La responsabilité d’Internet : détermination des personnes responsables des contenus et des usages des services de communication au public en ligne

A propos de l’arrêt de la Cour de cassation, du 17 février 2011, Sté Nord-Ouest production c. Sté Dailymotion, relatif à la mise en ligne du film Joyeux Noël.

Prestataires techniques, éditeurs de services ou destinataires de services ? Telle est l’interrogation première à laquelle il convient de répondre pour déterminer, en droit français, les personnes responsables des contenus et des usages des services de communication au public en ligne, tant du fait d’abus de la liberté d’expression que de violations des droits de propriété intellectuelle. Les raisons et les conditions de la mise en jeu de la responsabilité des uns ou des autres diffèrent. Pour tenter d’y échapper, certains tentent de créer la confusion quant à la nature exacte de la fonction qu’ils exercent. Les juges s’y sont parfois trompés. La solution implique une claire identification des fonctions exercées et l’exacte prise en compte des conditions de la responsabilité telles qu’elles sont déterminées par les textes (loi du 21 juin 2004, dite « pour la confiance dans l’économie numérique », ou les deux lois « Hadopi », des 12 juin et 28 octobre 2009, inscrites dans le code de la propriété intellectuelle).

Identification des fonctions

En matière de détermination des personnes responsables des contenus qui circulent sur Internet ou de l’utilisation qui en est faite, il en va différemment des prestataires techniques, des éditeurs de services ou des internautes, destinataires des services.

Parmi les prestataires techniques, il convient de distinguer les fournisseurs d’accès et les fournisseurs d’hébergement. Les fournisseurs d’accès sont définis par l’article 6.I.1 de la loi du 21 juin 2004, comme étant « les personnes dont l’activité est d’offrir », aux internautes, « un accès à des services de communication au public en ligne ». Sans même employer cette dénomination, l’article 6.I.2 de la loi du 21 juin 2004 décrit les fournisseurs d’hébergement comme les personnes qui assurent « pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ». Ces prestataires ou intermédiaires techniques n’effectuent aucun choix. Ils n’ont aucune maîtrise des contenus mis en ligne et ainsi rendus accessibles. Sinon, ils seraient (aussi) des éditeurs de services.

Dans l’affaire qui opposait Nord-Ouest production, titulaire des droits de propriété intellectuelle du film Joyeux Noël, à Dailymotion, c’est en considérant que cette dernière n’assure que des fonctions n’induisant « pas une capacité d’action du service sur les contenus mis en ligne » que la Cour de cassation, dans son arrêt du 17 février 2011, retient qu’elle « était fondée à revendiquer la qualité d’intermédiaire technique ».

Quant aux éditeurs de services, pour leur imposer des obligations distinctes, conditionnant la mise en jeu de leur responsabilité, la loi du 21 juin 2004 fait une différence entre les éditeurs selon qu’ils sont professionnels ou non professionnels. Les uns et les autres déterminent les contenus mis en ligne par l’intermédiaire des prestataires techniques. Aux termes de l’article 6.III.1 de la loi du 21 juin 2004 peuvent ainsi être qualifiées « les personnes dont l’activité est d’éditer un service de communication au public en ligne ». Les éditeurs amateurs ne sont pas autrement mentionnés, par l’article 6.III.2 de la loi du 21 juin 2004, que comme « les personnes éditant à titre non professionnel un service de communication au public en ligne ». C’est parce qu’ils ont fait le choix des contenus rendus accessibles sur Internet que les éditeurs de services, professionnels ou amateurs, sont ainsi identifiés.

Les destinataires de services sont les internautes, titulaires ou utilisateurs d’accès à Internet qui, par l’intermédiaire des prestataires techniques, se connectent aux contenus déterminés ou élaborés par les éditeurs de services. L’interactivité ou certains usages conduisent quelques-uns d’entre eux à avoir également ce statut et, en conséquence, à en assumer la responsabilité.

Conditions de la responsabilité

La mise en jeu de la responsabilité de ceux qui assument l’une ou l’autre des fonctions mentionnées est subordonnée à des conditions différentes, selon qu’il s’agit des prestataires techniques, des éditeurs de services ou des internautes, destinataires des services.

Les prestataires techniques échappent normalement à la mise en jeu de leur responsabilité ou, tout au moins, s’agissant des fournisseurs d’hébergement, celle-ci ne peut-elle être engagée qu’à certaines conditions. En des termes légèrement différents selon qu’il s’agit de responsabilité civile ou pénale, l’article 6.I, en ses 2 et 3, de la loi du 21 juin 2004 dispose que les fournisseurs d’hébergement « ne peuvent pas voir leur responsabilité […] engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d’un destinataire de ces services si (ils) n’avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de faits ou de circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où (ils) ont eu cette connaissance, (ils) ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible ». La « notification » des faits litigieux doit satisfaire aux exigences contraignantes de l’article 6.I.5 de la même loi.

Dans l’arrêt cité, la Cour de cassation considère que la notification n’avait pas satisfait « à l’obligation de décrire et de localiser les faits litigieux ». Elle en conclut « qu’aucun manquement à l’obligation de promptitude à retirer le contenu illicite ou à en interdire l’accès ne pouvait être reproché à la société Dailymotion ».

Ayant fait le choix des contenus, les éditeurs de services en sont responsables. S’agissant des abus de la liberté d’expression, les éditeurs de services, professionnels ou amateurs, personnes physiques ou morales, en assument la responsabilité civile. S’agissant de la responsabilité pénale des infractions définies par la loi du 29 juillet 1881 et par quelques autres textes, s’applique, du fait de la fixation préalable, le régime de la responsabilité dite « en cascade » de l’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982. Le directeur de la publication est alors considéré comme auteur principal. « A défaut, l’auteur et, à défaut de l’auteur, le producteur sera poursuivi comme auteur principal ».

Cependant, le même article pose désormais, en son dernier alinéa, que « lorsque l’infraction résulte du contenu d’un message adressé par un internaute à un service de communication au public en ligne et mis par ce service à la disposition du public dans un espace de contributions personnelles identifié comme tel, le directeur ou le codirecteur de publication ne peut pas voir sa responsabilité engagée […] s’il est établi qu’il n’avait pas effectivement connaissance du message avant sa mise en ligne ou si, dès le moment où il en a eu connaissance, il a agi promptement pour retirer ce message ». Dans ce cas, faute de fixation préalable, c’est la responsabilité personnelle de l’internaute qui doit être mise en cause.

Outre cette cause de mise en jeu de la responsabilité des destinataires de services pour abus de la liberté d’expression, il convient d’envisager les faits d’atteinte aux droits de propriété intellectuelle et, notamment, en application des lois dites « Hadopi » (12 juin et 28 octobre 2009), intégrées dans le code de la propriété intellectuelle, à raison des pratiques de téléchargement illégal. A cet égard, doit être distinguée la situation des utilisateurs d’accès et celle des titulaires d’accès. Téléchargeant illégale- ment, les utilisateurs d’accès à Internet pourront être retenus comme coupables de contrefaçon, soumis à une répression particulière. S’agissant des titulaires d’accès à un service de communication au public en ligne, c’est pour « négligence caractérisée » dans la surveillance de l’usage fait de sa connexion Internet, dans des conditions portant atteinte aux droits de propriété intellectuelle, que leur responsabilité peut être engagée et que, en application de l’article L. 335-7-1 CPI, ils peuvent être l’objet de la peine complémentaire de suspension de leur accès, pour une durée maximale d’un mois.

La mise en jeu de la responsabilité du fait des contenus et des usages des services de communication au public en ligne oblige notamment à une claire identification des fonctions exercées par les différents intervenants : prestataires techniques, éditeurs de services et destinataires des services. Une grande confusion subsiste à cet égard. Elle est accentuée par tous ceux qui, en jouant sur les mots, tentent de se soustraire ainsi à leurs responsabilités.

Sources :

  • « Internet et responsabilité. Détermination des personnes responsables, éléments de jurisprudence récente », E. Derieux, Petites affiches, p. 6-19, 11 juillet 2008.
  • « Responsabilité des services de communication au public en ligne. Détermination des responsables », E. Derieux, RLDI/59, n° 1964, p. 58-69, avril 2010.
Professeur à l’Université Paris 2

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