Contre-attaques pour la liberté de la presse

Refuge pour le journalisme d’investigation… Fin du forum shopping … Pour plus de liberté éditoriale, l’Europe s’engage, comme les Etats-Unis, dans la défense de la liberté d’expression.

Comme annoncé, l’Islande a réalisé son projet de paradis journalistique (voir le n°14-15 de La revue européenne des médias, printemps-été 2010). En juin 2010, le Parlement islandais a voté à l’unanimité l’Icelandic Modern Media Initiative (IMMI). En s’inspirant des législations les plus protectrices de la liberté d’expression établies dans le monde, la nouvelle loi islandaise entend servir le journalisme d’investigation en protégeant, sinon les journalistes eux-mêmes, du moins leur travail, contre toute forme de censure, en leur offrant asile sur des sites web domiciliés en Islande. Les enquêtes journalistiques dont le bon déroulement serait susceptible d’être entravé, notamment par le non-respect de la protection des sources, pourront ainsi être sauvegardées. L’IMMI offre notamment la possibilité aux autorités islandaises de ne pas exécuter des décisions de justice émanant de pays étrangers qui porteraient atteinte au principe de la liberté d’expression tel qu’il est reconnu en Islande. Grâce à l’IMMI, un journaliste étranger attaqué en justice pour ses écrits hébergés en Islande a désormais la possibilité de porter une contre-plainte dans le pays pour atteinte à la liberté d’expression. L’avenir dira si ce « paradis de la transparence », comme l’appellent ses initiateurs parmi lesquels Julian Assange, fondateur du site WikiLeaks spécialisé dans la publication de documents confidentiels, renforcera les moyens et donc le goût des journalistes pour l’investigation.

En septembre 2010, le Parlement européen a adopté en session plénière les propositions du rapport de l’eurodéputé, Tadeusz Zwiefka, ancien journaliste, sur la révision du règlement européen de 2001 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale. Cette décision concerne particulièrement les éditeurs de presse européens. Le Parlement européen entend ainsi limiter la pratique du forum shopping en matière de diffamation et de violation de la vie privée, qui offre la possibilité pour le plaignant de choisir le tribunal de son choix. Concernant les délits de presse, la juridiction compétente peut être celle du lieu du siège social de l’éditeur ou bien celle du ou des pays où la publication mise en cause a été diffusée. Dénonçant l’étroitesse du lien établi parfois entre le litige et le pays auquel appartient la juridiction déclarée compétente, les professionnels des médias ont maintes fois dénoncé cette pratique qui entraîne, selon eux, des situations déséquilibrées en matière de liberté de la presse, créant une forme d’insécurité juridique. Dans sa résolution, le Parlement européen souligne qu’une juridiction, en principe, ne devrait se déclarer compétente que lorsqu’il existe un lien « suffisant, substantiel ou significatif » avec le pays dans lequel le recours a été introduit afin de parvenir à un meilleur équilibre entre le respect du droit de la liberté d’expression et celui des droits à la bonne réputation et à la vie privée.

Le numéro un européen des médias, Bertelsmann s’engage lui aussi dans la défense de la liberté de la presse à l’occasion de son 175e anniversaire. Le groupe allemand, auquel appartiennent, entre autres, le groupe de radios et de télévisions RTL et le groupe de presse Gruner+Jahr, a annoncé en septembre 2010 la création d’une académie de journalisme. Installée à Hambourg, l’International Academy of Journalism, qui ouvrira ces portes fin 2011, s’adresse principalement aux journalistes qui, dans l’exercice de leur profession, luttent pour le respect de la liberté d’expression dans des pays où celle-ci est ignorée ou bafouée. Parrainée par le président de la Commission européenne, Manuel Barroso, et avec le soutien des rédacteurs en chef des hebdomadaires d’information parmi les plus influents d’Allemagne, comme le Spiegel ou le Stern, cette académie dispensera des formations sur place ou à distance.

Différentes, certes, dans leur portée, ces initiatives européennes vont pourtant dans la même direction, tout comme celle des Etats-Unis qui ont adopté une loi fédérale contre le tourisme de diffamation (voir le n°14-15 de La revue européenne des médias, printemps-été 2010). Après avoir été votée par les deux chambres du Congrès américain en juillet 2010, la loi a été promulguée le 10 août 2010 par le président américain. En 2008, l’Etat de New-York a été le premier à faire voter une loi afin de se prémunir contre cette pratique de plus en plus répandue. Les Etats de Floride et de Californie ont suivi la même politique en 2009. Le président des Etats-Unis avait alors indiqué sa volonté que soit mise en place une législation au niveau du pays tout entier afin de mieux garantir la liberté d’expression inscrite dans le premier amendement de la Constitution américaine. Cette nouvelle loi vise à offrir une meilleure protection aux journalistes et aux auteurs impliqués dans des procès en diffamation devant les tribunaux de pays étrangers appliquant une législation jugée incompatible avec celle des Etats-Unis en matière de liberté d’expression. Sont notamment concernés la Grande-Bretagne, le Brésil, l’Australie, l’Indonésie et Singapour. Selon la Libel Law britannique, par exemple, l’auteur de la diffamation est jugé a priori coupable et c’est à lui que revient d’apporter la preuve de son innocence. Dorénavant, la législation américaine autorise les tribunaux fédéraux à ne pas reconnaître une peine prononcée pour diffamation hors des Etats-Unis, évitant ainsi aux journalistes et aux auteurs condamnés à l’étranger pour leur publication de se voir infliger, comme cela arrivait de plus en plus fréquemment, de lourdes peines à payer en dommages et intérêts.

Toutes ces mesures reflètent l’existence des menaces réelles qui pèsent toujours, y compris en Europe, sur l’exercice de la profession de journaliste (censure, perquisitions, pressions, agressions, emprisonnement…). La défense du journalisme reste un défi permanent pour la vie démocratique.

Dans son rapport annuel rendu public en juillet 2010, l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) dresse la situation des médias, pays par pays, rendant compte des avancées des uns et des reculs des autres. L’OSCE dénonce des atteintes à la liberté d’expression des médias dans 26 des 56 pays membres de l’organisation situés en Europe, en Asie centrale et en Amérique du Nord. Le rapport rend compte des crimes, des agressions, des emprisonnements dont sont victimes, encore aujourd’hui, des journalistes en Europe. La politique des Etats est mise en cause, au regard notamment de la future loi sur les médias en Hongrie qui « inféoderait » les médias audiovisuels au pouvoir politique, du projet de loi en Estonie, qui crée de nombreuses exceptions à la protection des sources des journalistes, ou encore de la loi italienne limitant les écoutes téléphoniques et interdisant leur publication dans la presse, ainsi que toute information sur les affaires judiciaires en cours. La plupart des médias italiens ont participé, le 9 juillet 2010, à une « journée du silence », en signe de protestation contre ce projet de loi, qui prévoit pour les journalistes et les éditeurs contrevenants des peines de prison et de lourdes amendes. Le Parlement européen a également condamné ce texte à la suite de son adoption par le Sénat italien en juin 2010. La France est également mentionnée dans le rapport de l’OSCE qui considère la nomination par le président de la République des présidents des sociétés de l’audiovisuel public comme « un obstacle à son indépendance et contradictoire aux engagements de l’OSCE ».

Sources :

  • « Atteintes aux droits de la personnalité dans les médias : le Parlement européen prêt à rééquilibrer la balance », La Correspondance de la Presse, 25 juin 2010.
  • « « Journée de silence » dans les médias italiens contre une loi limitant les écoutes téléphoniques et leur publication », Salvatore Aloise, Le Monde, 9 juillet 2010.
  • « Etats-Unis : le projet de loi visant à protéger les journalistes américains à l’étranger a été adopté par le Sénat », La Correspondance de la Presse, 21 juillet 2010.
  • « Etats-Unis : le Congrès adopte une loi protégeant les journalistes américains à l’étranger », La Correspondance de la Presse, 29 juillet 2010.
  • « L’OSCE s’inquiète de la liberté de la presse en Europe », lemonde.fr, 29 juillet 2010.
  • Regular report to the permanent council, Organization for Security and Co-operation in Europe, the representative on freedom of the media, Dunja Mijatović, 29 july 2010, 31p., osce.org/documents.
  • « Etats-Unis/liberté de la presse », La Correspondance de la Presse, 12 août 2010.
  • « L’Islande veut devenir un « paradis de la transparence » », Pierre Prier, Le Figaro, 13 août 2010.
  • « Révision du règlement Bruxelles I : les députés européens approuvent le rapport de M. Tadeusz Zwiefka en plénière », Revue mensuelle, ENPA, septembre 2010.
  • « Bertelsmann crée une académie dédiée à la liberté de la presse », AFP, tv5.org, 16 septembre 2010.

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