CNN cherche à se réinventer

Première chaîne d’information à l’échelle internationale, CNN perd de l’audience aux Etats-Unis où elle est concurrencée par des chaînes d’information partisanes qui ont laissé au Web le traitement à chaud et factuel de l’information. La chaîne du groupe Time Warner s’apprête donc à une révolution pour redonner le goût de l’information à ses téléspectateurs américains.

Propulsée première chaîne internationale d’information en 1991 avec la couverture de la première guerre du Golfe, en direct et en situation de quasi-monopole mondial, CNN est confrontée aujourd’hui à un redoutable défi, vingt ans plus tard, alors qu’Internet a révolutionné les moyens d’accéder à l’information. A l’extérieur des Etats-Unis, CNN reste la chaîne de référence, malgré l’émergence de concurrents issus du Moyen-Orient, au premier rang desquels la chaîne qatarie Al-Jazeera. En effet, CNN est présente dans 190 pays dans le monde et bénéficie de contrats de distribution à long terme qui lui assurent de confortables revenus. En 2012, la chaîne d’information compte ainsi réaliser un bénéfice opérationnel de 600 millions de dollars, en hausse par rapport a 2011. Et CNN affiche chaque année une croissance moyenne de 15 % de ses résultats, une performance pour une chaîne internationale d’information dont les coûts de fonctionnement sont très élevés, du fait de sa très nombreuse rédaction et de ses bureaux à l’étranger.

Pourtant, CNN est fragilisée parce qu’elle peine à se réinventer sur son marché national, les Etats-Unis, où elle dispose d’une programmation spécifique. CNN a en effet perdu 20 % de spectateurs entre 2011 et 2012 et son prime time a même perdu 35 % de ses fidèles, soit 446 000 téléspectateurs en moyenne au deuxième trimestre 2012. Car CNN n’a plus le monopole de l’information factuelle, sérieuse, celle qui a fait son succès avec une ligne éditoriale centrée sur la politique et la guerre, ces enjeux internationaux qui sont au cœur de la politique américaine depuis l’effondrement du bloc soviétique. Cette information et son style sont désormais l’apanage d’Internet aux Etats-Unis, ou celui des formats ramassés des JT des grands réseaux, ABC, CBS et NBC, et plus seulement des chaînes d’information en continu. C’est ce qui explique la chute des audiences de CNN en même temps que son succès sur le Web, où CNN est leader.

En effet, pour se distinguer, les autres chaînes d’information américaines ont fait le choix de laisser à Internet l’information relativement neutre basée sur les faits (fact based information), pour miser sur un traitement partisan susceptible de renforcer l’attachement des téléspectateurs à leurs chaînes. Ces chaînes ont également délaissé les journaux et autres breaking news (nouvelles de dernière minute) pour renforcer la part de temps d’antenne consacrée aux débats entre personnalités. Des marques ont ainsi émergé, avec Fox News, leader aux Etats-Unis grâce à son positionnement revendiqué en faveur des républicains, mais également MSNBC, qui a dépassé CNN en 2009, avec une information délibérément pro-démocrate. Et l’information sur ces chaînes s’incarne dans de fortes personnalités, comme Bill O’Reilly, le commentateur politique sur Fox News, ou Rachel Maddow sur MSNBC. CNN, avec ses journaux et ses présentateurs sobres et mesurés, apparaît donc désormais en retrait.

Conscient des limites du modèle qui a fait le succès de CNN dans les années 1990 et 2000, Jim Walton, entré à CNN en 1981 et devenu son président en 2003, a donc décidé, en août 2012, de démissionner en reconnaissant que « CNN a besoin d’un nouveau mode de pensée ». C’est Jeff Zucker qui sera chargé de l’insuffler dès 2013. A la tête de NBC-Universal, cet homme de télévision a quitté le groupe audiovisuel au moment de sa prise de contrôle par Comcast en 2012 (voir REM n°13 p.30), alors même que le réseau NBC cédait de l’audience face à ces concurrents. Il a désormais pour mission d’inventer un positionnement original et nouveau pour CNN, coincée entre des chaînes partisanes, mais qui a pour elle une capacité d’investigation sans commune mesure grâce à sa rédaction planétaire. C’est d’ailleurs à l’occasion des grands événements mondiaux comme la capture et l’élimination de Ben Laden, l’accident de Fukushima ou les révolutions arabes, que CNN rappelle à ses concurrentes qu’elle reste une référence en matière d’information, son audience doublant à ces occasions.

Sources :

  • « CNN à la recherche d’un nouveau patron pour un nouveau souffle », Karl de Meyer, Les Echos, 21 août 2012.
  • « A Struggling CNN Worldwide Is Said to Be Drawn to Jeffrey Zucker », Brian Stelter, New York Times, 27 novembre 2012.
  • « Un poids lourd chargé de relancer CNN face à Fox et à MSNBC », Karl de Meyer, Les Echos, 3 décembre 2012.
Alexandre Joux, directeur de l'Ecole de journalisme et de communication d'Aix-Marseille (EJCAM), Aix-Marseille Université, IRSIC (Institut de recherche en sciences de l'information et de la communication)

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