Extimité

Exposition de son intimité. Ce néologisme inventé par le psychanalyste Jacques Lacan à la fin des années 1960, repris par l’écrivain français Michel Tournier dans son Journal extime publié en 2002, trouve aujourd’hui un nouvel écho, notamment auprès des sociologues, anthropologues et psychanalystes qui étudient les enjeux de société inhérents au développement des réseaux sociaux sur Internet. Pour reprendre le titre de l’ouvrage du psychiatre et psychanalyste Serge Tisseron, consacré au programme de téléréalité Loft Story, l’extimité serait L’intimité surexposée (Ed. Ramsay, 2001). Réfutant le concept d’exhibitionnisme pour qualifier la démarche de ceux et celles qui participent aux émissions de téléréalité, Serge Tisseron préfère le mot d’extimité pour expliquer le désir de communiquer des éléments de sa vie intime dans le but de mieux se les approprier, de leur donner davantage de valeur et de les sublimer à travers le regard d’autrui. Les vertus thérapeutiques de l’extériorisation de l’intimité passeraient par l’identification à l’autre. Faire valider par autrui des éléments intimes de sa vie, c’est en fin de compte, selon Serge Tisseron, enrichir sa personnalité. Le désir d’extimité n’est pas contradictoire avec un besoin d’intimité, mais au contraire complémentaire de celui-ci. Comme l’explique Serge Tisseron, « pour valider ma perception de moi, authentifier ce que je montre, j’ai justement besoin de l’autre. Et quand je me dévoile, il se dévoile à son tour. Le désir d’extimité est inséparable de la quête relationnelle. Sa valorisation est en train d’organiser de nouvelles règles sociales, qui ne sont pas plus dangereuses que les précédentes. Nous devons juste apprendre à les connaître », (psychologies.com, octobre 2001).

Sur Internet, les blogs et les réseaux sociaux sont autant de lieux de surexposition de notre intimité, symptomatiques d’une nouvelle façon de livrer aux autres une image de soi. Pour Nicole Aubert, psychologue et sociologue et Claudine Haroche, anthropologue et sociologue, qui ont codirigé l’ouvrage collectif intitulé Les Tyrannies de la visibilité. Etre visible pour exister ? (Ed. Erès, 2011), le développement des technologies numériques se traduit pour les individus qui les utilisent par « une injonction à la visibilité » qui fait que chacun se définit désormais par les traces de lui-même qu’il laisse sur les différents supports numériques, ordinateurs, smartphones et Internet : « Je vois, je suis vu, donc je suis » (Le Monde, 20-21 février 2011). Mais pour Claudine Haroche, « si le sujet se constitue dans le regard d’autrui, il a besoin tout autant de se construire à l’abri des regards. Percevoir, regarder supposent une alternance entre voir et ne pas voir, entre s’exhiber et se cacher, qui est déséquilibrée par l’injonction de visibilité permanente ». Sur Internet, la vie privée est désormais visible au même titre que la vie sociale, professionnelle ou politique. Etre visible, c’est exister et l’exposition de soi se mesure en nombres de pages vues ou de clics. Nous construisons ainsi un moi de façade, un faux soi-même sur lequel nous projetons une image idéale mais « il ne s’agit plus d’un idéal intérieur » explique Nicole Aubert « mais d’un idéal sociétal, en accord avec les exigences de la société hypermoderne ».

En septembre 2011, un nouveau service baptisé « Timeline » (« Journal » dans la version française), est mis à la disposition des 800 millions de Facebookers afin de remplacer leur « profil » actuel par une frise chronologique retraçant les événements de leur vie. « C’est l’histoire de votre vie » explique Mark Zuckerberg, patron de Facebook, « Timeline est une nouvelle façon d’exprimer qui vous êtes » (Le Monde, 24 septembre 2011) : l’extimité ou le soi intime à l’ère du tout-communicant.

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