Le pôle presse de SFR reconfiguré

La fin de la publication de L’Expansion, la revente des titres de presse professionnelle à Marc Laufer, le recentrage sur les marques d’information grand public et le développement du kiosque SFR Presse : tels sont les contours du nouveau pôle presse du groupe SFR.

Annoncée en juillet 2016, la création du pôle SFR Media (voir La rem n°40, p.45) a correspondu au rattachement à SFR des différentes activités médias dont le groupe Altice s’est emparé en France, à savoir des activités dans la presse (SFR Presse), dans l’audiovisuel (SFR RadioTV avec les actifs issus de NextRadioTV) et dans le sport (SFR Sport, dont les chaînes sportives éponymes). Cette amorce de rationalisation s’est depuis poursuivie, notamment pour les activités de SFR Presse. En effet, si le pôle audiovisuel est structuré parce qu’il se superpose en grande partie au périmètre de NextRadioTV (BFM et RMC), si le pôle sport repose sur l’achat de droits sportifs et les chaînes SFR Sport, il n’en va pas de même du pôle presse qui est le fruit de rachats et d’alliances. Après la prise de contrôle de Libération en 2014, Altice s’est associé à NewsCo, contrôlé par Marc Laufer, pour racheter les titres français du groupe Roularta en 2015 (voir La rem n°36, p.28). Cette opération a fait émerger un nouvel ensemble intégrant tout à la fois les titres de Roularta (L’ExpressL’ExpansionPoint de vueL’Étudiant…) et les titres de NewsCo, pour l’essentiel des titres de presse professionnelle. Toujours en 2015, le nouvel ensemble s’est emparé de Stratégies, rachetant en même temps au groupe Intescia d’autres titres professionnels comme Coiffure de Paris. L’ensemble des titres regroupés représentait alors un chiffre d’affaires de 300 millions d’euros, mais l’offre éditoriale s’est révélée rapidement en décalage par rapport aux objectifs du groupe SFR.

Pour l’opérateur français, qui joue la carte de la convergence, les contenus doivent servir à fidéliser les abonnés et à augmenter le revenu moyen par abonné. Les contenus doivent donc par défaut viser le grand public et non une cible professionnelle ou des niches très minoritaires. À cet égard, le pôle SFR Presse constitué en 2015 s’est trop diversifié pour être cohérent. En novembre 2016, Michel Combes, directeur général d’Altice et président-directeur général de SFR, annonçait une possible réorganisation du « portefeuille de journaux tant par des acquisitions que des cessions ». Cette réorganisation s’est traduite concrètement par un recentrage sur les titres grand public et les marques fortes, et par la suppression des foyers de pertes au sein de l’ensemble de journaux.

Si SFR Presse a besoin de titres grand public pour mettre à la disposition de ses abonnés une offre d’information, ces derniers ne sont pourtant pas les plus rentables, la presse connaissant une grave crise et ne parvenant pas à identifier encore le modèle d’affaires qui, demain, lui permettra de retrouver la croissance. Ainsi, les pertes sont situées d’abord dans les titres stratégiques pour SFR Presse. Ce fut le cas notamment pour L’Expansion. Cette marque, qui fête ses 50 ans en 2017, a finalement dû disparaître des kiosques. Le magazine économique éponyme, fondé en 1967 par Jean Boissonnat et Jean-Louis Servan-Schreiber, a vu ses ventes s’effriter jusqu’au point de non-retour : alors qu’il se vendait encore à plus de 120 000 exemplaires par mois en 2012, à peine la moitié trouvait preneur en 2016, avec un point bas en juin 2016 à 46 000 exemplaires, quand le leader sur le marché des magazines économiques, Challenges, tirait encore en 2016 à 190 000 exemplaires. Pour faire face à cet effondrement des ventes de L’Expansion, les plans sociaux se sont multipliés et seuls cinq journalistes constituaient la rédaction en 2016.

Ainsi, SFR Presse a préféré mettre fin à L’Expansion en novembre 2016, les cinq journalistes de la rédaction rejoignant celle de L’Express pour y développer les pages « économie ». Le magazine d’information générale est également à la peine, après avoir perdu 20 % de ses lecteurs en 2016 et connu un plan social à la suite de son rachat par Altice. Ce dernier avait eu pour conséquence de ramener les effectifs de L’Express à deux uniques journalistes pour la rubrique « économie » du magazine. De ce point de vue, la fusion avec la rédaction de L’Expansion va donner un nouveau souffle aux pages « économie » de l’hebdomadaire d’information générale et politique.

Le début de rationalisation du portefeuille de titres a commencé par la fermeture de L’Expansion, et le recentrage des forces sur L’Express s’est confirmé le 28 novembre 2016 avec l’annonce de négociations exclusives entre SFR et Marc Laufer pour lui revendre une partie des titres de SFR Presse. Il s’agit notamment des titres dont Marc Laufer avait perdu le contrôle en s’associant à Altice pour racheter les activités françaises de Roularta en 2015. Les négociations ont ainsi porté sur la cession des titres professionnels issus de NewsCo et d’Intescia, ainsi que L’Étudiant, issu de Roularta, autant de titres à vocation professionnelle ou au positionnement trop éloigné des objectifs du groupe SFR.

Dans l’ensemble cédé, seul L’Étudiant est un titre grand public, mais son chiffre d’affaires repose en grande partie sur l’organisation de salons, une activité sans réel rapport avec les métiers d’un opérateur de télécommunications. La cession a été finalisée le 27 avril 2017. L’ensemble cédé totalise 56 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel et est regroupé au sein de Coalition Media Group, où SFR reste présent à hauteur de 25 % du capital. Les 75 % restants sont détenus majoritairement par Marc Laufer (60 %) et minoritairement par Philippe Lhomme (40 %), un homme d’affaires belge issu, comme Marc Laufer, de l’entourage de Patrick Drahi. SFR Presse est donc recentré sur ses marques grand public, L’ExpressLibération, mais également Point de vue, hérité de Roularta et qui a été conservé.

À la réorganisation stratégique du portefeuille de titres s’ajoute l’expérimentation dans la distribution que constitue le kiosque SFR Presse lancé en avril 2016 (voir La rem n°40, p.45). Désormais disponible en over the top, sans être abonné à SFR, le kiosque de presse vise d’abord à recruter des abonnés SFR. L’abonnement over the top est en effet facturé 19,99 euros par mois, ce qui n’est pas avantageux puisque cela correspond au tarif mensuel d’un abonnement ADSL chez SFR pour une première année d’engagement, l’abonnement incluant par défaut SFR Presse. Les offres d’abonnement à l’internet mobile chez SFR reprennent la même approche commerciale dès que l’on sort des forfaits d’entrée de gamme (inférieurs à 15 euros par mois).

Limitée donc essentiellement aux abonnés, l’initiative attire de plus en plus les éditeurs, alors que certains avaient fait part de leurs doutes au moment de son lancement. L’application SFR Presse propose un mode nouveau de rémunération et une augmentation des audiences qui ne semble pas « cannibaliser » le lectorat numérique des titres concernés. 20 000 personnes utilisent quotidiennement l’application, ce qui engendre plusieurs milliers de téléchargements de titres chaque jour. Le Parisien (Groupe LVMH), qui avait été parmi les premiers à rallier SFR Presse, revendiquait ainsi début 2017 quelque 8 000 téléchargements par jour sur SFR Presse. Avec SFR Presse, Le Parisien cherche « à mettre en main le journal à des personnes qui n’iraient pas forcément nous lire en kiosque ou sur notre site », selon Sophie Gourmelen, directrice générale du Parisien citée par Le Figaro.

L’application sert ici d’intermédiaire pour toucher des cibles nouvelles, sans se substituer aux pratiques des lecteurs déjà fidélisés, ce que confirme Franck Annesse, fondateur de Society. Le dernier numéro de Society proposé sur SFR Presse a été téléchargé 16 000 fois sans que les ventes papier soient pénalisées. Society a toutefois été retiré de SFR Presse car le risque est de présenter la presse « comme un produit gratuit, ce qui le dévalorise, en plus d’être injuste vis-à-vis des kiosquiers », selon Franck Annesse cité par Les EchosLe Monde refuse également d’être distribué par SFR Presse, considérant qu’il s’agit d’une alternative à la commercialisation de ses abonnements numériques.

D’autres éditeurs se laissent toutefois convaincre progressivement, renforçant ainsi l’intérêt de SFR Presse : le Groupe Lagardère, le Groupe Figaro et le Groupe La Voix du Nord ont apporté une partie de leurs titres à SFR Presse en février 2017. Lagardère a ajouté sur SFR Presse ElleParis Match et Télé 7 Jours, alors que son titre Public fait déjà partie des titres les plus téléchargés sur SFR Presse. L’Equipe et France Football (Groupe Amaury) ont de leur côté rejoint SFR Presse en mai 2017, portant à 80 le nombre de titres disponibles sur le kiosque en ligne et offrant à l’application une vraie couverture de l’actualité sportive.

Condé Nast a de son côté confirmé la négociation en cours d’un accord avec SFR Presse pour y proposer ses titres de mode, avec VogueVanity Fair et Glamour. Afin de renforcer encore l’intérêt de l’application pour ses abonnés, SFR Presse fera l’objet d’innovations. Alain Weill, à la tête d’Altice Media, a ainsi annoncé le développement de la vidéo sur l’application, de quoi mobiliser la galaxie BFM, spécialiste de l’actualité chaude et de l’information en continu.

Sources :

  • « SFR pourrait se séparer d’une partie de ses titres de presse », Fabienne Schmitt, Nicolas Madelaine, Marina Alcaraz, Les Echos, 9 novembre 2016.
  • « L’Expansion ferme dans un contexte morose pour les « mag éco » », Nicolas Madelaine, Les Echos, 22 novembre 2016.
  • « SFR prépare l’absorption de L’Expansion par L’Express », Chloé Woitier, Le Figaro, 22 novembre 2016.
  • « Presse : comment SFR veut réinventer le modèle », Marina Alcaraz, Nicolas Madelaine, Les Echos, 29 novembre 2016.
  • « Le jackpot de Marc Laufer », Presse News, 6 décembre 2016.
  • « L’Etudiant vendu courant février », Presse News, 24 janvier 2017.
  • « Le FigaroElle et Paris Match rejoignent SFR Presse », Enguérand Renault, Chloé Woitier, Le Figaro, 2 février 2017.
  • « L’Equipe et France Football ferme sur le kiosque SFR Presse », Nicolas Madelaine, Les Echos, 5 mai 2017.

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