Gros consommateurs de médias numériques, les adolescents s’habituent à la gratuité

La banque américaine Morgan Stanley a demandé à l’un de ses stagiaires à Londres, un adolescent britannique de 15 ans, de rédiger un rapport sur les habitudes de consommation des médias de sa génération. Jugé suffisamment éloquent pour être publié à la une du Financial Times, ce rapport de stage pour le moins empirique a fait le tour du gotha financier.

Au mois de juillet 2009, décideurs et investisseurs ont porté une attention particulière à la publication d’une étude d’un genre inédit, réalisée dans une banque d’affaires à Londres par un stagiaire âgé de 15 ans. Dans son rapport de stage, intitulé How Teenagers Consume Media, le jeune Matthew Robson décrit ses pratiques et celles de ses amis en matière de divertissement et de médias. Cette observation empirique a suscité l’intérêt des investisseurs, pourvus habituellement de données sur la population active. Ils se trouvent confortés dans leurs craintes face aux évolutions probables que dessinent, par leurs comportements liés au développement d’Internet, les adolescents avant-gardistes de la révolution numérique.

Si les conclusions de ce rapport de stage ne sont pas totalement surprenantes, elles renforcent néanmoins certaines conjectures. Face à la grande diversité des médias qui s’offre à eux, les adolescents consacrent moins de temps que leurs aînés aux médias traditionnels et privilégient les médias numériques. Tous possèdent un téléphone portable et un ordinateur connecté à Internet. L’accès Internet de la maison est plutôt utilisé pour se divertir, tandis que l’accès disponible à l’école ou dans une bibliothèque sert à étudier. Leurs modes de communication favoris sont les réseaux sociaux et le téléphone portable. Si les adolescents fréquentent généralement plusieurs réseaux sociaux, Facebook est le plus populaire et ils s’y connectent au moins quatre fois par semaine. Le plus souvent doté d’un abonnement prépayé, le téléphone portable est employé pour envoyer des SMS et pour passer des appels vocaux, jamais pour les courriels ou Internet. Le site de micro-blogging Twitter n’est pas utilisé par les adolescents car actualiser sa page à partir d’un téléphone portable est plus coûteux que d’envoyer un SMS. Les adolescents profitent également des consoles de jeux connectées à Internet pour communiquer entre eux gratuitement.

En dehors des réseaux sociaux, Internet est utilisé principalement comme source d’information sur des sujets divers, par l’intermédiaire du moteur de recherche Google, parce qu’il est connu et facile à utiliser. La publicité sur le Web – les bannières ou les pop ups – est perçue comme ennuyeuse et inutile par les adolescents, alors que le marketing viral remporte leurs faveurs à condition qu’il soit drôle et intéressant.

Quant aux médias traditionnels, aucun n’échappe aux bouleversements liés à l’adolescence à l’ère du numérique. La presse écrite d’information est la plus durement sacrifiée. La lecture de la presse quotidienne est exclue, par manque de temps et d’intérêt pour des informations que les adolescents retrouveront résumées sur le Net ou à la télévision. Seuls les journaux gratuits sont lus, parfois, ainsi que les tabloïds dont le prix est abordable et le format compact, plus facile à lire dans les transports en commun.

Les adolescents n’écoutent pas non plus régulièrement la radio. Ils l’allument occasionnellement pour écouter de la musique, jamais pour suivre un programme en particulier, et préfèrent les sites de musique gratuits en streaming. Si les jeunes écoutent beaucoup de musique, généralement en faisant autre chose, ils sont très réticents à payer. Nombre d’entre eux n’ont jamais acheté de CD et une grande majorité – huit sur dix – télécharge les albums illégalement sur des sites de partage. Le site de musique en ligne d’Apple, iTune, n’est guère apprécié des adolescents qui considèrent le prix de vente pour une chanson trop élevé (79 pences). Presque tous les adolescents désirent avoir la copie d’un morceau de musique sur leur ordinateur afin de pourvoir le transférer sur leur baladeur et le partager avec leurs amis.

La télévision n’est plus le média dominant et permanent, même si tous les adolescents la regardent. Leur consommation TV est variable en fonction de la programmation de leurs séries ou programmes préférés. Une fois la saison de leur feuilleton terminée, ils peuvent rester des semaines sans la regarder. En outre, les adolescents regardent de moins en moins la télévision en direct au profit des services de télévision de rattrapage (catch up TV), lesquels leur permettent notamment d’échapper aux écrans publicitaires en changeant systématiquement de chaîne ou en faisant autre chose durant le temps de leur diffusion.

Quant au cinéma, il constitue avant tout une sortie entre amis, et les adolescents y vont assez souvent, mais pas toujours en ayant choisi préalablement le film. A partir de 15 ans, ils fréquentent moins les salles de cinéma car ils ne bénéficient plus du tarif jeune. Toutefois, les adolescents préfèrent l’achat d’un DVD pirate, moins cher qu’un ticket d’entrée. Certains choisissent de télécharger les films sur Internet, mais cette méthode présente des désagréments ou des inconvénients, la copie, souvent de moins bonne qualité, devant être regardée sur le petit écran d’un ordinateur, avec le risque, de surcroît, d’attraper un virus informatique.

Contrairement à leurs aînés, les digital immigrants, qui ne sont pas devenus majoritairement technophiles, les adolescents, les digital natives, ont adopté d’emblée les nouveaux médias numériques et ont acquis une liberté de choix sans précédent dans leurs modes de consommation. Interactives, délinéarisées et surtout gratuites : telles sont les caractéristiques des pratiques médiatiques des adolescents. Le prix étant pour eux déterminant, ils ont trouvé la façon d’adapter leurs loisirs à leurs finances limitées en se procurant gratuitement sur Internet les divertissements et autres contenus qui les intéressent, à l’exception des sorties au cinéma ou aux concerts pour lesquelles ils acceptent de payer.

Les pratiques culturelles de cette « génération M » (millenials, multitasker, multimedia, mobile) sont dominées par l’usage du multimédia. Le divertissement comme l’information passent par l’écran, ou plutôt une multitude d’écrans, de l’ordinateur, de la télévision, du téléphone portable, de la console de jeux. Les contenus proposés par les médias traditionnels sont désormais consommés principalement hors de leur support d’origine. Pour conclure son rapport, le jeune stagiaire Matthew Robson a classé ce qui est Hot et ce qui est Not. Sont à bannir tous les équipements avec un câble, les appareils équipés de batteries de moins de dix heures et les téléphones portables avec des écrans noir et blanc, ou trop encombrants. En revanche, sont plébiscités les écrans tactiles, les téléphones portables dotés d’une grande capacité de mémoire pour la musique, les smartphones et les postes de télévision avec un très grand écran.

Il est certainement rassurant de penser, à l’instar d’un responsable de la banque Morgan Stanley, Edward Hill-Wood, qui considère cette étude « comme l’une des plus claires et des plus stimulantes qu’ils aient eues », qu’il semble évident que les modes de consommation des adolescents changeront à l’âge adulte. Néanmoins, le modèle économique des médias traditionnels semble gravement et définitivement menacé, voir condamné, par la fragmentation croissante des modes de consommation, et par la banalisation de la notion de gratuité. Il semble peu probable que ces jeunes, qui ont grandi avec Internet, se convertissent en vieillissant aux pratiques médiatiques plus passives de leurs parents. Mais n’étant pas prêts aujourd’hui à payer pour écouter de la musique, voir des films ou encore s’informer, quelle valeur les adolescents accorderont-ils demain, lorsqu’ils auront atteint l’âge adulte, aux biens culturels ?

Sources :

  • « Media & Internet. How teenagers Consume Media », Matthew Robson, Morgan Stanley Research Europe, morganstanley.com, July 10, 2009. –
  • « Note by « teenage scribbler » causes sensation », Andrew EdgecliffeJohnson, Financial Times, FT.com, July 12 2009.
  • « Un ado britannique impressionne avec un rapport de stage sur l’usage des médias », AFP, tv5.org, 15 juillet 2009.
  • « Rapport de stage, interdit aux plus de… », Eric Scherer, AFP-MediaWatch, mediawatch.afp.com, 15 juillet 2009.
  • « Les jeunes sont « accros  » aux nouveaux médias mais ne veulent pas les payer », Cécile Ducourtieux, Le Monde, 17 juillet 2009.

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