Le démantèlement du groupe Hersant est évité

Le risque d’une cessation de paiement et une offre surprise de Bernard Tapie allié à Philippe Hersant auront permis à ces derniers de sauver le pôle PACA- France-Antilles d’un démantèlement pourtant annoncé après l’échec de l’alliance entre GHM et Rossel. Pour 20 millions d’euros, Bernard Tapie fait en outre une excellente affaire s’il parvient à céder à moyen terme une partie des actifs de GHM.

Le 27 juin 2012, les groupes Rossel et Hersant Média annonçaient renoncer à leur alliance, n’ayant pas trouvé d’accord sur le plan social au sein du pôle Champagne Ardenne (voir REM n°24, p.23). L’échec du rapprochement entre les deux groupes rendait dès lors caduc l’accord passé entre le Groupe Hersant Média (GHM) et ses 17 banques créancières sur le remboursement de sa dette, qui s’élève à 215 millions d’euros. En juillet 2012, Christophe Thévenot était nommé administrateur judiciaire afin de trouver un accord entre GHM et ses banques créancières évitant ainsi au groupe d’avoir à se déclarer en cessation de paiement. Pendant l’été 2012, GHM apportait la trésorerie nécessaire au pôle Champagne-Ardenne, déficitaire, afin d’échapper au dépôt de bilan, le temps de susciter des offres de reprise. La vente du pôle Champagne-Ardenne constituait de ce point de vue le premier acte du démantèlement du groupe, à défaut de repreneur pour l’ensemble des activités, les banques espérant se rembourser en partie par la revente par appartements des activités du Groupe Hersant Média, le pôle Champagne-Ardenne-Picardie (CAP), mais également le pôle sud avec Nice Matin, Corse Matin, La Provence, ainsi que les titres d’outre-mer, Les Nouvelles calédoniennes d’une part, et France-Antilles de l’autre.

Dans un premier temps, la logique de consolidation de la presse quotidienne régionale française l’avait emporté, la disparition annoncée du groupe Hersant devant se traduire par le rapprochement de ses différents pôles métropolitains avec d’autres groupes de presse régionale pouvant faire jouer des synergies industrielles et géographiques. Ainsi, le pôle Champagne-Ardenne-Picardie s’inscrivait dans la logique de consolidation du groupe Rossel dans le nord de la France, quand les journaux du sud de la France semblaient constituer une extension naturelle du groupe EBRA qui, de l’Alsace, s’étend vers le sud-est jusqu’aux portes du Vaucluse. Le 17 octobre 2012, la ministre de la culture et de la communication, Aurélie Filippetti, annonçait ainsi que deux offres de reprise avaient été déposées pour le pôle CAP, une offre du groupe belge Rossel et une offre de Jean-Pierre Brunois, promoteur immobilier implanté en Champagne-Ardenne et propriétaire de France Soir de 2006 à 2009.

Le 21 octobre 2012, Rossel annonçait s’être mis d’accord avec GHM pour le rachat du pôle Champagne-Ardenne-Picardie, son offre étant la plus solide du point de vue industriel. Le montant de la cession n’a pas été précisé mais il est assurément faible, le pôle CAP étant déficitaire, l’ensemble devant afficher une perte de 7,5 millions d’euros en 2012 pour un chiffre d’affaires de 60 millions d’euros, auxquels s’ajoutent des frais de restructuration estimés à 30 millions d’euros. Avec le rachat du pôle CAP, le groupe belge Rossel prend le contrôle de L’Union de Reims, de L’Est Eclair, de L’Aisne Nouvelle, de L’Ardennais et de Libération Champagne, des titres qui affichent ensemble une diffusion quotidienne de 140 000 exemplaires pour 600 000 lecteurs. Le pôle CAP compte également dans ses actifs la radio Champagne FM. Avec La Voix du Nord et Le Courrier Picard, respectivement rachetés en 2005 et 2010, le groupe belge Rossel étend ainsi son contrôle sur l’ensemble de la PQR du nord de la France où il couvre un territoire de 7 millions d’habitants sur huit départements. Rossel est donc parvenu à ses fins, l’échec en juin 2012 des négociations sur le pôle CAP, qui avait fait avorter l’alliance avec GHM, se traduisant en définitive par une prise de contrôle, trois mois plus tard, de ce même pôle où le plan social initialement prévu sera appliqué, soit 220 postes supprimés sur un total de 619 salariés. Rossel s’est par ailleurs engagé à moderniser l’outil industriel, notamment les rotatives du pôle CAP.

Cette logique de consolidation de la PQR, doublée d’une politique de réduction des coûts, semblait, après la vente du pôle CAP, revoir se reproduire également pour les journaux en PACA, voire pour les journaux d’outre-mer de GHM. Il n’en a rien été. Les banques ont certes poussé à la vente au meilleur prix des journaux du sud, véritable fleuron de GHM. Ensemble, ils représentent un chiffre d’affaires de 180 millions d’euros, quand GHM réalise en tout 220 millions d’euros de chiffre d’affaires. Leur résultat d’exploitation oscille entre 7 et 8 millions d’euros quand celui de GHM est de 12 millions d’euros. Et des marges de manœuvre existent pour réduire les coûts, qu’il s’agisse de la mutualisation de certaines activités entre Nice et Marseille, des possibilités de réduction d’effectifs, le pôle sud comptant 4 000 salariés. Enfin, certains titres sont parmi les mieux implantés dans le paysage de la PQR, avec des taux de pénétration très élevés : Nice-Matin vend environ 100 000 exemplaires chaque jour à une population fidèle de retraités aisés quand Corse Matin réalise 40 000 ventes chaque jour, un chiffre très élevé rapporté à la population de l’île. La Provence se porte moins bien, sa diffusion ayant reculé de 16 % entre 2006 et 2011, en raison notamment de la concurrence des gratuits, pour ne plus représenter que 127 400 exemplaires vendus, alors qu’elle est distribuée sur la deuxième agglomération de France.

En conséquence, les premières offres ont d’abord porté sur le pôle Nice MatinCorse Matin, ainsi que sur les activités en outre-mer, laissant de côté La Provence. Début novembre 2012, Etienne Mougeotte, ancien directeur des rédactions du Figaro et incarnation de la programmation de TF1 pendant de longues années, s’est allié à l’industriel franco-libanais Iskandar Safar, installé à Nice, pour proposer une offre de rachat sur l’ensemble Nice Matin, Var Matin, Corse Matin pour environ 60 millions d’euros. Il est toutefois très vite apparu qu’une cession n’incluant pas La Provence serait difficile, les quotidiens de Nice et ceux de Marseille ayant une régie commune et contrôlant ensemble Corse Matin. Une vente en bloc du pôle sud a ensuite été imaginée après que Franz-Olivier Giesbert, le directeur du Point, contrôlé par François Pinault, eut fait part de son intérêt pour La Provence. Le 21 novembre 2012, Bernard Tapie, ancien ministre de François Mitterrand, ancien député de Marseille et homme d’affaires célèbre dans la cité phocéenne pour avoir contrôlé L’Olympique de Marseille, se déclarait intéressé à son tour pour l’ensemble du Groupe Hersant Média, incluant le pôle sud et les journaux d’outre-mer. Le 26 novembre 2012, il proposait 50 millions d’euros dans le cadre d’une alliance avec Philippe Hersant, lequel reste dans cette configuration au capital de son groupe familial. A la suite de cette offre, François Pinault a envisagé le rachat de l’ensemble du pôle sud, incluant La Provence et Nice Matin, Franz-Olivier Giesbert ayant notamment été chargé d’étudier le dossier qui, à l’analyse, a dissuadé François Pinault de s’engager. Se sont ajoutées d’autres marques d’intérêt, notamment celle de Jean-Noël Guérini, sénateur et conseiller général des Bouches-du-Rhône, allié à Michel Moulin, ancien de la Comareg et du 10 Sport, pour une reprise de La Provence. Enfin, les journaux ultra- marins ont suscité des offres distinctes, celle de Bruno Franceschi, ancien président du directoire de groupe Sud Ouest, pour une reprise du pôle Antilles-Guyane entre 7 et 11 millions d’euros, Les Nouvelles Calédoniennes intéressant de leur côté l’entrepreneur calédonien Jacques Jeandot pour 10 à 15 millions d’euros.

Face à ces offres, les banques ont tout fait pour éviter la solution à leurs yeux la pire, à savoir une reprise par Bernard Tapie allié à Philippe Hersant. En effet, le projet porté par Bernard Tapie a d’emblée été subordonné à un abandon de créance de 165 millions d’euros. Pour éviter ce scénario, BNP- Paribas, la banque ayant le plus de dettes à recouvrer, a soutenu le retour du groupe Rossel dans le dossier après que les 17 banques eurent refusé la proposition de Bernard Tapie et de Philippe Hersant. Le 7 décembre 2012, Bernard Tapie assurait que son retrait du dossier était définitif mais le bras de fer avec les banques conduisit Dominique Bernard, directeur général de GHM, à lui demander le 9 décembre 2012 de revenir sur sa décision, mettant en avant que l’absence d’accord avec les banques avant le 24 décembre conduirait GHM à se déclarer en cessation de paiement. La menace d’une perte totale de leurs créances aura sans doute convaincu les banques d’accepter, dès le 19 décembre 2012, une nouvelle offre de Bernard Tapie – revenu sur sa décision – et de Philippe Hersant, offre envoyée le 18 décembre 2012 au conciliateur et dans laquelle Bernard Tapie s’est engagé à ne pas briguer la mairie de Marseille en 2014, sauf à se retirer du capital de GHM.

En acceptant d’abandonner 164 millions de créances tout en conservant les mêmes hommes à la tête de GHM, une procédure très inhabituelle, les banques ont ainsi permis à Philippe Hersant de sauver son groupe, qui devra désormais compter avec la présence de Bernard Tapie. Celui-ci et Philippe Hersant ont en effet amélioré leur offre à 51 millions d’euros. Bien que l’accord avec Philippe Hersant n’ait pas été rendu public, Bernard Tapie devrait contrôler 50 % du capital de GHM. Bernard Tapie et la famille Hersant apportent en effet chacun 20 millions d’euros, auxquels s’ajoutent 5 millions de compte courant et 3 millions de créances sur le Journal de La Réunion, cédé en 2007, enfin 2,5 millions d’euros d’avance sur la vente des Nouvelles Calédoniennes et encore 500 000 euros d’intérêts de la dette. Philippe Hersant sauve donc France Antilles en même temps que le pôle sud de GHM, deux « blocs » emblématiques : depuis leur création en 1964, les journaux antillais sont toujours restés dans le groupe construit par Robert Hersant et le pôle sud est celui où Robert Hersant, le « papivore », n’était jamais parvenu à s’implanter, ce qu’a fait Philippe Hersant.

Pour Bernard Tapie, l’opération pourrait se révéler très rentable : il s’empare de 50 % de GHM pour 20 millions d’euros, avec un groupe débarrassé de sa dette, des titres rentables ou qui peuvent l’être au prix d’une restructuration, enfin un patrimoine immobilier conséquent à Nice et à Marseille. Certes, Bernard Tapie s’est déclaré opposé à tout démantèlement et compte même investir dans l’événementiel, voire développer le groupe à Marseille où des contacts ont été pris avec la télévision locale LCM. Il a l’ambition également de repositionner les titres, Patrick Le Lay, ancien patron de TF1, ayant été missionné pour auditer les titres du pôle PACA. Toutefois, certaines offres ne manqueront pas d’émerger dans les années à venir. Par exemple, Michel Lucas qui, depuis le Crédit Mutuel, a construit EBRA, pourrait s’intéresser à la reprise de Nice Matin et étendre son territoire, chose jusqu’ici impossible car une banque n’aurait jamais pu forcer d’autres banques à un tel abandon de créances. Enfin, GHM pourrait à l’inverse décider de renouer avec une politique d’expansion en s’emparant de Midi Libre, dont la zone de diffusion est contiguë à l’ouest à celle de La Provence. Contrôlé par le Groupe Sud Ouest qui, fin 2012, a lancé un plan de restructuration avec une suppression de 18 % de ses effectifs, Midi Libre pourrait dans les années à venir être au cœur d’un rapprochement de GHM avec le groupe Sud Ouest ou faire l’objet d’une cession.

Sources :

  • « Groupe Hersant Média : vers une vente par appartements », Anne Feitz, Les Echos, 27 septembre 2012.
  • « Rossel va acheter le pôle Champagne-Ardenne d’Hersant », Alexandre Debouté, Le Figaro, 22 octobre 2012.
  • « La vente par appartements d’Hersant profite à Rossel », Fabienne Schmitt, Les Echos, 22 octobre 2012.
  • « Nice Matin et Corse Matin intéressent des investisseurs », Enguérand Renault et Alexandre Debouté, Le Figaro, 5 novembre 2012.
  • « François Pinault s’intéresse à La Provence et Nice Matin », Alexandre Debouté, Le Figaro, 23 novembre 2012.
  • « Le sort de Nice Matin scellé avant Noël », Fabienne Schmitt, Les Echos, 28 novembre 2012.
  • « Foire d’empoigne autour de La Provence et de Nice Matin », Enguérand Renault et Alexandre Debouté, Le Figaro, 28 novembre 2012.
  • « Les rebondissements se multiplient dans la course à la reprise d’Hersant », Fabienne Schmitt, Les Echos, 10 décembre 2012.
  • « Rachat du Groupe Hersant Média : Tapie assure que son retrait est définitif », latribune.fr, 10 décembre 2012.
  • « La Provence : le traquenard à Nanard », Olivier Bertrand, Raphaël Garrigos, Isabelle Hanne et Isabelle Roberts, Libération, 20 décembre 2012.
  • « Avec Hersant Média, Tapie met la main sur de beaux actifs », Nathalie Silbert et Fabienne Schmitt, Les Echos, 21 décembre 2012.
  • « La Provence attend Tapie de pied ferme », Aliette de Broqua, Le Figaro, 9 janvier 2013.
  • « La Provence et Nice Matin : Tapie lance le chantier », Fabienne Schmitt, Les Echos, 10 janvier 2013.

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