Marché du câble : concentration aux Etats-Unis et en Europe

Les câblo-opérateurs attirent en Europe tous les acteurs des télécommunications, offrant un accès rapide à un réseau très haut débit tout en étant complémentaires des offres mobiles. Ils sont au cœur des grandes manœuvres en France, en Allemagne, en Espagne, aux Pays-Bas ou au Portugal. Aux Etats-Unis, le câble se consolide à toute allure avec la fusion de Comcast et de Time Warner Cable, les numéros 1 et 2 du marché.

Pour des raisons différentes, les acteurs du câble en Europe comme aux Etats-Unis sont au cœur d’un vaste mouvement de consolidation (voir REM n°26-27, p.27). En Europe, la filière pousse son avantage face aux opérateurs de télécommunications. Ces derniers, s’ils sont issus du mobile, ont impérativement besoin d’accéder à un réseau fixe pour délester leur réseau mobile et proposer une offre quadruple play. De leur côté, les opérateurs fixes qui s’appuient sur un réseau ADSL ont également intérêt à prendre le contrôle d’un câblo-opérateur car c’est pour eux l’assurance de pouvoir proposer dans un délai très court des offres très haut débit fixe. Or, ces offres sont aujourd’hui les plus porteuses en Europe : entre 2009 et 2013, la part du câble en Europe dans les offres triple play est passée de 14 à 16 % grâce au très haut débit, quand celle des opérateurs historiques a reculé de 4,5 points à 41 % ; et celle des opérateurs alternatifs a crû de un point seulement, à 43 %. Aux Etats-Unis, la problématique est différente car la consolidation relève d’une concentration horizontale, les acteurs du câble cherchant à se racheter entre eux afin d’étendre tout à la fois leur couverture territoriale (le câble américain repose sur une addition de réseaux métropolitains) et leur pouvoir de négociation face aux chaînes payantes, les acteurs américains du câble ayant initialement forgé leur modèle économique sur la commercialisation de bouquets de chaînes payantes, avant de proposer l’accès à internet et le téléphone fixe.

En Europe, la consolidation du marché est avancée. L’Allemagne fait figure d’exception. C’est le seul pays d’Europe où prospèrent deux géants du câble, Kabel Deutschland, racheté par Vodafone en 2013 (voir REM n°28, p.30), et Liberty Global qui a fédéré les numéros 2 et 3 du marché (voir REM n°18-19, p.24). En revanche, sur le mobile, l’Allemagne pourrait bien être le premier pays à passer de quatre à trois opérateurs sans que l’opération soit bloquée par les autorités européenne et allemande de concurrence. En effet, la filiale allemande de Telefonica, l’opérateur mobile E-Plus, s’apprête à prendre le contrôle de KPN Deutschland pour 8,55 milliards d’euros, une opération sur laquelle se prononcera la Commission européenne le 23 juin 2014. Pour la convaincre d’autoriser le rachat, Telefonica se serait engagé à céder des fréquences à ses concurrents. Il s’agirait ici d’une première en Europe, la Commission ayant jusqu’ici considéré que la concurrence est préservée seulement à partir de quatre opérateurs de téléphonie mobile par marché national.

Ailleurs en Europe, les marchés convergent vers un opérateur unique du câble, comme c’est déjà le cas en France avec Numericable (voir infra). Ainsi, aux Pays-Bas, Liberty Global est parvenu à convaincre Zyggo de se laisser totalement racheter, après avoir échoué une première fois en 2013. Pour cela, le géant européen du câble aura dû remonter son offre, valorisant Zyggo 10 milliards d’euros contre 7,4 milliards d’euros lors des dernières négociations en décembre 2013. Dès l’opération finalisée, Liberty Media, qui détient déjà 28 % de Zyggo et la totalité d’UPC aux Pays-Bas, fusionnera les deux entités, qui fédéreront ainsi 7 millions d’abonnés et couvriront 90 % des foyers néerlandais.

En Espagne, le câblo-opérateur Ono, qui a préparé son introduction en Bourse jusqu’au dernier moment après avoir refusé une première offre de rachat par Vodafone en février 2014, a finalement accepté de se faire racheter par le géant mondial de la téléphonie mobile le 17 mars 2014. Pour Ono, la stratégie retenue n’est pas sans rappeler celle de SFR en France, juste avant son rachat par Numericable, ce qui lui a permis de faire monter les enchères, Ono disposant du premier réseau en fibre optique dans la péninsule ibérique. Moyennant 7,2 milliards d’euros, Vodafone récupère donc en Espagne le réseau fixe à très haut débit qui lui manquait, confirmant ainsi sa stratégie européenne d’adossement de ses réseaux mobiles à des réseaux câblés, après le rachat de Kabel Deutschland en 2013 (voir REM n°28, p.30).

Au Portugal, la situation est atypique. Zon, le câblo-opérateur du pays, fondé en 1994, a fusionné en 2013 avec l’opérateur mobile Optimus. Rebaptisé Zon-Optimus, le nouveau groupe devait s’imposer comme deuxième opérateur intégré du pays face à Portugal Telecom, l’opérateur historique. Sauf que ce dernier n’est plus vraiment portugais ! En effet, Portugal Telecom qui, pour des raisons évidentes, a des activités au Brésil, est monté progressivement au capital d’Oi, un opérateur brésilien créé en 2008 avec l’appui du gouvernement brésilien pour faire émerger un acteur local face à Telefonica et America Movil.

Portugal Telecom contrôlait ainsi en 2013 22,4 % d’Oi qui, sur le marché brésilien, cherche à se développer dans le mobile où il n’occupe que la quatrième place (18,6 % de parts de marché). En revanche, Oi est leader sur le fixe (41 % de parts de marché pour la téléphonie fixe, 29 % pour l’internet haut débit) et sait que le marché brésilien du mobile, très dynamique, est condamné à converger avec le fixe, ce qui nécessite des fonds conséquents. Dès lors, les besoins de financement d’Oi sur le marché brésilien, et l’intérêt de Portugal Telecom pour un marché en forte croissance comme il n’en existe plus en Europe, ont conduit les deux opérateurs à annoncer leur fusion le 2 octobre 2013.

A l’issue de la fusion, l’ex Portugal Telecom représentera 38,1 % des parts de la nouvelle entité, cotée au Brésil, où sont déjà réalisés les trois quarts de l’activité.

Aux Etats-Unis, le câble est sur le point de représenter la deuxième plus grosse opération de rachat de l’histoire, juste après le méga-rachat par Verizon, moyennant 130 milliards dollars, de la participation de Vodafone à son capital (voir REM n°28, p.30). La cible s’appelle Time Warner Cable (TWC), numéro 2 du câble aux Etats-Unis pour un chiffre d’affaires de 34 milliards de dollars en 2013. TWC est un acteur indépendant du câble depuis 2008, date à laquelle le réseau a été séparé de Time Warner afin de désendetter la maison mère, pénalisée par la dette de TWC et par celle issue de la méga-fusion de l’an 2000 qui l’avait rapproché d’AOL (voir REM n°8, p.33). S’il n’intéressait pas ses concurrents en 2008, TWC est aujourd’hui devenu une cible enviée par les autres acteurs du câble américain. TWC est en effet fragilisé, après avoir perdu de nombreux abonnés, à la suite notamment des difficultés dans ses négociations avec les chaînes américaines (en particulier CBS). Mais pour ses concurrents, le rachat de TWC, qui relancera ainsi la course à la taille sur le marché américain du câble, fait espérer un pouvoir de négociation plus élevé face aux chaînes dont ils sont les diffuseurs historiques. TWC a d’ailleurs dans un premier temps attiré plus petit que lui, à savoir le quatrième acteur du marché américain du câble, Charter Communications, avec 13 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2013. Sauf que Charter Communications a ceci de particulier qu’il est détenu à 27,3 % par Liberty Media (dont Liberty Global est la filiale européenne). C’est donc, via Charter Communications, un géant mondial du câble qui a approché à plusieurs reprises Time Warner Cable pour le racheter.

Après deux offres infructueuses en 2013, Charter Communications a proposé en janvier 2014 la somme record de 62,4 milliards de dollars pour Time Warner Cable, pour une fusion faisant émerger un géant de 20 millions d’abonnés répartis dans 38 États américains. Time Warner Cable a décliné cette offre, laissant la voie ouverte à Comcast, le leader américain du câble avec 21 millions d’abonnés et 64,7 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2013. Comcast a saisi l’occasion en proposant, le 13 février 2014, 69 milliards de dollars pour Charter Communications, une offre acceptée par Charter Communications. Le nouvel ensemble, si la Federal Trade Commission autorise la fusion des numéros 1 et 2 du câble américain, fédérera ainsi 33 millions d’abonnés et représentera presque 87 milliards de dollars de chiffre d’affaires. Pour obtenir l’autorisation de fusionner, Comcast s’est d’ores et déjà engagé à rétrocéder 3 millions de clients à Charter Communications. Il argue également que les deux câblo-opérateurs fusionnés sont complémentaires sur le plan géographique, Comcast n’étant pas présent à New York où TWC domine. Enfin, Comcast ne manquera pas de rappeler que les câblo-opérateurs font face à des concurrences nouvelles, au premier rang desquelles les offres de télévision par satellite et les offres de vidéo sur internet, notamment Netflix. Mais sur le segment de la vidéo, la dépendance de Comcast est toute relative puisque le groupe contrôle la totalité du capital de NBC-Universal depuis 2013.

Aux rapprochements dans le câble s’ajoute donc aux Etats-Unis la consolidation du marché de la télévision payante, les deux secteurs d’activité étant intimement liés. C’est la raison pour laquelle AT&T, deuxième opérateur de téléphonie du pays derrière Verizon, s’est à son tour lancé dans les grandes opérations afin de sécuriser ses offres triple play et son approvisionnement en chaînes de télévision. Le 19 mai 2014, AT&T a ainsi annoncé son entrée sur le marché américain de la télévision avec le rachat de DirecTV, le premier opérateur de télévision par satellite du pays, présent également en Amérique latine. Pour 48,5 milliards de dollars (35,4 milliards d’euros), AT&T devient donc un opérateur intégré, disposant d’une offre de communication fixe et mobile et d’une offre de télévision par satellite, et ce alors même que le marché de la télévision payante aux Etats-Unis est fragilisé par l’essor de la sVOD (VADA), signe que le retour des stratégies de convergence de la fin des années 1990, symbolisées par la fusion AOL-Time Warner,pourrait transformer de nouveau les groupes de médias en proies faciles pour les géants de la distribution cherchant à sécuriser leur base d’abonnés.

Sources :

  • « Deutsche Telekom porté par son succès aux Etats-Unis », Solveig Godeluck, Les Echos, 9 août 2013.
  • « Portugal Telecom s’apprête à devenir un groupe brésilien », G.S. et S.G., Les Echos, 4 octobre 2013.
  • « Nouvelle offre d’achat sur Time Warner Cable », Maurin Picard, Le Figaro, 5 novembre 2013.
  • « Liberty Global lorgne encore le câblo-opérateur Ziggo », SolveigGodeluck, Les Echos, 13 décembre 2013.
  • « Méga-offre de plus de 62 milliards pour Time Warner Cable », Pierre-Yves Dugua, Le Figaro, 15 janvier 2014.
  • « John Malone fait main basse sur le câble européen », Solveig Godeluck, Les Echos, 28 janvier 2014.
  • « Le câblo-opérateur ONO persiste à vouloir s’introduire en Bourse », Les Echos, 13 février 2014.
  • « Les deux leaders du câble aux Etats-Unis fusionnent », Solveig Godeluck, Les Echos, 14 février 2014.
  • « Télécoms : le géant Vodafone avale l’espagnol Ono pour 7,2 milliards », lefigaro.fr, 17 mars 2014.
  • « Le très haut débit fixe au secours des opérateurs » ; R.G. et S.G., Les Echos, 28 mars 2014.
  • « Telefonica fait des concessions pour décrocher E-Plus-FT », reuters.com, 14 avril 2014.
  • « AT&T met la main sur DirecTV pour 35 milliards d’euros », Stéphane Lauer, lemonde.fr, 19 mai 2014.

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