Déchiffrement forcé d’un moyen de cryptologie

Par la décision du Conseil constitutionnel n° 2018-696 QPC du 30 mars 2018, l’article 434-15-2 du code pénal, sanctionnant le refus de remettre à l’autorité judiciaire l’instrument de déchiffrement d’un moyen de cryptologie ayant servi à commettre une infraction, est déclaré conforme à la Constitution.

Dans sa rédaction résultant de la loi du 3 juin 2016, « renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale », l’article 434-15-2 du code pénal (CP) réprime « le fait, pour quiconque ayant connaissance de la convention secrète de déchiffrement d’un moyen de cryptologie susceptible d’avoir été utilisé pour préparer, faciliter ou commettre un crime ou un délit, de refuser de remettre ladite convention aux autorités judiciaires ».

Dans le cadre d’une poursuite pour « infractions à la législation sur les stupéfiants et refus de remettre la convention secrète de déchiffrement d’un moyen de cryptologie », le tribunal de grande instance (TGI) de Créteil, devant lequel a été soulevée la question de la conformité à la Constitution de ladite disposition, l’a transmise à la Cour de cassation. La Cour a considéré qu’il y avait lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel. Celui-ci s’est prononcé dans sa décision du 30 mars 2018.

Aux moyens de contestation de conformité s’oppose la déclaration de conformité

Contestation de conformité à la Constitution

La question prioritaire de constitutionnalité (QPC) était ainsi rédigée : « Les dispositions de l’article 434-15-2 CP, en ce qu’elles ne permettent pas au mis en cause, auquel est demandée la convention secrète de déchiffrement d’un moyen de cryptologie susceptible d’avoir été utilisé pour préparer, faciliter ou commettre un crime ou un délit, de faire usage de son droit au silence et du droit de ne pas s’auto-incriminer, sont-elles contraires au principe du droit au procès équitable, prévu par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, du 26 août 1789, au principe de la présomption d’innocence, duquel découle droit de ne pas s’auto-incriminer, et au droit de se taire, prévu à l’article 9 de ladite Déclaration (DDHC) ? »

En son article 16, la DDHC énonce que « toute société dans laquelle la garantie des Droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Et, en son article 9, que « tout homme est présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable ».

Selon les parties intervenantes, l’article du code pénal contesté violerait également d’autres principes de valeur constitutionnelle tels que « le droit au respect de la vie privée », ainsi que « le secret des correspondances, les droits de la défense, le principe de proportionnalité des peines et la liberté d’expression ».

Pour fonder leur argumentation, elles invoquent notamment l’article 2 DDHC, aux termes duquel « le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme », et son article 11, selon lequel « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ».

Différents arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), ainsi que de précédentes décisions du Conseil constitutionnel ou de la Cour de cassation, ont pu servir à la contestation de la conventionnalité ou de la conformité à la Constitution de dispositions du type de celles qui étaient en cause en l’espèce.

La CEDH a précédemment reproché aux dispositions du droit douanier français d’avoir servi à tenter de contraindre un individu « à fournir lui-même la preuve d’infractions qu’il aurait commises », alors que ne saurait être justifiée l’« atteinte au droit, pour tout « accusé » […] de se taire et de ne point contribuer à sa propre incrimination » (CEDH, 25 février 1993, Funke c. France).

La même Cour a relevé que, si le texte de la Convention « ne le mentionne pas expressément, le droit de se taire et – l’une de ses composantes – le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination sont des normes internationales généralement reconnues qui sont au cœur de la notion de procès équitable » et que « ce droit est étroitement lié au principe de la présomption d’innocence » (CEDH, 17 décembre 1996, Saunders c. Royaume-Uni ; CEDH, 11 juillet 2006, Jalloh c. Allemagne).

La Cour a également considéré que « le droit de garder le silence et le droit de ne pas s’incriminer soi-même sont des droits absolus » (CEDH, 29 juin 2007, O’Halloran et Francis c. Royaume-Uni). Le Conseil constitutionnel, en l’occurrence, a fondé une de ses décisions sur « le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser, dont découle le droit de se taire » (décision n° 2016-594 QPC, du 4 novembre 2016).

Déclaration de conformité à la Constitution

Pour le Conseil constitutionnel, par les dispositions contestées, « le législateur a poursuivi les objectifs de valeur constitutionnelle de prévention des infractions et de recherche » de leurs auteurs. Il considère que les « dispositions critiquées n’imposent à la personne suspectée d’avoir commis une infraction, en utilisant un moyen de cryptologie, de délivrer ou de mettre en œuvre la convention secrète de déchiffrement que s’il est établi qu’elle en a connaissance » ; qu’elles « n’ont pas pour objet d’obtenir des aveux […] et n’emportent ni reconnaissance ni présomption de culpabilité mais permettent seulement le déchiffrement des données cryptées » ; que « l’enquête ou l’instruction doivent avoir permis d’identifier l’existence des données traitées par le moyen de cryptologie susceptible d’avoir été utilisé pour préparer, faciliter ou commettre un crime ou un délit » ; et que ces données « existent indépendamment de la volonté de la personne suspectée ».

Le Conseil constitutionnel estime encore que « les dispositions contestées ne portent pas atteinte au droit de ne pas s’accuser ni au droit au respect de la vie privée et au secret des correspondances » et qu’elles ne méconnaissent « pas non plus les droits de la défense, le principe de proportionnalité des peines et la liberté d’expression, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit ». Il en conclut que l’article 434-15-2 CP « est conforme à la Constitution ».

À l’appui de cette appréciation, il convient de relever que la CEDH, ainsi que le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation, ont précédemment été conduits à déclarer certaines dispositions, du type de celle en cause, conformes à la ConvEDH et à la Constitution.

Alors qu’il était reproché aux juridictions du Royaume-Uni d’avoir porté atteinte au droit d’un individu « de garder le silence » et d’avoir violé « le principe selon lequel la charge de la preuve incombe à l’accusation sans que l’accusé ait à prêter son concours », la Cour européenne a posé qu’il « est manifestement incompatible » avec ces principes « de fonder une condamnation exclusivement ou essentiellement sur le silence du prévenu ». Elle a cependant considéré qu’« il est tout aussi évident » que cela ne saurait « empêcher de prendre en compte le silence de l’intéressé » et que, s’agissant du « droit de garder le silence », il faut « répondre par la négative à la question de savoir si ce droit est absolu » (CEDH, 8 février 1996, J. Murray c. Royaume-Uni).

Le Conseil constitutionnel a lui-même posé que, « s’il découle de l’article 9 de la Déclaration de 1789 que nul n’est tenu de s’accuser, ni cette disposition ni aucune autre […] n’interdit à une personne de reconnaître sa culpabilité » (Décision n° 2004-492 DC, du 2 mars 2004). Pour la Cour de cassation, « le droit au silence et celui de ne pas contribuer à sa propre incrimination ne s’étendent pas au recueil de données qu’il convient d’obtenir indépendamment de la volonté de la personne concernée » (Cass. crim., 6 janvier 2015).

Les nécessités de « la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement », objet de la loi du 3 juin 2016, ont entraîné l’introduction de l’article 434-15-2 CP réprimant le refus, pour un individu poursuivi, de remettre, aux autorités judiciaires, les moyens de déchiffrement de messages cryptés. Dans sa décision du 30 mars 2018, le Conseil constitutionnel déclare cet article « conforme à la Constitution ». D’autres décisions de la même institution et arrêts, tant de la CEDH que de la Cour de cassation, ont rappelé cependant la nécessité d’assurer un juste et délicat équilibre entre cet objectif d’intérêt général et le respect des droits de la défense, de ne pas s’auto-incriminer, à un procès équitable et à la présomption d’innocence.

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