Le groupe américain Discovery s’invite en Europe

En s’alliant avec TF1 et en rachetant les chaînes de ProSiebenSat.1 en Europe du Nord ainsi que cinq nouvelles chaînes en Italie, Discovery renforce son ancrage à l’international. Le géant américain du documentaire y amortit ses programmes tout en développant une production locale susceptible de le protéger des nouvelles concurrences venues de la télévision connectée.

En annonçant, le 13 novembre 2012, être entré en négociations exclusives avec Discovery en vue d’une alliance stratégique, le groupe TF1 a fait sauter un tabou français, celui de la place qu’il va falloir accorder aux acteurs américains dans le paysage audiovisuel national. En effet, ces derniers sont restés à sa porte du fait de la réglementation anti-concentration unique en Europe qui interdit à tout groupe non européen de posséder plus de 20 % du capital d’une chaîne diffusée par les ondes hertziennes. Les groupes américains n’ont donc pu jusqu’ici trouver refuge que dans l’univers des chaînes dites du « câble et du satellite », c’est- à-dire dans l’offre de télévision par satellite de CanalSat, dans Orange Cinéma Séries et dans les offres de télévision sous IP proposées par Numericable et les opérateurs ADSL. Discovery, par exemple, n’est présent en France que sur CanalSat qui distribue en exclusivité ses chaînes.

Et pourtant, les équilibres audiovisuels changent, à la fois sous la pression d’Internet et du fait du déploiement de la TNT. Avec l’arrivée de la télévision connectée, les acteurs américains savent qu’une fenêtre nouvelle de diffusion s’ouvre pour eux, mais qu’elle risque d’être contrôlée par des distributeurs d’un nouveau genre, les acteurs capables de constituer une offre attractive de SVoD (Subscription Video On Demand ou VADA en français, vidéo à la demande par abonnement), au premier rang desquels Netflix, mais aussi Amazon avec Lovefilm en Europe, ou demain Google avec GoogleTV pour le système d’exploitation des téléviseurs et YouTube comme écran principal de découverte des programmes proposés. C’est d’ailleurs pour cette raison que le Groupe Canal+ a lancé en France CanalPlay Infinity et s’est positionné sur la TNT en clair avec la prise de contrôle de Direct 8 et Direct Star (voir REM n°21, p.79). Le groupe sait en effet qu’avec le développement de la SVoD et de ses catalogues gigantesques, ainsi qu’avec l’explosion de l’offre de chaînes en clair sur la TNT (voir supra), l’avantage compétitif des offres élargies de chaînes payantes par satellite ira s’amenuisant.

Le constat est le même pour les producteurs et diffuseurs américains. Leurs interlocuteurs historiques, les grands réseaux câblés, perdent des abonnés au profit de Netflix, fragilisant ainsi la force de leurs chaînes : leurs programmes sont noyés dans des catalogues très riches, la marque des chaînes apparaît de moins en moins. La production et la capacité à contrôler des contenus exclusifs deviennent donc plus stratégiques encore car seuls les programmes phares permettront, demain, de se distinguer dans un univers d’abondance où le vidéonaute aura de plus en plus de poids face au téléspectateur. Toutefois, les chaînes nationales en clair, à l’inverse des chaînes du câble et du satellite, seront toujours dans les années à venir, les premiers pourvoyeurs d’audience et les acteurs les plus puissants pour installer une marque et un programme dans les représentations collectives. Une alliance entre grands producteurs et diffuseurs est donc légitime comme alternative à la délinéarisation promise par les offres de SVoD. De ce point de vue, l’alliance de TF1 et de Discovery semble répondre à l’arrivée du Groupe Canal+ – et donc aussi de Studio Canal – sur la TNT en clair avec le lancement de D8.

Pour Discovery, l’enjeu est de parvenir à se déployer sur le plan international. Le groupe, producteur principalement de documentaires haut de gamme et éditeur de chaînes thématiques, est né aux Etats- Unis en 1985. Il régresse actuellement sur son marché historique où les chaînes du câble et du satellite sont pénalisées notamment par le succès de Netflix (voir infra notamment l’accord entre Disney et Netflix). Au troisième trimestre 2012, son chiffre d’affaires sur le marché américain était en repli de 4 %. Ainsi, pour rentabiliser ses productions à gros budget, comme de nombreux acteurs américains, que ce soit pour les films de cinéma, les séries ou les documentaires, il a dû se déployer à l’échelle internationale pour amortir ses programmes. Dès sa création, Discovery s’est positionné en Europe et au Moyen-Orient, puis en Asie et en Amérique latine dans les années 1990 où il propose en tout 27 chaînes et revendique 1,3 milliard d’abonnés. Présent dans 208 pays, Discovery réalise en 2012 plus du tiers de son chiffre d’affaires à l’étranger, qui tire son activité (+ 7 % au troisième trimestre 2012). Il devance ainsi Time Warner (31 % des revenus à l’international en 2011), Viacom (29 %) et Disney (25 %), occupant la deuxième position derrière News Corp. qui, grâce à Sky, est le premier groupe américain de médias à réaliser la plus grande part de son chiffre d’affaires à l’extérieur de ses frontières.

En Europe, Discovery a logiquement opté pour le contrôle de chaînes en clair afin d’asseoir les marques de ses chaînes et de renforcer la notoriété de ses programmes. Discovery dispose de chaînes de TNT en Allemagne, au Royaume-Uni, en Espagne, en Italie. En France, l’accès aux chaînes en clair lui est impossible en raison de la réglementation anticoncentration et Discovery est donc obligé de s’allier avec des diffuseurs nationaux. Ses chaînes sont ainsi présentes sur le territoire national depuis 2004, grâce à son partenariat avec CanalSat. En mars 2012, le groupe a également pris une participation de 20 % dans Televista, éditeur de la chaîne Vivolta, espérant notamment accéder à une chaîne de TNT en clair. Vivolta faisait en effet partie des candidats malheureux lors de l’appel d’offres lancé par le CSA le 18 octobre 2011 pour l’attribution de 6 nouvelles chaînes de TNT.

L’alliance avec le Groupe TF1 s’inscrit de ce point de vue dans la logique d’internationalisation de Discovery, mais elle franchit un cap important, TF1 étant le premier groupe audiovisuel français. Le 13 décembre 2012, TF1 a précisé les grandes lignes de l’accord. Discovery doit acquérir 20 % du capital d’Eurosport pour 170 millions d’euros, valorisant le réseau international présent dans 59 pays avec ses chaînes sportives quelque 850 millions d’euros, bien au-delà des valorisations des analystes qui oscillent entre 500 et 600 millions d’euros. Discovery a deux ans, s’il le souhaite, pour monter jusqu’à 51 % au capital d’Europsort, TF1 bénéficiant alors d’une option pour lui céder la totalité du capital restant. Discovery devrait notamment permettre à Eurosport de s’installer aux Etats-Unis.

S’ajoute à l’investissement dans la seule activité véritablement internationale du groupe TF1 une prise de participation de 20 % dans chacune des chaînes thématiques du groupe français, TV Breizh, Histoire, Ushuhai et Stylia, pour un total de 14 millions d’euros, ce qui valorise l’ensemble à 70 millions d’euros.

Discovery ne dépend donc plus désormais de son seul accord de distribution avec CanalSat et pourra diffuser ses documentaires sur les chaînes du groupe TF1. En même temps, Discovery devrait décliner en France la stratégie adoptée dans les autres pays européens : pour y conserver une place centrale, le groupe américain y diffuse certes les productions d’abord imaginées pour son marché historique, mais il y développe également une production locale afin de disposer de programmes exclusifs adaptés aux différents marchés nationaux.

TF1 Productions, dont l’activité est essentiellement tournée vers la fourniture de programmes pour les chaînes du groupe, devrait donc bénéficier de l’alliance avec Discovery pour lancer des productions plus haut de gamme susceptibles d’être exportées et d’accompagner la distribution de ses chaînes nationales à l’échelle internationale. En même temps, TF1 pourrait devenir, par ses productions, un concurrent ou un allié précieux du groupe NetxRadio TV qui, avec le lancement de RMC Découverte sur la TNT le 12 décembre 2012, aura besoin de se fournir en programmes originaux.

Pour TF1, il s’agit d’une opération financière très intéressante, la valorisation d’Eurosport dépassant les prévisions les plus optimistes. En même temps, TF1 prend le risque de se séparer de son seul actif international sans lequel son résultat opérationnel serait inférieur à celui de son concurrent M6. En effet, la chaîne TF1 est de plus en plus chahutée sur le marché de la télévision en clair, dans la mesure où l’explosion du nombre de chaînes pénalise mécaniquement la chaîne leader dans l’univers analogique. TF1 aurait donc intérêt à conserver sa participation dans Eurosport tout en s’appuyant sur Discovery pour développer la présence internationale du réseau de chaînes sportives. L’arrivée de Discovery au capital des chaînes thématiques du groupe TF1 laisse en outre présager des synergies nouvelles et des possibilités de distribution sur le plan international, sans lesquelles le groupe TF1 serait condamné à rester un acteur national confronté à des concurrences étrangères de plus en plus agressives.

Dans ce contexte, TF1 pourra probablement bénéfi- cier du renforcement de Discovery en Europe. En effet, le 14 décembre 2012, un accord a été officialisé entre Discovery et ProSiebenSat.1 pour la revente au groupe américain des activités des douze chaînes de télévision du groupe allemand en Europe du Nord (Norvège, Suède, Finlande, Danemark), ProSiebenSat.1 conservant en revanche ses activités de production audiovisuelle. Le montant de la transaction n’a pas été précisé, mais les analystes estiment à 1,32 milliard d’euros l’ensemble des chaînes cédées. Il s’agit donc d’une opération très importante pour le groupe américain, le chiffre d’affaires de Discovery en 2011 s’élevant à 4,23 milliards de dollars. Enfin, le 14 janvier 2013, Discovery a annoncé le rachat des chaînes italiennes du groupe Switchover Media, un nouvel acteur dans la Péninsule créé en 2009 après le rachat par ses dirigeants des activités audiovisuelles du groupe Disney en Italie. En s’emparant ainsi de quatre chaînes en clair sur la TNT italienne, deux pour adultes, Focus qui s’adresse aux hommes et Giallo pour les femmes, deux pour enfants (K2 et Frisbee), ainsi que d’une chaîne payante à destination d’une cible masculine (GXT), Discovery devient le troisième acteur de la télévision en Italie, où dominent les chaînes publiques de la RAI et le groupe Mediaset. Ces cinq chaînes s’ajoutent en effet à la chaîne en clair Real Time lancée par Discovery sur la TNT italienne en septembre 2010.

Sources :

  • « Discovery se renforce en France en s’alliant à Televista », Grégoire Poussielgue, Les Echos, 7 mars 2012.
  • « Discovery et Sundance : deux Américaines à Paris », Grégoire Poussielgue, Les Echos, 24 octobre 2012.
  • « TF1 réduit ses coûts de 85 millions d’euros et s’allie à l’américain Discovery », Fabienne Schmitt, Les Echos, 14 novembre 2012. – « TF1 annonce un plan d’économies de 87 millions d’euros », Paule Gonzalès, Le Figaro, 14 novembre 2012.
  • « TF1-Discovery, l’alliance au centre de tous les regards », Fabienne Schmitt, Les Echos, 20 novembre 2012.
  • « Audiovisuel : les ambitions américaines et le village gaulois », Grégoire Poussielgue, Les Echos, 22 novembre 2012.
  • « Avec Discovery, TF1 fait une bonne affaire sur Eurosport », Sandrine Cassini, latribune.fr, 13 décembre 2012.
  • « ProSiebenSat.1 vend à Discovery ses médias en Europe du Nord », AFP, 14 décembre 2012.
  • « TF1 a-t-il intérêt à céder Eurosport ? Non, disent les analystes », Sandrine Cassini, latribune.fr, 17 décembre 2012.
  • « Discovery, nouvel acteur clef en Italie », Grégoire Poussielgue, Les Echos, 15 janvier 2013.
Alexandre Joux, directeur de l'Ecole de journalisme et de communication d'Aix-Marseille (EJCAM), Aix-Marseille Université, IRSIC (Institut de recherche en sciences de l'information et de la communication)

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