France Télévisions à l’heure de l’austérité

En demandant au groupe audiovisuel public de faire aussi bien avec nettement moins, le gouvernement dessine en creux le paysage audiovisuel français. Parce qu’il limite significativement sa dotation à France Télévisions et ne compense plus les contre-performances du groupe sur le marché publicitaire, le gouvernement transforme France Télévisions en un service public audiovisuel qui aura de moins en moins les moyens de rivaliser avec les chaînes privées et devra réinventer l’ensemble de sa programation afin de se démarquer, sauf peut-être pour le navire amiral France 2.

Confronté à une situation économique et sociale délicate depuis  la loi du 5 mars 2009 qui, en supprimant la publicité sur les écrans de France Télévisions après 20 heures prévoyait également la constitution d’une société unique (voir REM n°10-11, p.3), France Télévisions est aujourd’hui victime d’un effet de ciseau sans précédent. L’entreprise publique de télévision doit en effet assurer des missions inchangées alors que son budget se réduit dangereusement. En effet, l’avenant au contrat d’objectifs et de moyens (COM) pour 2013-2015 prévoit tout à la fois un retour à l’équilibre des comptes en trois ans, des missions inchangées, voire élargies, en matière de programmation, et enfin une baisse sans précédent de sa dotation publique, à laquelle s’ajoutent des difficultés sur le marché publicitaire, orienté à la baisse en temps de crise, mais également de manière de plus en plus structurelle pour les chaînes de France Télévisions.

Les conséquences de la loi audiovisuelle de 2009

Depuis la loi audiovisuelle de mars 2009, la ressource publique de France Télévisions provient de deux sources distinctes de financement, la redevance audiovisuelle, rebaptisée contribution à l’audiovisuel public (CAP) en 2013, ainsi qu’une dotation budgétaire de l’Etat destinée à compenser le manque à gagner lié à la suppression de la publicité après 20 heures, estimé en 2009 à 450 millions d’euros.

Concernant cette seconde ressource, les engagements de l’Etat sont désormais revus à la baisse. En 2012, la dotation publique est de 444 millions d’euros. Elle est financée en partie par une taxe de 0,9 % sur le chiffre d’affaires des opérateurs de télécommunications quand celui-ci dépasse 5 millions d’euros. Cette taxe ne rapporte environ que 250 millions d’euros par an, le reste étant financé directement sur le budget de l’Etat qui affiche ainsi un déficit de 630 millions d’euros de 2009 à 2012 selon le Sénat. Autant dire qu’en période de difficultés budgétaires, la tentation est grande pour le gouvernement de limiter sa contribution au financement du manque à gagner lié à la suppression de la publicité. Ainsi, pour 2013, l’avenant au COM prévoit une dotation de l’Etat de 200 millions d’euros, et seulement de 90 millions d’euros en 2015. L’équation est donc difficile à résoudre pour France Télévisions, soumise aux aléas des décisions politiques quant à son financement, et obligée de s’adapter sans cesse à un nouveau contexte budgétaire imprévisible.

Cette baisse drastique de la subvention accordée par l’Etat est liée, non seulement à la crise budgétaire, mais également à l’anticipation de l’annulation, par la justice européenne, de la taxe sur les opérateurs de télécommunications. Le 28 janvier 2010, la Commission européenne a en effet considéré la taxe comme « une charge administrative incompatible avec le droit européen ». Le dossier a été transmis à la Cour de justice européenne, sans véritable espoir. Le gouvernement a d’ailleurs, dans le projet de loi de finances 2013, provisionné 1,3 milliard d’euros afin de rembourser les opérateurs de télécommunications des taxes jusqu’ici perçues, dès lors que la justice européenne aura confirmé définitivement qu’elles sont contraires aux règles européennes.

Afin de limiter la contrainte liée aux évolutions de la dotation accordée par l’Etat en compensation de la suppression de la publicité après 20 heures, la logique eût voulu, comme dans les autres grands pays européens, que la ressource publique pour le financement de France Télévisions soit adossée sur la seule redevance, qui a l’avantage de garantir une ressource pérenne sur le long terme. Mais compenser les 250 millions d’euros de manque à gagner sur la taxe portant sur les opérateurs de télécommunications aurait correspondu à une hausse de 10 euros par an de la redevance, un sujet tabou pour l’ancienne majorité, et délicat pour l’actuel gouvernement. Il aurait fallu également d’autres hausses de la redevance pour compenser le recul de la dotation directe de l’Etat (200 millions d’euros sur les 450 millions d’euros).

S’ajoutent aux difficultés liées au financement public celles qui sont générées par la constitution de France Télévisions en entreprise unique. Parce que le projet consiste à fusionner 40 sociétés, il génère inévitablement un surcoût à court terme, des difficultés sociales qui se traduisent par des avantages supplémentaires au profit des salariés, même si des économies d’échelle sont attendues à moyen et long terme.

Un autre surcoût résultant de la loi de mars 2009 concerne les obligations de France Télévisions dans le financement de la création audiovisuelle. Portées à l’époque à hauteur de 20 % de son budget (redevance, dotation et ressources publicitaires avant 20 heures), elles ont été fixées à 420 millions d’euros par an, le budget de France Télévisions en 2012 étant de 2,6 milliards d’euros. En comparaison, les dépenses de France Télévisions dans le financement de la création n’étaient que de 365 millions d’euros en 2009.

Enfin, et de manière indépendante, le marché publicitaire depuis 2009 est fragile, ce qui a conduit France Télévisions à ne pas atteindre ses objectifs en 2012 : alors que le groupe espérait 425 millions d’euros de recettes publicitaires nettes, il n’en a réalisé que 370 millions, soit un manque à gagner de 55 millions d’euros. Et cette baisse des recettes publicitaires de France Télévisions pourrait devenir structurelle, les annonceurs se désintéressant progressivement des chaînes publiques dans la mesure où ils ne peuvent y déployer de campagnes complètes, notamment au moment du prime time.

Un programme d’austérité jusqu’en 2015, en partie compensé par une hausse de la redevance

Aux difficultés héritées de la loi de mars 2009 s’ajoutent celles liées à la politique de rigueur du gouvernement de François Hollande. L’avenant 2013-2015 au COM prévoit ainsi une baisse moyenne de 2 % de la ressource publique allouée à France Télévisions entre 2013 et 2015, baisse qui masque en réalité une hausse très forte des ressources de la contribution à l’audiovisuel public (CAP) et une baisse importante de la dotation de l’Etat. Ainsi, la dotation de l’Etat sera divisée par quatre à l’horizon 2015, quand la contribution de la redevance a été massivement augmentée en 2013. En moyenne, France Télévisions devra donc se priver de 16 millions d’euros par an, ce qui est peu sur un budget de 2,5 milliards d’euros.

Il faut ajouter à cette baisse les contre-performances publicitaires du groupe, qui espère obtenir 340-350 millions d’euros de recettes publicitaires en 2013, contre 425 millions d’euros initialement prévus, soit un manque à gagner supplémentaire d’au moins 75 millions d’euros. S’ajoute à cela un surgel de la dotation de l’Etat en 2013, portant sur 31 millions d’euros. En conséquence, sauf à s’endetter, France Télévisions devra faire face à un trou budgétaire d’environ 325 millions d’euros entre 2013 et 2015. Un plan d’économies s’impose donc, avec une éventuelle réduction des missions du service public audiovisuel, sauf à compter sur des décisions favorables, comme le retour de la publicité après 20 heures dans certaines circonstances, ainsi qu’une nouvelle hausse de la redevance.

La redevance et la publicité après 20 heures : deux leviers pour pérenniser le financement de France Télévisions ?

Le montant de l’ex-redevance, devenue contribution à l’audiovisuel public, n’est plus l’objet d’un tabou absolu, comme c’était le cas sous le précédent gouvernement. Une normalisation de la situation française n’est donc plus à exclure. En effet, malgré une redevance historiquement faible, la France compte parmi les pays européens bénéficiant d’une entreprise publique audiovisuelle très puissante (France Télévisions a pour objectif implicite de réaliser 30 % de part d’audience, toutes chaînes confondues, et de rivaliser avec le groupe TF1). Entre 2003 et 2008, le montant de la redevance a été gelé en France. Indexé sur l’inflation depuis 2009, le montant de la redevance s’élevait à 125 euros par foyer en 2012, contre 116 euros en 2008. Il aurait pu être de 140 euros si le gel n’avait pas été appliqué entre 2003 et 2008. En comparaison, le montant de la redevance était en 2012 de 175 euros au Royaume-Uni et de 216 euros en Allemagne.

Ces disparités européennes ont sans aucun doute joué, en même temps que la volonté d’assurer un financement pérenne de l’audiovisuel public, quand le gouvernement a décidé de procéder dès 2013 à une hausse significative du montant de la redevance. Plusieurs pistes ont été explorées, comme l’extension de la taxe aux résidences secondaires, ce qui était le cas avant 2005 quand la redevance n’était pas liée à la taxe d’habitation. Cette mesure aurait rapporté 200 millions d’euros supplémentaires. Une demi-redevance par résidence secondaire a également été envisagée. Une autre piste évoquée concernait la taxation des supports permettant de recevoir les programmes de la télévision (ordinateurs, smartphones, tablettes) dans les foyers ne déclarant pas de poste de télévision, comme l’a fait l’Allemagne en 2013 (voir infra), une telle mesure ne devant rapporter que très peu, la plupart des foyers déclarant posséder un poste de télé- vision (95 % des foyers). Finalement, le gouvernement a opté, début octobre 2012, pour une hausse exceptionnelle de 2 euros de la redevance, à laquelle s’ajoute la hausse liée à l’indexation sur l’inflation, faisant passer celle-ci de 125 euros en 2012 à 129 euros en 2013. Cette mesure a augmenté mécaniquement le rendement de la contribution à l’audiovisuel public de 100 millions d’euros en 2013. En décembre 2012, lors de la seconde lecture du projet de loi de finance au Parlement, une hausse supplémentaire de la contribution à l’audio- visuel public a été votée : son montant passe ainsi à 131 euros en 2013 en métropole, 85 euros en outre-mer, ce qui rapporte encore 49 millions d’euros supplémentaires, un moyen notamment d’éviter un plan social difficile à France Télévisions. En définitive, la contribution à l’audiovisuel public devrait rapporter 3,37 milliards d’euros en 2013 contre 3,22 milliards en 2012. France Télévisions n’en perçoit que 70 %, le reste étant réparti entre les autres sociétés de l’audiovisuel public et l’audiovisuel extérieur de la France. En comparaison, en Allemagne, la redevance rapporte 7 milliards d’euros, et 4,5 milliards d’euros au Royaume-Uni. Mais la BBC compte 10 chaînes de télévision et 10 radios nationales, 46 radios locales, un site web ultra-performant et environ 20 000 salariés. Quant à l’Allemagne, les chaînes régionales de l’ARD et le réseau national ZDF représentent ensemble 39 chaînes de télévision et quelque 25 000 salariés. France Télévisions compte cinq chaînes sur la TNT en clair, ainsi que 6 chaînes dans les DOM-TOM, auxquelles il faut ajouter les décrochages régionaux de France 3 en métropole, pour un total de 10 500 salariés.

Si l’augmentation sensible du montant de la contribution à l’audiovisuel public en France dès 2013 devrait permettre de pérenniser en partie les recettes de France Télévisions, elle ne compense pourtant pas tout à la fois le recul annoncé de la dotation publique et la perte de recettes publicitaires depuis 2009. C’est la raison pour laquelle le président de France Télévisions, Rémy Pflimlin, milite également pour un aménagement de l’interdiction de la publicité après 20 heures sur les chaînes du groupe. Pour Rémy Pflimlin, l’interdiction stricte, avec une césure à 20 heures sanctuarisée, est une incohérence. Elle prive les annonceurs d’une offre d’espaces publicitaires qui s’éteint au moment même où la demande est la plus forte, à savoir le prime time. En réintroduisant la publicité après 20 heures et dans un contexte de marché nouveau (élargissement de l’offre de chaînes de la TNT, baisse de l’audience des chaînes de France Télévisions, crise du marché publicitaire), France Télévisions récupérerait entre 120 et 130 millions d’euros nets par an. Si le gouvernement actuel a exclu une suppression de la publicité en journée dès 2016, comme le prévoyait la loi dès 2016, il n’envisage pas, à l’inverse, de réintroduire la publicité systématiquement après 20 heures. Des exceptions sont toutefois envisageables.

Après avoir reçu les représentants des groupes audiovisuels privés le 2 avril 2012, le président de la République n’a pas exclu le rétablissement de la publicité après 20 heures dans des cas exceptionnels, par exemple l’interdiction définitive de percevoir la taxe sur les opérateurs de télécommunications. Les propositions d’aménagement avancées par Rémy Pflimlin pourraient donc être étudiées : à savoir le retour de la publicité en soirée sur France 2, qui bénéfice du prime time le plus performant ; ou encore l’extension jusqu’à 20 h 45 de la publicité sur France 2 et France 3, en contrepartie de quoi la publicité en journée pourrait être abandonnée sur France 4 et France 5. Une telle évolution n’est techniquement possible, au mieux, qu’en 2014.

Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), dans un avis rendu le 23 avril 2013 sur l’avenant au COM 2013-2015, précise toutefois que l’extension de la publicité après 20 heures sur France Télévisions, dans une période où le marché est fortement perturbé, avec des tarifs à la baisse, y compris sur les chaînes historiques, du fait notamment de la vive concurrence entre TF1 et M6, n’est pas une solution satisfaisante. En revanche, le CSA rappelle qu’il est « indispensable que la société France Télévisions puisse bénéficier d’une prévisibilité et d’une sûreté de ses moyens financiers pour atteindre les objectifs sur lesquels elle se sera engagée », cette stabilité étant inscrite dans la loi de 2009. Autant dire que le recours accru à la redevance ou un engagement ferme de l’Etat sur sa dotation, quel que soit le contexte budgétaire, est demandé pour le groupe audiovisuel public.

Réduire la masse salariale et le coût de grille sans toucher aux missions

A la quête de recettes nouvelles s’ajoute pour le groupe France Télévisions une politique inévitable de réductions des coûts. Depuis le contrat d’objectifs et de moyens signé en 2011, France Télévisions est entrée dans une logique de réduction des coûts, qui accompagne la mise en place de l’entreprise unique. A l’horizon 2015, 500 emplois devaient être supprimés et, chaque année, France Télévisions économise sur ses frais de fonctionnement, le montant des économies en 2012 s’étant élevé à 30 millions d’euros, afin d’ajuster son budget aux contraintes liées à l’évolution de la nature et du montant de ses ressources. Avec les nouvelles baisses annoncées en matière de ressources publiques, France Télévisions devra donc faire encore plus.

Avant même de connaître les termes définitifs de l’avenant au COM pour la période 2013-2015, Rémy Pflimlin, le 22 mars 2013, a présenté son plan d’économies, portant sur 320 millions d’euros jusqu’en 2015 (200 millions d’euros de dotation publique en moins, 90 millions de recettes publicitaires perdues, 30 millions de recettes diverses en moins). Un premier plan d’économies prévoit 230 millions d’euros de suppressions de dépenses et 90 millions de déficit. Ce plan porte sur la suppression de 180 millions d’euros de charges opérationnelles, avec notamment un plan de départs volontaires compris entre 600 et 800 personnes, contre 500 suppressions de postes initialement prévues. Il porte également sur une rationalisation du réseau de France 3 qui regroupe, avec 6000 salariés, plus de la moitié des effectifs du groupe. Enfin, il concerne également la grille des programmes avec une limitation des dépréciations des droits, qui passe par l’arrêt de certaines commandes pour des programmes jamais diffusés à l’antenne, et par une meilleure circulation des programmes entre les chaînes du groupe. S’ajoute à cela une baisse automatique de 50 millions d’euros des versements dus au CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée), et aux sociétés de gestion des droits d’auteur. Enfin, si 100 millions d’euros supplémentaires doivent être trouvés, Rémy Pflimlin entend demander à France 2 et France 3 d’économiser chacune entre 50 et 60 millions d’euros en limitant leurs dépenses dans les programmes, ce qui revient à revenir sur les engagements de France Télévisions en matière de contribution au financement de la création originale. S’ajoute une réduction des dépenses dans la production de l’information et l’achat de droit sportifs.

Mais la tutelle de France Télévisions ne l’entend pas ainsi. A vrai dire, la solution avancée par Rémy Pflimlin met le gouvernement face à ses responsabilités : en diminuant son budget, il ne peut plus compter sur le groupe audiovisuel public pour favoriser comme auparavant la production audiovisuelle originale, ni maintenir sur les chaînes en clair une offre élargie de programmes sportifs alors que l’inflation sur le coût des droits est liée à la compétition que se livrent les chaînes privées payantes, Canal+ d’un côté et, BeInSport de l’autre (voir REM n°22-23, p.29). Enfin, le plan présenté ne propose pas la création d’une chaîne jeunesse, comme le souhaite le gouvernement, qui représente un surcoût de 18 millions d’euros s’il s’agit de transformer France 4, ou encore de 8 millions d’euros s’il s’agit de créer une plate-forme numérique fédérant les programmes jeunesse de France 3 et France 5.

En réponse au plan d’économies proposé par Rémy Pflimlin, Aurélie Filippetti, la ministre de la culture et de la communication, a rappelé, le 20 avril 2013, dans une interview donnée au Journal du dimanche, ses priorités au groupe France Télévisions : « l’exemplarité dans l’information, l’audace créative dans les programmes, la place plus importante faite à la jeunesse ». Autant dire que France Télévisions ne pourra pas rogner sur ses dépenses en faveur de la création audiovisuelle, même si le groupe ne doit plus, à l’avenir, s’engager sur un montant déterminé de dépenses (420 millions d’euros), mais seule- ment sur un pourcentage de son chiffre d’affaires annuel, le taux de 20 % étant maintenu. Le chiffre d’affaires du groupe baissant, ses engagements en faveur de la production audiovisuelle devraient tomber aux alentours de 400 millions d’euros. En contrepartie, le gouvernement pourrait revenir sur le cadre strict des décrets Tasca de 1990, qui favorisent la production dite « indépendante » et empêchent les chaînes de contrôler les droits des programmes qu’elles financent. Ainsi, l’émission Touche pas à mon poste, diffusée historiquement sur France 4, s’est retrouvée sur D8 en octobre 2012 et réalise aujourd’hui les meilleures audiences de la chaîne dé- tenue par Canal+, grâce à une notoriété acquise sur France Télévisions. Dans son avis sur l’avenant au COM, le CSA a milité pour une telle modification qui verrait les engagements du groupe audiovisuel public être récompensés par la détention de parts producteurs, donnant à France Télévisions les moyens, soit de conserver le contrôle sur les programmes qu’il finance et diffuse, soit de les céder moyennant rémunération. Une telle évolution suppose toutefois une négociation avec les représentants des sociétés de production, qui perdraient alors en partie le contrôle sur les droits des émissions qu’ils réalisent. Elle suppose également d’augmenter la part tolérée de production dite intégrée, à savoir celle réalisée par le diffuseur.

Concernant les programmes sportifs, l’objectif reste inchangé selon la ministre : France Télévisions doit réduire ses coûts de production et de diffusion des événements sportifs, sans supprimer certains événements majeurs, au premier rang desquels Roland Garros. Fin avril, le groupe France Télévisions s’est ainsi assuré de l’exclusivité du Tour de France jusqu’en 2020.

Concernant la chaîne jeunesse, économies obligent, France 4 devra diffuser plus de programmes pour les jeunes, mais aucune chaîne supplémentaire ne sera lancée. Il aurait fallu pour cela que le groupe France Télévisions cède ses parts dans la chaîne Gulli, codétenue avec le groupe Lagardère, ou qu’il rachète ses parts à Lagardère. En effet, la coentreprise prévoit une clause de non-concurrence interdisant de facto à France Télévisions de lancer une deuxième chaîne jeunesse. Or France Télévisions n’a pas les moyens de racheter à Lagardère sa part dans leur coentreprise, la chaîne Gulli étant détenue respectivement à 34 % par France Télévisions et 66 % par Lagardère. Et Lagardère n’a pas fait d’offre intéressante à ce jour pour le rachat des 34 % de France Télévisions dans Gulli.

Enfin, toutes ces missions devront être accomplies dans un cadre budgétaire réduit, l’Etat n’ayant pas vocation à pallier la chute des recettes publicitaires en journée. Et la réduction des coûts devra s’organiser sans toucher aux salaires les plus modestes, sans départ contraint, en diminuant notamment la part des hauts salaires, donc l’encadrement.

Quant à la plus importante source d’économies du groupe en matière salariale, à savoir France 3 et son réseau d’antennes locales, elle ne peut être activée à court terme. En effet, la ministre propose « la mise en place d’un groupe de travail à la rentrée – impliquant élus et experts – qui réfléchira à l’avenir du réseau régional de France 3 et à la façon de rendre aux téléspectateurs un meilleur service de proximité ».

A l’évidence, l’ambition des objectifs et la fragilité des moyens obligeront France Télévisions à retracer son périmètre, à défaut de pouvoir faire évoluer ses missions.

Concernant le navire amiral du groupe, France 2, une réaction s’impose. France 2 est en effet passée sous la barre des 14 % d’audience depuis février 2013 (13,9 % de PDA en mars 2013 selon Médiamétrie), quand elle était au-dessus de 15 % d’audience un an plus tôt. La chaîne devra notamment investir dans son access prime time, la tranche horaire comprise entre 18 et 20 heures, qui introduit le pic d’audience de la journée, le JT et la soirée. Cette tranche horaire représente par ailleurs 20 % des recettes publicitaires de France 2. C’est donc le prime time et les programmes de flux en journée qui risquent d’être pénalisés, ce qui est mis ici étant pris ailleurs. Des rediffusions pour meubler l’antenne en journée ne sont donc pas à exclure.

Concernant France 3, son budget de 850 millions d’euros, ses 6000 employés, ses 22 antennes régionales qui coûtent chaque année 400 millions d’euros, ses 30 000 heures de programme diffusées chaque année, soit l’équivalent en diffusion de plus de trois chaînes, une réforme est envisagée, mais au-delà de 2015, donc après les élections municipales de 2014, le sujet de l’information locale étant politiquement très sensible. A l’avenir, France 3, conçue aujourd’hui comme une chaîne nationale avec des décrochages régionaux, devrait être une mosaïque de chaînes régionales, faisant place à quelques programmes nationaux. Entre-temps, la part de la dépense nationale devrait être réduite, même si l’équation est difficile à résoudre, France 3 assumant à elle seule quasiment la moitié des obligations de diffusion et de production de France Télévisions. La première conséquence de cette nouvelle politique a été le lancement d’une édition allongée du Soir 3, depuis le 25 mars 2013, qui passe de moins d’une demi-heure à une heure. Cet allongement de la durée du Soir 3 permet de mieux exploiter les productions régionales de France 3, mais elle supprime surtout le coût du pro- gramme de deuxième partie de soirée, en l’occurrence l’émission de Frédéric Taddei, Ce soir ou jamais, qui bascule sur France 2. Quant à la rédaction nationale de France 3, la logique voudrait qu’elle soit progressivement assimilée à celle de France 2, d’autant que le groupe doit procéder à un rapprochement des deux rédactions à l’horizon 2015. Cette évolution sera peut-être favorable à France 3 : en effet, l’information régionale y est prisée et engendre les meilleurs scores d’audience, quand les programmes nationaux accumulent les déconvenues, au point que France 3 se situe désormais sous la barre des 10 % d’audience, largement devancée par M6 qui occupe fermement depuis 2011 la troisième marche du podium, derrière TF1 et France 2.

France 4, quant à elle, devrait disparaître, au moins telle qu’elle existe aujourd’hui. Avec un coût de grille de 53 millions d’euros en 2012, la chaîne lancée sur la TNT en clair dès 2005, a pu rivaliser avec les autres chaînes de la TNT visant spécifiquement les jeunes adultes, NRJ12, NT1, D8 ou W9. Critiquée par les parlementaires pour ses diffusions de séries américaines, attaquée par les autres chaînes qui dénoncent une concurrence déloyale sur des programmes plébiscités, elle n’aura pas résisté : en accueillant les programmes jeunesse de France Télévisions, c’est son positionnement qu’elle perd. A vrai dire, faute d’investissements, le décrochage était amorcé depuis l’arrivée de D8 et la montée en gamme des mini-généralistes privées. La part d’audience de France 4 a reculé de 0,6 point en un an pour s’établir à 1,6 point en mars 2013, deux fois moins désormais que D8 (3,2 %), quand les deux chaînes étaient au coude à coude un an plus tôt. Pour le groupe France Télévisions, le nouveau visage de France 4 le coupe en outre des moins de 35 ans, que France 4 parvenait à fédérer, alors que la moyenne d’âge des téléspectateurs sur France 2 et France 3 est supérieure à 50 ans. Il lui fait perdre aussi un moyen de recycler avantageusement ses programmes, France 4 rediffusant en journée de nombreux programmes des autres chaînes du groupe France Télévisions. En diffusant des programmes jeunesse en journée, France 4 permettra en revanche à France Télévisions de mieux exploiter ses programmes d’animation, France Télévisions étant l’un des plus grands contributeurs français de ce genre audiovisuel.

Enfin, France 5 et France Ô devraient conserver leurs moyens, leur budget réduit ne permettant pas d’envisager de fortes économies. Pour répondre à la demande des députés ultramarins, France Ô, qui bénéficie pourtant d’une diffusion en métropole sur le canal 19, devrait toutefois se recentrer sur les pro- grammes destinés aux DOM-TOM et abandonner la programmation des séries bollywoodiennes et brésiliennes.

En définitive, et avant la réforme inévitable des différentes grilles des programmes, l’ensemble des chaînes du groupe France Télévisions plafonnait en mars 2013 à 28 % d’audience, sous la barre symbolique des 30 %, et désormais largement derrière le groupe TF1 (30,2 % en incluant HD1). Alors que la redevance vient de connaître une hausse significative, sa justification sera de plus en plus difficile si l’audience continue à diminuer.

Sources :

  • « La publicité pourrait revenir le soir sur France Télévisions », Grégoire Poussielgue, Les Echos, 24 août 2012.
  • « France Télévisions se prépare à l’austérité pour les années à venir », Grégoire Poussielgue, Les Echos, 29 août 2012.
  • « France Télévisions : vaste plan de départs volontaires en vue », Grégoire Poussielgue, Les Echos, 26 septembre 2012.
  • « France Télévisions principale victime des économies budgétaires », Grégoire Poussielgue, Les Echos, 28 septembre 2012.
  • « 2013, année noire de France Télévisions », Paule Gonzalès, Le Figaro, 1er octobre 2012.
  • « Le gouvernement brise le tabou d’une hausse de la redevance audiovisuelle », Grégoire Poussielgue, Les Echos, 1er octobre 2012.
  • « Les députés plaident pour une redevance audiovisuelle élargie », Grégoire Poussielgue, Les Echos, 12 octobre 2012.
  • « Redevance : la hausse sera plus élevée que prévu », Grégoire Poussielgue, Les Echos, 30 octobre 2012.
  • « Incontournable redevance audiovisuelle », Nathalie Silbert, Les Echos, 5 novembre 2012.
  • « France 2 : rebondir sans dépenser plus », Grégoire Poussielgue, Les Echos, 5 décembre 2012.
  • « La question de la publicité sur France Télévisions doit être de nouveau abordée », interview de Rémy Pflimlin, président de France Télévisions, par David Barroux, Alexandre Counis et Grégoire Poussielgue, Les Echos, 11 février 2013.
  • « France Télévisions plaide pour le retour de la publicité en soirée », Paule Gonzalès, Le Figaro, 12 février 2013.
  • « L’inexorable descente aux enfers de France 4 », Paule Gonzalès, Le Figaro, 25 février 2013.
  • « France 3 fait le pari d’un Soir 3 d’une heure », Grégoire Poussielgue, Les Echos, 28 février 2013.
  • « Ultimes arbitrages pour le futur France Télévisions », Paule Gonzalès, Le Figaro, 9 mars 2013.
  • « Nouvelles coupes budgétaires en vue à France Télévisions », Fabienne Schmitt, Les Echos, 11 mars 2013.
  • « France Télévisions dévoile un sévère plan d’économies », Paule Gonzalès, Le Figaro, 23 mars 2013.
  • « L’Etat exige des économies sur France 3 », Paule Gonzalès, Le Figaro, 30 mars 2013.
  • « Publicité sur France Télévisions : le gotha des médias a rendez-vous à l’Elysée », Grégoire Poussielgue et Fabienne Schmitt, Les Echos, 2 avril 2013.
  • « France 3, la réforme impossible », Grégoire Poussielgue, Les Echos, 3 avril 2013.
  • « TV : l’Elysée ouvre la porte à la pub en soirée sur les chaînes publiques », F.Sc., Les Echos, 3 avril 2013.
  • Mediamat mensuel – mars 2013, Médiamétrie, 8 avril 2013.
  • « Filippetti : « France Télévisions doit revenir à l’équilibre financier dans deux ans » », interview par Cécile Amar et Éric Mandel, Le Journal du Dimanche, 20 avril 2013.
  • « Aurélie Filippetti dicte sa loi à France Télévisions », Paule Gonzalès, Le Figaro, 22 avril 2013.
  • « Orientations proposées par le CSA sur la situation de France Télévisons », Communiqué, CSA, 23 avril 2013.
  • « Le CSA prend la défense de France Télévisions », Paule Gonzalès, Le Figaro, 24 avril 2013

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