Fairphone, à la recherche d’un modèle low-tech

« Téléphone le plus équitable possible dans les conditions du marché actuel », Fairphone est le résultat d’une aventure citoyenne hors du commun.

Fabriquer un téléphone dans des conditions répondant entièrement aux règles d’un commerce juste – sans utiliser des matières premières provenant de zones géographiques en guerre, sans faire travailler les ouvriers dans des conditions inacceptables et sans nuire à l’environnement – est tout simplement une mission impossible. Ingénieur et designer avant de devenir fondateur et PDG de la start-up néerlandaise Fairphone, Bas van Abel, qui a tenté l’expérience en toute bonne foi, confesse  : «  Nous essayons de faire au mieux. Mais nous espérons que le reste de l’industrie tirera des enseignements de notre initiative et que les consommateurs seront sensibles à notre démarche. »

Bas van Abel est parti en Afrique en 2011 pour participer à la réalisation d’une campagne d’information, selon le projet d’une fondation néerlandaise, Waag Society, et d’une ONG, Action Aid, visant à sensibiliser l’opinion sur les conditions d’extraction des minerais utilisés dans les smartphones. Le tungstène, l’étain, l’or et le tantale constituent les ressources minières de la République démocratique du Congo, mais leur exploitation enrichit des groupes paramilitaires sans scrupules vis-à-vis des populations locales. « Il fallait d’abord comprendre ce qui se déroulait là-bas, et nous avons eu du mal à identifier qui étaient les méchants : les milices rebelles, l’armée régulière, la communauté internationale qui ferme les yeux ou les grandes entreprises qui profitent de la situation ? » raconte Bas van Abel. Selon lui, la bonne démarche passait moins par la dénonciation des coupables que par la volonté de démontrer qu’il était possible de faire autrement. Il va alors trouver les moyens de fabriquer un smartphone de la manière la plus équitable possible. Les différentes étapes de sa quête (visites d’usines, analyse du prix de revient, conditions de fabrication, etc.), il les raconte sur un blog afin de sensibiliser les consommateurs.

Pour certains minerais, notamment l’étain et le tantale, Bas van Abel et son équipe parviennent à se fournir auprès d’une organisation regroupant des ONG, des représentants de gouvernements et des personnalités, Conflict Free Tin Initiative, assurant des filières d’extraction des matières premières non criminelles et plus respectueuses des mineurs. Quant à la fabrication, le défi était de trouver une usine chinoise qui n’exploite pas ses ouvriers et qui ne fasse pas appel à des enfants. Cette usine existe à Chongquing, au centre de la Chine. Elle s’est engagée à mieux rémunérer ses employés, sans heures supplémentaires et à utiliser exclusivement les minerais fournis par Fairphone. Une première commande de 1 000 smartphones de la part de l’opérateur néerlandais KPN, sollicité en 2012, a servi de caution. Une aide de 18 000 euros de l’opérateur britannique Vodafone, plus 400 000 euros d’apports privés ont suffi à créer l’entreprise en janvier 2013. Mais il manque encore les fonds nécessaires au lancement de la production. Ils seront collectés par une campagne de financement participatif : 10 000 commandes de smartphones à 325 euros pièce ont été enregistrées en trois semaines.

Fin 2014, Fairphone a vendu 50 000 appareils dans le monde, au prix de 310 euros l’unité. La principale originalité du Fairphone FP1 tient à l’état d’esprit « open design » de son créateur, une logique identique à celle du logiciel libre, revendiquant la transparence, l’interaction et le partage. « Si vous ne pouvez pas ouvrir le produit, vous ne le possédez pas », affirme Bas van Abel. Ainsi, Fairphone propose des pièces détachées, batterie, capteur photo, écran tactile, à des prix compétitifs. L’entreprise, qui emploie désormais une trentaine de collaborateurs, travaille à la sortie, courant 2015, d’un nouveau modèle entièrement fait maison, encore plus équitable, espérant « poser les bases pour que ce mouvement prenne de plus en plus d’ampleur, en comptant sur internet et sur le bouche-à-oreille pour que d’autres viennent y participer  ».

Diffusée le 4 novembre 2014 sur France 2, l’émission Cash Investigation présentait une enquête sur les conditions de fabrication des téléphones portables : des enfants payés une misère, des cadences infernales, des journées de travail interminables, des cités-dortoirs, des catastrophes écologiques qui privent notamment les habitants d’eau potable, des accidents mortels dans les mines ; le tout étant inavouable pour les grandes marques de smartphones qui passent par des sociétés intermédiaires cache-misère.

Ingénieur spécialiste des ressources minières et auteur de L’Âge des low-tech (Seuil, 2014), Philippe Bihouix explique que « notre mode de vie érode plus rapidement la croûte terrestre que ne le font le vent, l’eau et les mouvements tectoniques ». Opposé à une certaine conception du progrès, il milite pour des solutions « low-tech », des technologies économes, peu polluantes, durables et réparables. Le low-tech, c’est d’abord, dit-il, « une attitude qui vise à mieux se servir des produits high-tech aujourd’hui disponibles ».

Sources :

  • « Le téléphone adopte la touche équitable », Sarah Belouezzane, Le Monde, 19-20 octobre 2014.
  • « Le « low-tech« , nouvelle source d’innovation », Paul Molga, Les Echos, 21 octobre 2014.
  • « Raccrochez, c’est une horreur », Joël Morio, Le Monde, 4 novembre 2014.
  • « Fairphone, le smartphone qui veut être équitable », Didier Sanz, Le Figaro, 17 novembre 2014.

 

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