Les chaînes européennes d’information internationale censurées en Iran

Si les Etats membres de l’Union européenne ont adopté en mars 2010, à l’initiative de la France, une déclaration commune condamnant le brouillage par l’Iran de la réception des télévisions et radios internationales, aucune mesure concrète de représailles n’a été décidée.

La réception de BBC et Deutch Welle, chaînes de télévision à destination de l’étranger est brouillée en Iran depuis le mois de décembre 2009 (voir le n°13 de La revue européenne des médias, hiver 2009- 2010). Le 11 février 2010, jour anniversaire de la Révolution islamique, la retransmission, par le satellite Hotbird (Eutelsat) de près de 70 services de radio et de télévision étrangers, a été perturbée. A chaque manifestation de l’opposition, sont visés par la censure les programmes émis en persan de la Deutsche Welle et de BBC Persian TV, lancée en janvier 2009 (voir le n° 9 de La revue européenne des médias, hiver 2008-2009), ce qui n’empêche pas leur audience de croître depuis les émeutes postélectorales de juin 2009. Le signal de la radio internationale américaine Voice of America est également victime d’interférences. L’Union internationale des télécommunications (UIT) a été saisie de l’affaire, à l’initiative d’Eutelsat, mais cette organisation internationale n’a aucun pouvoir de sanction.

Selon un politologue iranien, ce sont surtout les émissions radio de la BBC en persan, dont les informations peuvent être reçues sur un téléphone portable, qui « donnent le la ». Pour contourner la censure, les télévisions et les radios internationales ont dupliqué leur diffusion grâce à deux émetteurs, obligeant ainsi les Iraniens à prendre le risque de déplacer leurs antennes satellitaires. Selon Reporters sans frontières, l’Iran serait devenu l’un des pays les plus répressifs au monde, après la Chine et le Vietnam.

A la mi-mars 2010, l’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne, par l’intermédiaire de leurs ministres des Affaires étrangères respectifs, ont demandé aux membres de l’Union européenne de prendre des mesures de sanction envers l’Iran afin que cesse le brouillage des chaînes d’information internationales. Les trois pays européens souhaitent également que soit interdite la commercialisation vers l’Iran des outils permettant de censurer la diffusion de messages sur Internet et sur les téléphones portables.

La filiale commune au finlandais Nokia et à l’allemand Siemens, Nokia Siemens Networks (NSN) est soupçonnée, notamment par le prix Nobel de la paix, l’avocate iranienne Shirin Ebadi, d’avoir commercialisé des logiciels de filtrage des conversations et des SMS sur téléphone portable, un moyen de communication très utilisé par les opposants au pouvoir en place (voir le n°12 de La revue européenne des médias, automne 2009).De même, le magazine finlandais Voima a dénoncé la vente à l’Iran de la technologie Nokia Lawful Interception Gateway (LIG), outil de surveillance du trafic Internet sur les téléphones portables. Ce à quoi NSN a répondu que le système effectivement vendu à l’Iran en 2008 ne pouvait pas servir à la censure, ni sur Internet, ni sur le réseau mobile GSM. Toutefois, l’équipementier de télécommunications a reconnu que LIG permet aux autorités de surveiller les communications, comme sur tous les réseaux du monde, afin de lutter contre la criminalité, mais il s’est défendu d’avoir fourni cette technologie-là à l’Iran. En juin 2009, NSN avait dû admettre que le système vendu à Téhéran permettait d’écouter les conversations téléphoniques mais non, en revanche, de surveiller les flux sur Internet.

Shirin Ebadi dénonce également la politique menée par les pays européens vis-à-vis de l’Iran, qui consiste, selon elle, à se préoccuper exclusivement du nucléaire au détriment de mesures de soutien à l’opposition. Elle a également accusé la société européenne de satellite Eutelsat de répondre favorablement aux demandes du régime iranien d’interrompre la diffusion de la BBC et de Voice of America.Ainsi, les Etats membres de l’Union européenne ont déclaré vouloir mettre fin aux atteintes à la liberté d’expression par le brouillage des programmes étrangers reçus en Iran. Dans une déclaration commune en date du 22 mars 2010, les ministres européens des Affaires étrangères ont déclaré que « l’Union européenne appelle les autorités iraniennes à arrêter de brouiller la diffusion satellitaire et de censurer Internet, et à mettre un terme immédiatement à cette interférence électronique ». Mais aucune mesure précise n’a été énoncée sur la façon d’interdire l’exportation de technologies permettant le contrôle des moyens de communication en Iran.Aux Etats-Unis, le président Barack Obama, s’exprimant à l’occasion du nouvel an iranien (Norouz), le 20 mars 2010, a affirmé la volonté de son pays d’œuvrer « à garantir que les Iraniens puissent avoir accès à la technomogie Internet, ce qui les rendra à même de communiquer entre eux et avec le monde, sans peur de la censure ». En mars 2010, le quotidien New York Times annonçait que le gouvernement américain allait délivrer aux entreprises de technologies Internet des autorisations d’exporter leurs services gratuits et leurs logiciels grand public vers l’Iran, Cuba et le Soudan.Selon un haut responsable gouvernemental, « plus les gens ont accès à un éventail de services et de technologies en ligne, plus dur cela devient pour le gouvernement iranien de réprimer leur parole et la liberté d’expression ». Facebook et Twitter en ont administré la preuve tout au long des manifestations contre les résultats des élections présidentielles en Iran.

Réunis pour étudier la plainte déposée par Eutelsat fin mars 2010, les douze experts du comité du règlement « ont appelé l’administration iranienne à poursuivre ses efforts pour localiser la source du brouillage et pour l’éliminer en donnant à cette question la priorité la plus haute ». Mais le porte- parole de l’agence spécialisée de l’ONU pour les télécommunications, Sanjay Acharya, a également indiqué que l’UIT ne pourrait pas faire de recommandations à l’égard de l’Iran avant janvier-février 2012, date de sa prochaine conférence mondiale.

Alors que la chaîne France 24 couvre les événements liés au mouvement d’opposition, déclenchés depuis juin 2009, en relayant notamment des images d’amateurs et des informations en provenance des réseaux sociaux par l’intermédiaire de son site Internet, qui compte entre 20 000 et 30 000 connexions par mois, celui-ci n’est plus accessible pour les Iraniens depuis début avril 2010.

Il convient aussi de noter qu’en février 2010, la chaîne française a envoyé l’un de ses représentants en Côte d’Ivoire afin de faire amende honorable auprès du Conseil national de la communication audiovisuelle (CNCA), s’engageant « à prendre des dispositions pour un traitement plus professionnel de l’information sur la Côte d’Ivoire », engagement confirmé par courrier par la direction générale de la chaîne. La diffusion de France 24 avait été suspendue durant dix jours par le CNCA pour avoir « procédé à un traitement déséquilibré et non professionnel de l’information » au sujet de la dissolution de la Commission électorale indépendante (CEI) et du gouvernement par le président Laurent Gbagbo.

Sources :

  • « France 24/diffusion », La Correspondance de la Presse, 4 mars 2010.
  • « Nokia Siemens assure que son système vendu à l’Iran ne peut pas surveiller Internet sur les mobiles », AFP, tv5.org, 5 mars 2010.
  • « Les Etats-Unis vont autoriser l’export de services Internet vers l’Iran, Cuba et le Soudan », AFP, tv5.org, 8 mars 2010.
  • « L’Europe menace de sanctionner l’Iran pour le brouillage des chaînes étrangères », Delphine Minoui, Le Figaro, 17 mars 2010.
  • « Censure de l’opposition en Iran : les Européens préparent une riposte », AFP, tv5.org, 17 mars 2010.
  • « Iran : Obama s’engage à œuvrer pour un Internet libre de censure », AFP, tv5.org, 20 mars 2010.
  • « L’Iran brouille l’écoute des médias européens », Jean-Pierre Perrin, Libération, 23 mars 2010.
  • « Les Européens veulent limiter les moyens de censure du régime iranien », Jean-Pierre Stroobants, Le Monde, 24 mars 2010.
  • « Iran/Union internationale des télécommunications (UIT) », La Correspondance de la Presse, 29 mars 2010.
  • « Le site Internet de France 24 inaccessible depuis le territoire iranien », AFP, tv5.org, 2 avril 2010.

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