En France, la consolidation de la presse s’organise autour  des hommes d’affaires

Après l’émergence du trio Niel-Bergé-Pigasse avec Le Monde et le Nouvel Obs, les repreneurs de titres de presse sous-valorisés se sont multipliés, créant ainsi de nouveaux groupes qui consolident le marché, comme Reworld Media, Reboot Media ou encore le nouveau venu Privinvest. D’autres géants émergent, dans la presse professionnelle, comme Infopro ; sous la houlette des télécoms, à l’instar d’Altice Media ; ou en réaction à ces nouveaux venus ainsi que l’atteste le rachat du Parisien par Les Echos.

Des investisseurs étrangers au monde de la presse, financiers ou spécialistes du numérique, sont en train de reconfigurer le paysage français, profitant de la valorisation extrêmement faible des titres de presse, frappés par la baisse des ventes et des recettes publicitaires, et par des perspectives de croissance très limitées.

La presse magazine a été la première concernée avec l’émergence rapide, entre 2012 et 2013, du groupe Reworld Media. A chaque fois, Reworld Media s’est emparé à très bon marché de titres aux marques fortes et à la rentabilité faible, afin de les relancer surinternet et de diversifier, autour de leur marque, les activités et les recettes. En janvier 2013, Reworld Media a fait son incursion dans la presse française en s’emparant de Marie France, rachetée au groupe Marie Claire. En juin 2013, Reworld s’est emparé des publications d’Axel Springer en France, avec notamment des titres comme Télé Magazine, Gourmand, Papilles et Vie Pratique Féminin. En avril 2014, Reworld s’est emparé pour un euro symbolique de huit titres supplémentaires, cédés par Lagardère, pour la plupart à peine rentables ou même déficitaires (Auto Moto, Maisons et travaux) (voir La REM n°30, p.29). A cette date, le groupe a atteint un chiffre d’affaires de 80 millions d’euros dans les médias, l’objectif de son fondateur, Pascal Chevalier, étant d’atteindre le plus vite possible la taille critique de 300 millions d’euros. Ce sera chose faite en 2015 avec le rachat de Sporever (contenus en ligne sur le sport, dont le site Sport365), mais surtout avec l’entrée au capital de TradeDoubler, Reworld Media en devenant le premier actionnaire avec 19,1 % du capital. TradeDoubler est une régie à la performance (génération de clics) qui vient compléter l’offre d’espace publicitaire des titres de presse, considérée comme une offre premium plutôt destinée à la communication de marque. Avec TradeDoubler, qui a réalisé en 2014 un chiffre d’affaires proche de 190 millions d’euros, Reworld Media peut revendiquer un chiffre d’affaires 2015 de 250 millions d’euros, ce qui lui permet de devenir, selon les termes de son fondateur, « le 2e groupe média européen dans le digital après Axel Springer ». Reworld Media se caractérise ainsi par une présence internationale significative, les sites de Reworld Media étant déclinés en Europe et en Asie, avec 50 % du chiffre d’affaires du groupe réalisé hors de France. Et les acquisitions de Reworld Media devraient continuer, le groupe de Pascal Chevalier ayant été l’un des candidats malheureux au rachat des magazines du groupe Roularta en France, finalement acquis par Patrick Drahi.

La même logique caractérise à l’évidence le groupe de presse professionnelle Infopro Digital. Contrôlé depuis 2007 par le fonds Apax Partners, le groupe s’est métamorphosé en moins de dix ans. A partir des Editions techniques pour l’automobile et l’industrie (Etai), il a multiplié les acquisitions, plus d’une trentaine, dont le groupe Gisi (Usine Nouvelle, LSA), et a fusionné avec le groupe Moniteur. Infopro est ainsi passé d’un chiffre d’affaires de 70 millions d’euros en 2007 à 288 millions d’euros en 2014, l’ensemble étant rentable grâce à un développement important dans le numérique. Infopro a d’ailleurs développé une expertise en base de données pour les médias qui le place au 9e rang des éditeurs français de logiciels. Avec ces activités, Infopro fait désormais partie des principaux groupes de presse français, ce que cherche à valoriser le fonds Apax qui a lancé le processus de cession de sa participation en septembre 2015 sur une valorisation du groupe à 700 millions d’euros.

Les groupes bénéficiant d’un effet de taille rendent ainsi possible une valorisation meilleure des activités de presse, une fois les titres réunis et restructurés autour du numérique et de l’événementiel (Reworld et Infopro déploient cette double stratégie). Ces stratégies de concentration génèrent un engouement nouveau pour la presse, d’autant que les groupes en difficulté sont nombreux sur le secteur et très mal valorisés. Ainsi, parallèlement aux opérations de Patrick Drahi sur le marché français ou à l’émergence de Reworld Media, de nouveaux acteurs se positionnent, s’appuyant généralement sur des fonds d’investissement ou des investisseurs venus d’autres secteurs. Parmi ces nouveaux acteurs, Didier Quillot, ancien directeur de Lagardère Active, a créé un groupe de presse, Reboot Media Participations, à l’occasion du rachat en mai 2015 de Motor Presse France (36,5 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2013). Pour Didier Quillot et ses partenaires, Alexi Caude et Christophe Karvelis, cet achat est le premier d’une série plus longue qui doit faire émerger un groupe de presse affichant plus de 100 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel, l’objectif étant là encore de faire des économies d’échelle et d’aller chercher en ligne la rentabilité avec des marques déjà connues. Concrètement, c’est Christophe Karvelis, à travers son fonds d’investissement Capzanine, qui financera l’expansion de Reboot Media Participations. La même logique se retrouve également chez Iskandar Safa qui, depuis son offre avec Rossel sur Nice Matin (voir La REM n°33, p.26), cherche à faire émerger un groupe de presse baptisé Privinvest Media. Associé à Etienne Mougeotte et Charles Villeneuve, Iskandar Safa a finalement pu, le 18 juin 2015, prendre le contrôle d’un premier ensemble de titres avec le rachat du groupe Valmonde (Valeurs actuelles, Jours de chasse, Jours de cheval) au groupe Pierre Fabre, qui se sépare d’un actif très éloigné de ses activités dans le médicament. Privinvest Media, par la voix de son président, Etienne Mougeotte, a en outre confirmé qu’il procéderait dans les deux ans à de nouveaux rachats en fonction des occasions qui ne manqueront pas de se présenter.

Ces nouveaux venus, auxquels il faut ajouter le trio Niel-Bergé-Pigasse qui est en train de réunir dans un même groupe Le Monde et Le Nouvel Observateur (voir La REM n°29, p.29), contraignent les groupes historiques à participer eux aussi au mouvement de consolidation généré par la chute du prix des actifs de presse. C’est ce qui a justifié notamment l’ouverture le 26 mai 2015 de négociations exclusives entre le groupe LVMH, propriétaire des Echos, et le groupe Amaury pour la cession du Parisien-Aujourd’hui en France. Le premier quotidien économique français, racheté en 2007 par LVMH et redevenu rentable en 2015, va ainsi prendre le contrôle du grand quotidien régional d’Ile-de-France, Le Parisien, et de son édition nationale, Aujourd’hui en France, pour environ 50 millions d’euros. A l’évidence, la valorisation est faible : le groupe Amaury, qui souhaite se recentrer sur le sport (organisation d’événements, journal L’Equipe et chaîne TV L’Equipe 21), avait tenté de vendre Le Parisien en 2010 pour 200 millions d’euros et avait alors refusé une proposition trop faible de Vincent Bolloré, à 90 millions d’euros. Finalement, cinq ans plus tard, le même ensemble est cédé deux fois moins que ce qu’en proposait Vincent Bolloré, et quatre fois moins que l’estimation faite à l’époque par le groupe Amaury. Sans taille significative, sans les synergies sur le marché publicitaire et l’expertise numérique que confère le contrôle de fortes audiences, les titres perdent en valeur, selon Francis Morel, PDG des Echos ayant initié l’opération. Ainsi, l’ensemble Les Echos (145 millions de CA en 2014, 123 758 exemplaires diffusés), avec Le Parisien (190 millions de CA en 2014, 362 592 exemplaires diffusés) s’impose parmi les plus importants groupes de presse, avec un chiffre d’affaires dépassant la barre symbolique des 300 millions d’euros, gage d’économies d’échelle, et une diffusion quotidienne cumulée supérieure à 500 000 exemplaires. Quant à la nature du rapprochement, qui ne prévoit aucune synergie rédactionnelle du fait de la très forte différence entre les titres, elle indique clairement que c’est d’abord le contrôle des coûts et la capacité à mieux gérer le développement numérique des titres qui sont les principaux leviers de la consolidation du marché de la presse en France.

Sources :

  • « Après Marie France et Gourmand, Reworld Media mise sur Be et Pariscope », interview de Pascal Chevalier, président de Reworld Media, par Alexandre Debouté, Le Figaro, 2 mars 2015. 
  • « Avec TradeDoubler, Reworld devient le 2e groupe média européen dans le digital », interview de Pascal Chevalier, président de Reworld Media, Les clés de la presse, 13 mars 2015. « Etienne Mougeotte et IskandarSafa en discussions exclusives pour le rachat de Valeurs Actuelles », Les clés de la presse, 24 avril 2015. 
  • « La cession de Motor Presse France à Reboot media participations a été finalisée », Les clés de la presse, 26 mai 2015.
  • « LVMH atteint la taille critique dans la presse en rachetant Le Parisien », Julien Dupont-Calbo, Les Echos, 27 mai 2015. 
  • « LVMH va marier Les Echos et Le Parisien », A.D., E.R., C.W., Le Figaro, 27 mai 2015. 
  • « Drahi, Arnault, Safa, patrons de presse boulimiques », Presse News, 9 juin 2015.
  • « Presse : Infopro Digital est à vendre », Anne Drif, Les Echos7 septembre 2015.

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