Microsoft abandonne ses logiciels historiques pour se réinventer

A la suite du lancement de Windows 8 en octobre 2012 et de la sortie de sa première tablette grand public, baptisée Surface, Microsoft repense son offre d’applications logicielles pour créer un écosystème susceptible de concurrencer celui d’Apple ou de Google : Office, Outlook et Skype sont les premiers mobilisés.

Après être reparti de zéro en lançant un nouveau système d’exploitation, Windows 8, à l’ergonomie profondément modifiée, en même temps qu’il est décliné sur tous les terminaux, PC, smartphones et tablettes (voir REM n°24, p.45), Microsoft poursuit son repositionnement dans les services.

Le système d’exploitation, incorporé dans la division Windows, a engendré pendant l’exercice 2012 de Microsoft 18,4 milliards de dollars de chiffre d’affaires sur un total pour le groupe de 73,7 milliards de dollars. Il n’est pas le premier contributeur au chiffre d’affaires du groupe : la division Windows fait jeu égal avec la division Serveurs (18,5 milliards de dollars de chiffre d’affaires, mais une rentabilité moindre) et s’inscrit loin derrière la division Office avec 24,1 milliards de chiffre d’affaires pendant l’année 2012 et 15,8 milliards de dollars de résultat d’exploitation, soit plus des deux tiers du résultat d’exploitation du groupe qui s’élève à 21,8 milliards de dollars. Le succès de Windows conditionne néanmoins l’avenir du groupe, le système d’exploitation étant l’élément central de l’écosystème dans lequel s’inscrivent désormais terminaux et services, comme Apple et les déclinaisons de son OS sur ses Mac, ses iPhone et iPad.

Conscient de cette nouvelle configuration des marchés, où des partenariats avec des constructeurs sont désormais insuffisants, Steve Balmer, le PDG du groupe, a informé les actionnaires, lors de la présentation des résultats du groupe en octobre 2012, de la nouvelle stratégie de Microsoft qui se présente désormais comme « une entreprise de terminaux et de services ». A l’instar d’Apple, mais également de Google qui vient de sortir son propre ordinateur après le smartphone Nexus, ou encore d’Amazon avec le Kindle, Microsoft ne s’interdit plus de lancer ses propres terminaux afin d’exploiter au mieux les synergies entre hardware et software. Cette stratégie, qui a échoué avec son baladeur Zune lancé en 2006, avec son téléphone portable Kin lancé le 13 mai 2010 et retiré de la vente deux mois plus tard, le 30 juin 2010, s’incarne aujourd’hui dans la console de jeu vidéo Xbox et dans la tablette Surface lancée le 26 octobre 2012. Mais elle implique, pour convaincre, de repenser l’activité logicielle de Microsoft, reposant depuis toujours sur des services gratuits en ligne afin de s’imposer sur Internet, ou sur des licences très rentables dans l’univers du PC et le monde de l’entreprise.

Ce positionnement stratégique dans l’univers des logiciels associés aux terminaux conduit naturellement Microsoft à prendre en charge sa communication et la relation au client, et à beaucoup moins compter sur ses partenaires historiques, les fabricants de PC et le groupe finlandais Nokia pour les smartphones (voir REM n°18-19, p.68). Ainsi, en même temps qu’il a annoncé cette nouvelle stratégie, Steve Balmer a indiqué que Microsoft allait ouvrir 34 nouveaux magasins en Amérique du Nord dans l’année à venir, en plus des 28 dont il dispose déjà, afin de nouer un contact direct avec le client à partir de ses terminaux, sur le modèle à succès des Apple Stores. Cette stratégie alliant logiciels et terminaux suppose également un positionnement dans le cloud computing (informatique en nuage, voir REM n°9, p.43), les logiciels de Microsoft se devant de mieux répondre aux évolutions des usages qui favorisent le recours à plusieurs terminaux pour une même application. L’enjeu est de taille car l’attrait des nouveaux logiciels de Microsoft sera alors en mesure d’entraîner le consommateur à opter pour un univers Microsoft, y compris sur les terminaux où le groupe est dépassé, les smartphones et les tablettes. Ainsi, selon l’institut Gartner, il devrait se vendre plus de tablettes que de PC dans le monde en 2017 (467 millions de tablettes contre 271 millions de PC), un chiffre qui annonce la fin de la domination de Microsoft dans l’univers des ordinateurs après avoir été dépassé par Android de Google et l’iOS d’Apple dans les smartphones. Autant dire que le succès de Windows 8 en dehors de l’univers PC grâce à un environnement logiciel attrayant est essentiel.

Cette nouvelle stratégie dans les applications logicielles, en plus du renouveau du système d’exploitation du groupe américain, s’est exprimée une première fois le 21 janvier 2013 avec le lancement de la nouvelle version d’Office, le logiciel le plus rentable du groupe. Après avoir été testé dans le cloud computing auprès des entreprises depuis 2011, Office bascule dans le cloud computing y compris pour le grand public. Rebaptisée Office 365, la suite logicielle, qui inclut des applications phares comme Word, Excel ou Powerpoint, est désormais commercialisée sous la forme d’un abonnement, à 99 euros par an, même si une version vendue sous licence est encore commercialisée sous le nom d’Office 2013. Dans le cas d’un abonnement à Office 365, l’utilisateur n’a plus besoin d’installer la suite logicielle sur les disques durs de ses différents terminaux et il peut se connecter dans un espace à distance où ses documents sont stockés. Les différents terminaux de l’utilisateur, à condition de ne pas fonctionner sous Android ou un OS d’Apple, sont dès lors interopérables. Enfin, les mises à jour se font automatiquement sur les serveurs de Microsoft, sans être obligatoirement téléchargées, en même temps qu’il ne sera plus nécessaire de se procurer une nouvelle licence tous les trois ans environ, le délai moyen entre deux versions de la suite logicielle Office quand celle-ci était commercialisée exclusivement sous forme de licence. Enfin, Office 365 propose 60 minutes de communication vers des téléphones fixes et mobiles à l’international grâce à Skype, le service de téléphonie sous IP racheté par Microsoft en 2011 pour 8,5 milliards de dollars.

Ce dernier logiciel est la pierre angulaire de la nouvelle stratégie de Microsoft dans les applications, parce qu’il bénéficie d’une marque fortement appréciée des consommateurs. Skype et son service de téléphonie sous IP ont été pendant longtemps le seul moyen d’échanger à l’international, sans supplément de forfait, en utilisant sa connexion ADSL. Skype représentait d’ailleurs le tiers des appels internationaux dans le monde en nombre de minutes en 2012. Enfin, Skype permet à Microsoft de bénéficier d’un réseau social original où les « contacts » sont des interlocuteurs proches, avec un taux significatif d’affinité. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Microsoft a décidé, mi-février 2013, de mettre fin à son service de messagerie instantanée MSN Messenger, dépassé par Facebook, pour faire migrer ses utilisateurs vers Skype dès le 8 avril 2013.

Skype sera également progressivement intégré au nouveau service de messagerie électronique de Microsoft. Ce nouveau service, Outlook.com, a été lancé en août 2012 en version test. Déclinaison de la messagerie professionnelle Outlook, jusqu’alors intégrée à la suite Office, Outlook.com est une messagerie électronique améliorée par rapport à la messagerie historique de Microsoft, Hotmail, qui lui permet notamment de répliquer aux messageries concurrentes de la fondation Mozilla (Firefox) et surtout de Google (Gmail). En effet, Microsoft, parce qu’il n’a pas su faire évoluer assez rapidement sa messagerie Hotmail, créée en 1996 et rachetée en 1997, est en passe de se faire rattraper par Google qui affichait, fin 2012, 289 millions d’utilisateurs de Gmail dans le monde contre 325 millions pour Hotmail. En fait, Google parvient à imposer d’autant mieux Gmail qu’un compte est nécessaire pour activer Android, Gmail se répandant à mesure que Google s’impose comme l’acteur dominant des systèmes d’exploitation pour smartphones. Afin de répondre à cette concurrence, Microsoft a donc annoncé, le 19 février 2013, la fermeture progressive d’Hotmail et la migration de ses utilisateurs vers Outlook.com. Outlook joue, comme Windows 8 ou Office 365, la carte de la convergence et de l’interopérabilité, cette fois-ci entre les différentes activités en ligne de ses utilisateurs, puisqu’il intègre les messages reçus depuis Facebook, Twitter ou LinkedIn et, à terme, les conversations sur Skype. A l’avenir, ce sont donc les 280 millions d’utilisateurs de Skype dans le monde qui devraient être invités à rejoindre l’univers Outlook et, par extension, l’univers Windows de Microsoft.

Enfin, dans l’univers des contenus, Microsoft poursuit le développement de son portail MSN en renforçant les aspects sociaux et la vidéo, les deux activités les plus prisées du moment chez les internautes. En France, il renforce par exemple son partenariat avec M6 pour proposer sur M6 Info by MSN, depuis mars 2013, l’ensemble des contenus d’information de la chaîne, notamment les magazines (Capital, Zone interdite, 66 Minutes), en plus des reportages du JT de M6. S’ajoutent à ces contenus diffusés sur M6, les vidéos que la chaîne produit mais qu’elle ne peut diffuser en raison des coupes au montage et des contraintes horaires de diffusion, telles que les interviews diffusées en intégralité ou les images d’enquêtes supprimées à l’antenne, etc.

Sources :

  • « Microsoft se rallie au modèle économique d’Apple », Guillaume de Calignon, Les Echos, 12 octobre 2012.
  • « Logiciels : Microsoft révolutionne la commercialisation d’Office », Romain Gueugneau, Les Echos, 22 janvier 2013.
  • « Microsoft fait évoluer sa messagerie pour contrer Google et Facebook », Romain Gueugneau, Les Echos, 19 février 2013.
  • « MSN France prend le virage du social et de la vidéo », N. Ra., Les Echos, 28 février 2013.
  • « 2,4 milliards de mobiles, PC et tablettes vendus dans le monde », Elsa Bembaron, Le Figaro, 5 avril 2013.

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