Financement de la presse par les citoyens : un usage peu répandu

Les dispositifs fiscaux qui permettent aux particuliers de soutenir des entreprises de presse d’information ne rencontrent pas un grand succès en France. Seuls 158 ménages ont souscrit au capital d’une entreprise de presse d’information générale et politique.

Rendu public en avril 2018, le rapport d’évaluation de la loi Françaix de 2015 (voir La rem n°34-35, p.7) présenté par les députés George Pau-Langevin et Laurent Garcia conclut au succès très relatif des mesures introduites afin d’accorder aux contribuables une réduction de l’impôt sur le revenu, d’une part, pour des dons versés au profit d’associations ayant pour objet de soutenir le pluralisme de la presse, et d’autre part, pour la souscription au capital d’une entreprise de presse d’information politique et générale. Appelées communément « amendements Charb », ces dispositions de défiscalisation, dont le directeur de la publication de Charlie Hebdo avait eu l’idée, ont été adoptées au lendemain de l’attentat perpétré le 7 janvier 2015 au siège de l’hebdomadaire, où ont été assassinées douze personnes, dont Charb, et onze autres blessées.

Ces premières mesures n’ayant pas connu le succès attendu, leurs modalités d’application ont été élargies et renforcées par la loi Bloche de 2016 (voir La rem n°41, p.10). La souscription au capital ouvrant une réduction d’impôt sur le revenu, égale à 30 %, concerne toutes les entreprises de presse, quelle que soit leur périodicité, ainsi que les services de presse en ligne, d’information générale ou politique ou consacrant une large part à l’information générale et politique. Sont également pris en compte les versements effectués au profit des « sociétés des amis » ou « des sociétés des lecteurs ». En outre, les plafonds des montants donnant droit à réduction d’impôt ont été relevés de 1 000 à 5 000 euros pour une personne seule et de 2 000 à 10 000 euros pour un couple.

Le dispositif relevant du régime fiscal du mécénat présente un bilan plutôt satisfaisant, estiment les deux députés chargés d’en évaluer les effets. Ainsi le montant collecté par les deux associations, créées pour collecter les dons des particuliers en faveur de la presse, à savoir « J’aime l’info » et « Presse et Pluralisme », est passé de 3,3 millions d’euros en 2014 à 5,6 millions en 2016, l’année 2015 ayant atteint les 8 millions d’euros avec un versement de 2,9 millions d’euros pour Charlie Hebdo. Les dons peuvent être nominatifs ou non nominatifs, ces derniers sont pratiqués seulement par l’association « Presse et Pluralisme » au sein de laquelle un comité d’orientation se charge de la sélection des bénéficiaires. Ouvrant pour les particuliers une réduction d’impôt égale à 66 % du versement dans la limite de 20 % de leur revenu imposable, ces dons aux associations ont concerné 91 titres, tous supports confondus. Le manque à gagner pour l’État est estimé à 4 millions d’euros.

En revanche, le dispositif permettant aux particuliers de souscrire au capital d’une entreprise de presse n’a pas porté ses fruits. Malgré les assouplissements effectués, la souscription au capital d’une entreprise de presse ouvrant à réduction d’impôt n’a pas attiré les contribuables. La Direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) chargée de ces questions au sein du ministère de la culture estime que le montant de cette niche fiscale était inférieur à 500 000 euros en 2016. Si l’administration n’indique pas le nombre d’entreprises de presse concernées, elle prévoit néanmoins que ce résultat ne devrait pas évoluer au cours des deux années suivantes. La DGMIC précise que seuls 158 ménages ont choisi de bénéficier de cette mesure de défiscalisation pour financer une entreprise de presse d’information générale et politique.

Pour les députés rédacteurs du rapport d’évaluation, il convient malgré tout de prolonger la durée de vie de cette mesure prévue jusqu’en 2018, soulignant son importance pour les petits éditeurs de presse, ainsi que pour ceux qui, comme le quotidien L’Humanité, pratiquent régulièrement des appels à souscription auprès de leurs lecteurs. Reprenant un argument développé par le Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (SPIIL), ils suggèrent d’assouplir le mécanisme fiscal pour souscription au capital, en donnant aux holdings d’investisseurs la possibilité d’en bénéficier avec leur entrée au capital des sociétés des lecteurs. Celles-ci sont en effet autorisées à ouvrir leur capital aux seuls actionnaires individuels, leur regroupement sous la forme d’une holding faisant perdre aux particuliers l’avantage fiscal auquel ils pouvaient prétendre.

Enfin, dernière proposition pour encourager la participation des citoyens au financement de la presse : augmenter la réduction d’impôt sur le revenu, accordée aux particuliers souscrivant au capital d’une entreprise solidaire de presse d’information (ESPI), statut instauré par la loi du 17 avril 2015 pour favoriser l’indépendance et le pluralisme de la presse (voir La rem n°34-35, p.7). Égal à 50 % (contre 30 % pour les « non-ESPI »), ce taux devrait être aligné sur celui appliqué aux dons des particuliers en faveur des associations soutenant le pluralisme de la presse, soit 66 %.

Selon la DGMIC, seules quinze entreprises de presse ont adopté le statut d’ESPI à ce jour : Charlie Hebdo en 2015 ; 94 CitoyenOGC Presse et Les Jours en 2016 ; L’HumanitéThe DissidentINpact MediaGroupCeylanMediaticoLe DrencheOuest Media PresseMarsactuContrevues Presse et VoxEurop en 2017. Sur 69 entreprises de presse en ligne éligibles au statut d’ESPI (sur un total de 165 adhérents au SPIIL), seulement sept d’entre elles ont fait ce choix.

Source :

– Rapport d’information sur l’évaluation de la loi n° 2015-433 du 17 avril 2015 portant diverses dispositions tendant à la modernisation du secteur de la presse, Commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale, présenté par M. Laurent Garcia et Mme George Pau-Langevin, députés, Assemblee-nationale.fr, 11 avril 2018.

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