Information policière et judiciaire. Droit à l’information et respect des droits de la personnalité

CEDH, 7 février 2012, Axel Springer AG c. Allemagne.

Par arrêt du 7 février 2012, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) condamne l’Allemagne pour violation du principe de liberté d’expression, tel que consacré par l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ConvEDH), à raison de la condamnation, par les juridictions allemandes, d’une société éditrice, pour cause de publication d’informations relatives à un individu ayant fait l’objet d’une arrestation pour usage de stupéfiants et rappel d’une sanction antérieure prononcée à son encontre pour les mêmes faits.

Etait en jeu la mise en balance du droit du public à l’information et du respect des droits de la personnalité (honneur et considération, vie privée, présomption d’innocence). A l’appréciation des juges allemands s’oppose, à cet égard, celle du juge européen, toujours très favorable à la liberté d’expression.

Appréciation des juges allemands

Les juges allemands avaient vu dans la publication des informations litigieuses « une ingérence considérable dans le droit à la protection de la personnalité » de l’individu mis en cause. Considérant que de tels reportages auraient « été licites s’ils avaient eu pour objet des crimes graves », ils estimèrent cependant que « toute ingérence dans la sphère privée d’un délinquant était […] limitée par le principe de proportionnalité », cher à la CEDH, « qui impliquait une mise en balance des intérêts en conflit ». En l’espèce, ils conclurent que « le droit à la protection de la personnalité » de l’individu mis en cause « l’emportait sur l’intérêt du public à être informé, même si la véracité des faits relatés […] n’était pas contestée ».

Reproche était fait à l’article litigieux de focaliser davantage sur la personne en cause (un acteur de télévision) « plutôt que sur l’infraction elle-même, qui n’aurait vraisemblablement jamais fait l’objet d’un article de presse si elle avait été commise par un inconnu » et d’avoir fait rappel d’une condamnation antérieure, « de nature à accroître l’intérêt du public », mais qui « était pourtant le seul antécédent judiciaire de l’intéressé et, qui plus est, datait de plusieurs années ».

Pour le tribunal national, le public n’avait « pas grand intérêt à être informé d’un fait somme toute banal, alors que l’information diffusée constituait une atteinte grave au droit à la protection de la personnalité » de l’individu en cause.

Faisant siennes les conclusions du tribunal, la cour d’appel « rappela qu’un reportage sur une infraction qui révélait l’identité d’un prévenu constituait en règle générale une atteinte considérable au droit de la personnalité de l’intéressé ». Elle considéra que les faits reprochés « auraient été sans intérêt si l’auteur de l’infraction avait été un inconnu ».

Il fut encore jugé que « le fait qu’une personne jouissait d’une certaine notoriété ou était connue du public ne suffisait pas à lui seul à justifier l’existence d’un intérêt du public à être informé ». C’est de cette interdiction, ainsi prononcée par les juges allemands, « de rendre compte de l’arrestation et de la condamnation » que la Cour européenne a été saisie.

Appréciation du juge européen

Condamnée par les juges allemands, la société éditrice fait valoir que « la commission d’une infraction pénale n’est, par nature, jamais une affaire purement privée » et que « l’intérêt du public à être informé l’emporterait sur le droit » de l’intéressé « au respect de sa vie privée ». A l’appui de sa cause, elle sou- ligne en outre « la véracité des faits rapportés dans les reportages litigieux ».

Conformément à sa méthode d’appréciation, la CEDH considère qu’il y a lieu, pour elle, de déterminer : si « l’ingérence » que constitue la décision des juges nationaux « était « prévue par la loi » » ; si elle répondait à un « but légitime » ; et si elle était « nécessaire dans une société démocratique ».

Se référant à sa jurisprudence antérieure, la Cour énonce que « la liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique, l’une des conditions primordiales de son progrès » et qu’elle « vaut non seulement pour les « informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent » et qu’« ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de société démocratique ». De la même manière, elle ajoute encore que « si la presse ne doit pas franchir certaines limites, concernant notamment la protection de la réputation et des droits d’autrui, il lui incombe néanmoins de communiquer, dans le respect de ses devoirs et de ses responsabilités, des informations et des idées sur toutes les questions d’intérêt général » ; que, « à sa fonction qui consiste à diffuser des informations et des idées sur de telles questions, s’ajoute le droit, pour le public, d’en recevoir » ; et que, « s’il en allait autrement, la presse ne pourrait pas jouer son rôle de « chien de garde » ».

L’arrêt pose encore que « lors de l’examen de la nécessité de l’ingérence dans une société démocratique, en vue de la « protection de la réputation ou des droits d’autrui », la Cour peut être amenée à vérifier si les autorités nationales ont ménagé un juste équilibre » entre la « liberté d’expression » et le « droit au respect de la vie privée ».

Parmi les « critères pertinents pour la mise en balance », l’arrêt mentionne notamment : « la contribution à un débat d’intérêt général », « la notoriété de la personne visée et l’objet du reportage », « le comportement antérieur de la personne concernée », « le mode d’obtention des informations et leur véracité », « le contenu, la forme et les répercussions de la publication »…

En l’espèce, la Cour européenne note que « les articles litigieux portent sur l’arrestation et la condamnation de l’acteur […] c’est-à-dire sur des faits judiciaires publics que l’on peut considérer comme présentant un certain intérêt général. En effet, le public a en principe droit à être informé des procédures en matière pénale et à pouvoir s’informer à cet égard, dans le strict respect de la présomption d’innocence ».

Estimant « qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre, d’une part, les restrictions au droit de la société requérante à la liberté d’expression imposées par les juridictions nationales et, d’autre part, le but légitime poursuivi », la Cour conclut qu’« il y a eu violation de l’article 10 de la Convention ».

Une fois encore, se trouve illustré, sans surprise, le fait que, si l’on prend l’image de la balance pour représenter la justice, la Cour européenne des droits de l’homme, face à la revendication du respect des droits de la personnalité, fait très largement et généralement pencher le plateau du côté de la garantie de la liberté d’expression et du droit du public à l’information.

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