2011 : l’année de l’ouverture pour le nommage sur Internet

L’ICANN (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers), qui gère les noms de domaine, a pris en 2011 deux décisions majeures concernant le nommage sur Internet, en faveur de plus de libéralité : la première fut d’autoriser l’extension .xxx, la seconde d’autoriser sans limite les extensions génériques. En France, c’est le Conseil constitutionnel qui a demandé une évolution vers plus d’ouverture de la loi de 2004 encadrant l’attribution des noms de domaine.

Internet accueille le .xxx dans ses registres de domaine

En ajoutant, le 14 avril 2011, l’extension générique .xxx à la vingtaine d’extensions génériques déjà autorisées (.com ; .net ; .edu ; .info …), l’ICANN a mis fin à près d’une décennie de débats autour de cette extension réservée à la pornographie. Dès 2000, l’entreprise ICM Registry, dont l’activité est de gérer des extensions, demandait à l’ICANN l’ouverture des sites en .xxx, une possibilité vite confrontée à l’opposition conservatrice et religieuse aux Etats-Unis, qui fit retirer un premier agrément obtenu par ICM en 2005. C’est là toute la particularité de l’ICANN : cette association de droit américain, sous contrat avec le gouvernement fédéral, dépend dans ses décisions du climat politique aux Etats-Unis, au moins autant que du contexte international dans lequel elle prend ses décisions qui, elles, concernent bien l’ensemble des pays connectés à Internet. En 2007, les juges américains obligeaient l’ICANN à reprendre le dossier du .xxx, lequel a finalement abouti en avril 2011, la gestion de l’extension étant confiée à ICM.

Pour les professionnels de l’industrie pornographique, cette nouvelle extension ne faisait pas partie de leurs revendications, car ils craignent à juste titre le blocage de l’extension .xxx dans de nombreux pays. A la suite de la décision de l’ICANN, l’Inde indiquait par exemple que l’extension .xxx serait bloquée, une mesure facile quand il s’agit d’interdire l’ensemble d’un domaine, alors que le blocage des sites en repérant des mots clés ou par listes noires est beaucoup plus complexe. Les professionnels du X n’ont toutefois pas l’obligation d’héberger leurs sites sous l’extension .xxx, ce qui leur permettra de continuer à prospérer dans l’univers du .com.

La gestion de l’extension .xxx par ICM Registry devrait rapporter à l’entreprise entre 30 et 40 millions de dollars par an. Mais cette gestion apparaît plus délicate que pour d’autres extensions, notamment à cause des risques de cybersquatting de certains noms de domaine liés à des marques. ICM a donc mis en place une double procédure d’attribution des noms de domaine. La première est simple et s’adresse d’abord aux sites pornographiques qui réservent des noms de domaine en .xxx, comme ils auraient pu le faire sur le .com. La seconde répond aux enjeux du cybersquatting, notamment pour les grandes marques qui ne veulent pas voir leur image associée à une extension .xxx. Ainsi, ICM a mis en place une procédure de blocage des noms de domaine liés à une marque, une fenêtre de tir entre le 7 septembre et le 28 octobre 2011 étant accordée aux entreprises pour décider des noms de domaine à retirer du registre .xxx, moyennant certes un paiement, mais qui sera unique et non reconductible comme pour l’achat d’un nom de domaine. Paradoxalement, ce sont donc les grandes marques qui tirent le marché du .xxx : l’hébergeur britannique Easyspace, cité par Le Monde, indique que la plupart des précommandes de noms de domaine en .xxx sont réalisées par des grandes entreprises, contre 20 % seulement des demandes liées à des sites à caractère pornographique. ICM estime à l’inverse que la part des sites à caractère pornographique représentera à l’avenir entre 60 % et 70 % des noms de domaine en .xxx, parce que cette extension offrira notamment aux professionnels du X les moyens de mieux informer les consommateurs et de respecter les lois nationales, par exemple en matière de protection de l’enfance ou de vie privée des internautes, un sujet très sensible pour l’industrie pornographique.

La rareté des extensions génériques fait place à l’abondance des marques

Lors de la réunion de son Conseil d’administration à Singapour, l’ICANN a autorisé, le 20 juin 2011, l’utilisation comme extension de nom de domaine des noms propres liés à des entreprises ou des organisations. Cette décision, adoptée par 13 voix pour, 1 contre et 2 abstentions, ouvre potentiellement le nommage sur Internet de manière infinie. En effet, jusqu’ici, la rareté a prévalu et les nouvelles extensions, comme le .xxx, étaient difficiles à obtenir. En vingt ans, l’ICANN n’a en fait autorisé qu’une vingtaine d’extensions génériques.

Ces extensions génériques dites également de premier niveau ou gTLD (generic Top Level Domain) ont été les premières d’Internet et correspondent chacune à un champ d’activité résumé généralement en trois lettres (« .edu » pour l’éducation par exemple). La plus célèbre d’entre elles, le .com, est l’extension générique par excellence, utilisée par les Etats-Unis qui n’ont jamais opté pour une extension nationale et ont joué d’emblée la carte de l’universalité sur Internet. L’extension .com compte d’ailleurs pour la moitié des noms de domaine déposés dans le monde. Avec le développement d’Internet, les extensions se sont ensuite multipliées, mais dans le registre dit des extensions nationales, où l’extension est limitée à deux lettres renvoyant à un pays (.fr) ou plus rarement à une région (.eu). Il y a actuellement près de 260 extensions de ce type, également appelées ccTLD (country code Top Level Domain).

La possibilité de créer désormais des extensions de premier niveau avec une marque d’entreprise ou de produit, comme par exemple .cocacola ou .apple, devrait à terme multiplier les extensions de premier niveau par rapport aux extensions dites nationales. L’attribution des nouvelles extensions repose sur un appel à candidatures ouvert par l’ICANN entre le 12 janvier et le 12 avril 2012 : les entreprises ou organisations déposeront un dossier qui, s’il est reçu par l’ICANN, les conduira à prendre en charge la création et la gestion effective sur le réseau de la nouvelle extension. En effet, l’appel à candidatures indique que les dossiers retenus engagent les entreprises ou organisations à opérer pendant dix ans l’extension, sur la base d’un contrat passé avec l’ICANN.

Si l’ouverture des extensions génériques semble promise à un bel avenir, les conditions de leur attribution vont toutefois réduire fortement le nombre des candidats potentiels. En effet, gérer une extension suppose de grandes techniques, du personnel, des compétences et des fonds importants : tout dossier de candidature doit ainsi être accompagné d’un chèque de 185 000 dollars. Seules des grandes entreprises, des villes ou de grandes organisations peuvent donc se porter candidates, les particuliers n’étant pas autorisés à créer une extension. En l’occurrence, les risques de cybersquatting semblent limités, les entreprises ou organisations devant à l’avenir contrôler parfaitement leur nom de domaine. Parmi ces derniers, plusieurs types de noms de domaine sont autorisés pour ces nouvelles extensions génériques : les marques ou brand TLDs ; les extensions dites communautaires ou community TLDs, par exemple .eco ou .ump ; les extensions dites régionales comme .eus pour Euskadi (Pays basque) ; les extensions géographiques, essentiellement des villes comme .paris ou .nyc (New York) ; enfin les extensions reprenant des termes qui portent sur des noms communs génériques comme .film ou .music.

En France, les noms de domaine « sensibles » ne sont plus interdits

Parallèlement aux décisions libérales de l’ICANN, le Conseil constitutionnel français a lui aussi demandé une évolution du nommage sur Internet en faveur d’une plus grande ouverture. Il a censuré, en octobre 2011, l’article L45-2 de la loi sur les communications électroniques du 9 juillet 2004 qui interdisait d’enregistrer comme nom de domaine toute adresse internet « susceptible de porter atteinte à l’ordre public ou aux bonnes mœurs ». Pour le Conseil constitutionnel, le « développement généralisé des services de communication au public en ligne » et leur « importance dans la vie économique et sociale » font que l’encadrement actuel « du choix et de l’usage des noms de domaine affecte la liberté de communication et la liberté d’entreprendre ». En définitive, près de 30 000 noms de domaine sont concernés qui ont dû être libérés au 1er juillet 2011, qu’il s’agisse de noms de domaine jugés sensibles comme « Hitler.fr », « cocaïne.fr », ou « eglise.fr », ou encore de noms de domaine liés à des professions réglementées comme « avocat.fr ». La liste des 30 000 noms de domaine « sensibles » a été publiée le 4 juillet 2011 par l’Association française pour le nommage internet en coopération (Afnic), qui les attribuera en respectant la règle du « premier arrivé, premier servi », à condition que les demandes reposent sur des « motifs légitimes ».

Le 3 août 2011, le décret d’application de cette nouvelle mesure était publié et l’Afnic confirmait avoir reçu 6 100 demandes sur les 30 000 nouveaux noms de domaine mis à disposition. Les termes polémiques, tels « piratage.fr » ou de « juif.fr », sont peu demandés, et la plupart des demandes portent sur des noms de domaine liés au registre commercial ou technique, comme « url.fr » ou « pme.fr ».

Sources :

  • « Les sites en .xxx officiellement lancés », lemonde.fr, 18 avril 2011.
  • « Hitler.fr, mutilation.fr, satan.fr … 30 000 noms de domaine “sensibles” deviennent légaux », lemonde.fr, 4 juillet 2011. –
  • « Les entreprises vont pouvoir personnaliser leur adresse sur le Net », N. RA., Les Echos, 21 juin 2011.
  • « 30 000 noms de domaine sensibles légalisés », Hélène Puel, 01.net, 5 juillet 2011.
  • « Le guide de la révolution Internet », Stéphane Van Gelder, LeJournalduNet, 6 juillet 2011.
  • « Faible succès pour les noms de domaine « sensibles » », lemonde.fr, 3 août 2011.
  • « Les grandes marques achètent aussi des noms de domaine en .xxx », Laurent Checola, Le Monde, 14 août 2011.

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