultat négatif en 2008, avec un chiffre d’affaires en recul de 3 %. En décembre 2008, le groupe envisageait de se séparer d’une dizaine de salariés, soit 10 % de ses effectifs en France, afin de réduire ses coûts, anticipant une année 2009 encore plus difficile que 2008. Par ailleurs, son édition locale de Bordeaux sera supprimée et remplacée par l’édition nationale de Metro, une évolution qui conduit à supprimer cinq postes dans la capitale girondine.

Les deux autres gratuits sur le marché français ont été lancés par Vincent Bolloré, en juin 2006 Direct Soir, et en février 2007 Matin Plus, ce dernier ayant été rebaptisé Direct Matin. Arrivé tardivement sur le marché, le groupe Bolloré n’attend pas la rentabilité avant 2012 ou 2013, les pertes des deux titres avoisinant 25 millions d’euros pour l’exercice 2008. Le groupe poursuit néanmoins ses investissements afin de renforcer son offre nationale. En 2009, après avoir lancé Direct Nice en janvier, puis Direct Toulouse en mars, Bolloré devrait lancer une nouvelle édition de Direct Matin à Strasbourg, qui viendra ainsi compléter la couverture du territoire, des éditions locales existant déjà à Paris, Bordeaux, Lille, Lyon, Marseille, Montpellier et Nantes. Ces lancements devraient permettre au groupe de porter la diffusion de Direct Matin de 400 000 à 450 000 exemplaires, auxquels il faut ajouter les 400 000 exemplaires de Direct Soir, édité en partenariat avec le groupe Le Monde.

Avec quatre quotidiens gratuits, le marché français pourrait être considéré comme trop encombré et des rapprochements devraient s’imposer entre les titres. Mais chacun des gratuits nationaux est adossé à un groupe capable de supporter des pertes, le temps d’installer sa marque et de diversifier ses activités. Le moment de la consolidation risque donc d’être encore longtemps reporté. Direct Soir est contrôlé entièrement par le groupe Bolloré, Direct Matin étant contrôlé, pour son édition parisienne, par le groupe Bolloré et le groupe Le Monde, qui en détient 30 %. 20 Minutes est détenu à parité par Schibsted et Ouest France ; Metro France, quant à lui, est détenu par le groupe Metro International et TF1, présent à hauteur de 34 % dans le quotidien gratuit.

Sources :

  • « Presse gratuite : Schibsted va prendre 35 % de Metro Suède », lesechos.fr, 19 mai 2008.
  • « Le modèle des quotidiens gratuits est fragilisé », Pascale Santi, Le Monde, 6 septembre 2008.
  • « Deux nouveaux sites d’information économique font leur apparition », Pascale Santi, Le Monde, 21 septembre 2008.
  • « Un site gratuit d’information économique pour cadres moyens », Cécile Barbière, La Tribune, 21 octobre 2008.
  • « La presse gratuite frappée par la crise veut s’organiser », AFP, tv5.org, 30 septembre 2008.
  • « Plan d’économies pour le groupe norvégien Schibsted », M.-L. B., Le Figaro, 8 novembre 2008.
  • « Mouvements de concentration en vue dans la presse gratuite », Cécile Barbière, La Tribune, 10 novembre 2008.
  • « République tchèque : le suisse Ringier arrête son quotidien gratuit 24 Hodin », AFP, tv5.org, 24 novembre 2008.
  • « Metro s’apprête à licencier », E.P., Les Echos, 12 décembre 2008.
  • « Les quotidiens gratuits aussi sont vulnérables », Pascale Santi, Le Monde, 25 décembre 2008.
  • « Evolution contrastée des recettes publicitaires brutes de la presse, selon Yacast », La Correspondance de la Presse, 13 janvier 2009.
  • « Le quotidien gratuit Metro jette l’éponge en Espagne », G.S., Les Echos, 2 février 2009.
  • « Espagne : la presse gratuite n’est pas épargnée par la crise », Correspondance de la Publicité, 2 février 2009.
  •  « Si TF1 veut monter dans Metro France, j’y suis ouvert », interview de Permikael Jensen, président de Metro International, Cécile Barbière et Jamal Henni, La Tribune, 3 février 2009.
  • « Metro International dans le vert en 2008 mais pessimiste pour l’avenir », AFP, tv5.org, 5 février 2009.
  • « 20 Minutes rentable pour la première fois en 2008 », AFP, tv5.org, 18 février 2009.
  • « 20 Minutes a résisté au ralentissement publicitaire en 2008 », Nathalie Silbert et Jean-Christophe Féraud, Les Echos, 18 février 2009.
  • « Kinnevik, actionnaire de Metro International à hauteur de 44 %, reçoit une offre d’achat pour le groupe de presse gratuite », La Correspondance de la Presse, 24 février 2009.
  • « Le groupe Schibsted est passé dans le rouge en 2008 », Correspondance de la Publicité, 2 mars 2009.
  • « Italie : la crise entraîne l’arrêt d’un quotidien gratuit », AFP, tv5.org, 26 mars 2009.
  • « M. Kjell Aamot, directeur général de Schibsted, a présenté sa démission et quittera définitivement le groupe de presse norvégien en septembre 2010 », La Correspondance de la Presse, 30 mars 2009.
  • « Metro International plonge en bourse après l’échec d’une possible reprise », AFP, tv5.org, 20 avril 2009.
  • « Les perspectives du groupe de presse gratuite Metro s’assombrissent », Jamal Henni, La Tribune, 21 avril 2009.
  • «Newspaper Innovation», Daily blogging on free daily newspapers, newspaperinnovation.com

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