La Commission européenne et Google trouvent un accord

En prenant des engagements visant à corriger un éventuel abus de position dominante, Google évite d’affronter la Commission européenne sur le terrain juridique. Pour cette dernière, l’accord amiable trouvé avec le géant de l’internet est historique, non seulement parce qu’il permet de résoudre rapidement des problèmes, mais aussi parce que la méthode rompt avec les longs procès intentés à l’encontre d’un autre géant, Microsoft.

Après des premières plaintes en 2008, la Commission européenne a ouvert en novembre 2010 une enquête formelle sur les pratiques de Google, soupçonné d’abus de position dominante (voir REM n°17, p.5). Depuis, les plaintes se sont accumulées, 18 plaignants ayant fait la démarche auprès de la Commission, dont Microsoft. Mais c’est tout l’écosystème européen de l’internet, notamment les acteurs de la recherche spécialisée (comparateurs d’offres, services de cartographie, services de réservation de restaurant, d’avion, d’hôtel, etc.), qui reproche à Google d’abuser de sa position dominante dans la recherche en ligne (près de 90 % de parts de marché en Europe) pour s’imposer également dans d’autres secteurs d’activité. Ainsi, la Commission européenne avait, pour son enquête, retenu principalement quatre problèmes de concurrence, communiqués à Google en mars 2013 : l’affichage de ses services de recherche spécialisés (Google Maps, Google Shooping, etc.) en haut des pages de résultats de Google Search, donc au-dessus des sites référencés naturellement ; la reprise du contenu édité sur d’autres sites dans les réponses apportées par ses services spécialisés ; des accords publicitaires imposant des clauses d’exclusivité aux sites recourant à la régie publicitaire AdSense ; l’interdiction de portabilité des données récupérées à partir des liens sponsorisés.

Le 3 avril 2013, Google a proposé à la Commission européenne une série d’engagements afin de répondre aux problèmes identifiés de concurrence, des propositions jugées insuffisantes par la Commission qui a demandé à Google d’améliorer ses engagements (voir REM n°26-27, p.7). En octobre 2013, Google a présenté des engagements modifiés ouvrant la voie à un accord à l’amiable, le commissaire à la concurrence, Joachim Almunia, ayant fait part d’« améliorations significatives ». Sur les trois derniers problèmes identifiés, les solutions proposées par Google sont, depuis avril 2013, à peu près stabilisées. En revanche, les engagements pris par Google au sujet du premier problème de concurrence, à savoir la mise en avant de ses services de recherche spécialisés dans les pages de résultats de Google Search, et cela dans des « boîtes » situées au-dessus des liens relevant du référencement naturel, n’ont pas totalement satisfait la Commission européenne. Google avait dans un premier temps proposé de signaler explicitement que les services de recherche spécialisés mis en avant étaient en fait des services Google, et non une proposition « naturelle » de l’algorithme du moteur de recherche. Autant dire que Google, dès avril 2013, a reconnu mettre en avant ses propres services, mais finalement en les positionnant comme des publicités (hors référencement naturel), sans véritablement le signaler. La signalisation proposée pouvait donc être une réponse. Elle a été jugée insatisfaisante, le moteur de recherche étant en position dominante. Cette pratique aurait pu en effet être considérée comme un moyen d’exclure du marché les services spécialisés concurrents de Google, et ce à partir du moteur de recherche généraliste.

Les nouveaux engagements, en octobre 2013, ont constitué une avancée significative parce que Google a proposé cette fois-ci de faire monter dans une « boîte », en haut des résultats de recherche, les services spécialisés de ses concurrents, lesquels auraient ainsi bénéficié, à tour de rôle, d’une exposition similaire à celle accordée aux services de Google. C’est sur cette question de l’affichage des services concurrents et de la labellisation des services Google qu’ont donc porté les négociations entre Google et la Commission européenne afin d’arriver, le 5 février 2014, à une résolution des problèmes soulevés, ouvrant ainsi la perspective d’un accord à l’amiable. Les propositions d’octobre 2013 faisaient une place aux concurrents, mais leur traitement n’était pas strictement identique, les services de Google affichant une photo du produit ou un extrait de carte quand les autres services n’auraient eu droit qu’à une exposition privilégiée, avec leur logo, juste en dessous des services de Google. Il aura fallu que la Commission européenne se fasse plus menaçante, surtout après consultation de 125 acteurs du numérique sur les propositions de Google, unanimes pour les trouver inéquitables. Les nouveaux engagements de Google ayant conduit à l’accord à l’amiable avec la Commission européenne prennent donc en compte ces inquiétudes, ce que la Commission européenne confirme : Google « accepte maintenant de garantir que lorsqu’elle promeut ses propres services de recherche spécialisés sur sa page web (par exemple pour des produits, des hôtels, des restaurants, etc.), les services de trois concurrents, sélectionnés au moyen d’une méthode objective, apparaissent de manière clairement visible pour les utilisateurs et selon une présentation comparable à celle utilisée pour ses propres services ». Autant dire que les services Google seront identifiés comme une publicité à côté de laquelle trois services concurrents seront également mis en avant. Le choix des trois services sera, pour les concurrents, soit gratuit, soit déterminé par un système d’enchères publicitaires. Si Google ne facture pas l’affichage des offres dans le service spécialisé qu’il édite, les trois services concurrents seront affichés en fonction de leur pertinence estimée par l’algorithme de recherche naturelle de Google, afin que ces services soient bien ceux effectivement plébiscités par les internautes, donc ceux en mesure de concurrencer véritablement Google. L’internaute aura, dans ce cas, un véritable choix. Si l’affichage des offres est payant dans le service spécialisé de Google mis en avant dans la « boîte », alors les trois places réservées aux concurrents de Google seront vendues aux enchères. Il s’agit donc d’une nouvelle source de revenus publicitaires pour Google, dans une procédure relevant de l’abus de position dominante, un accord qui n’a pas manqué de susciter l’ire de ses concurrents, qui voient ici un moyen de renforcer encore davantage la domination de Google. Il faudra en effet payer pour être traité sur un pied d’égalité avec les services spécialisés de Google, qui n’encourent, quant à eux aucun frais de publicité, étant repris par défaut par le moteur.

Enfin, concernant les trois autres problèmes de concurrence, les solutions avancées depuis octobre 2013 ont peu évolué par rapport au communiqué de la Commission du 5 février 2014. Google donne aux sites tiers la possibilité de refuser la reprise de leurs contenus par ses services spécialisés de recherche. Il met fin aux « exigences d’exclusivité dans ses contrats avec les éditeurs pour ce qui concerne la publicité liée aux recherches » et il met fin simultanément aux « restrictions à la possibilité de mener des campagnes de publicité liée aux recherches sur des plates-formes idoines concurrentes ». Il reste que, pour nombre des concurrents, l’accord à l’amiable entre Google et la Commission européenne mettra fin à tout espoir de voir définitivement séparées les activités de recherche généraliste et les activités de recherche spécialisée, ce qui aurait permis aux services concurrents de Google (Mappy contre Google Maps ; Google Shopping contre Kelkoo, Twenga) d’espérer prospérer dans un univers où l’efficacité de Google dans les services de recherche spécialisés ne soit pas aussi valorisée par l’efficacité de son moteur généraliste. Sans surprise, le gouvernement français, par la voie de son ministre de l’économie, du redressement productif et du numérique, a demandé à la Commission européenne, avec l’Allemagne, de relancer une consultation sur les dernières propositions soumises, dénonçant la rente dont Google bénéficie grâce à l’accord proposé.

Sources :

  • « Bruxelles sous pression dans son conflit contre Google », Renaud Honoré, Les Echos, 1er octobre 2013.
  • « Google se rapproche d’un accord avec Bruxelles », Renaud Honoré, Les Echos, 2 octobre 2013.
  • « A Bruxelles, les critiques de Google ne désarment pas », Renaud Honoré, Les Echos, 2 décembre 2013.
  • « Bruxelles accroît sa pression sur Google », Renaud Honoré, Les Echos, 23 décembre 2013.
  • « Antitrust : Commission obtains from Google comparable display of specialised search rivals- Frequently asked questions », Memo 14/87, Commission européenne, Bruxelles, 5 février 2014.
  • « Abus de position dominante : la Commission obtient de Google un affichage comparable de ses concurrents dans la recherche en ligne spécialisée », Communiqué de presse, Commission européenne, Bruxelles, 5 février 2014.
  • « Bruxelles et Google font la paix, les concurrents du géant s’insurgent », Renaud Honoré, Les Echos, 6 février 2014.
  • « Paris et Berlin lancent une offensive contre Google à Bruxelles », Benjamin Ferran, Le Figaro, 19 mai 2014.

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