Covid-19. La Chine et les États-Unis expulsent leurs journalistes

En se livrant à des attaques et contre-attaques visant leurs médias respectifs, les deux premières puissances mondiales s’alignent, l’une contre l’autre, sur le moins-disant en matière de liberté d’expression et de liberté de la presse, tandis que le monde fait face à la pandémie.

La crise sanitaire est le nouveau théâtre de guerres d’influence. Loin d’un diplomatique soft power, Washington et Pékin s’affrontent à découvert depuis la mi-février 2020, sans vergogne, en prenant les journalistes en otage.

En Chine, les discours officiels affichent le plus grand optimisme quant à la « guerre du peuple » contre la Covid-19. Sur Twitter, Hu Xijing, rédacteur en chef du Global Times, quotidien nationaliste d’État, témoigne de sa confiance dans « notre victoire », assurant que « les gens sont de meilleure humeur et les villes retrouvent leur vitalité. Moi-même, je suis très heureux ». Pourtant le report à une date ultérieure de la réunion annuelle du Parlement chinois, une première en trente-cinq ans, ne trompe pas sur la situation sanitaire du pays. Les autorités s’occupent de faire taire les voix discordantes, notamment celle de l’universitaire Xu Zhiyong, arrêté le 15 février 2020, et celle du juriste Xu Zhangrun, assigné à résidence. Il s’agit d’imposer dans les médias la version de l’État concernant la gestion de l’épidémie, alors que les chiffres de victimes chinoises officiellement annoncés sont parfaitement incohérents avec la situation décrite dans les hôpitaux et dans les morgues.

Le 17 février 2020, le Global Times titre « Chris Buckley, du New York Times, dénature les efforts de la Chine pour vaincre le coronavirus » – le journaliste américain est parmi les quelques journalistes occidentaux qui se trouvaient dans la ville de Wuhan (Hubei), épicentre de l’épidémie. Chris Buckley est aussi l’auteur d’articles dénonçant la répression des musulmans dans la région ouïghoure du Xinjiang.

Le 19 février 2020, Pékin annonce l’expulsion, par l’annulation de la carte de presse, de trois journalistes du Wall Street Journal, deux Américains et un Australien, en réaction à la publication, le 3 février 2020, d’un article jugé offensant par les autorités chinoises. Écrite depuis les États-Unis – la Chine est alors en pleine épidémie de coronavirus –, par Walter Russell Mead, universitaire américain, cette tribune critiquait la gestion de la crise sanitaire par le gouvernement de Pékin et les pouvoirs locaux. En outre, elle était intitulée « La Chine est le véritable homme malade de l’Asie », une expression méprisante envers la Chine car elle fait référence à l’emprise passée du Japon et des Occidentaux sur le pays.

Fustigeant l’usage de ce titre « sensationnaliste » et empreint de « discrimination raciale », la Chine attendait que le Wall Street Journal lui adresse des excuses, alors que le quotidien américain a fait savoir que les trois journalistes expulsés avaient en commun d’avoir enquêté sur la surveillance de masse et le sort des Ouïghours. Représentant de la finance internationale, le quotidien conservateur américain est présent à Pékin depuis 1980 avec une rédaction composée de dix journalistes. Pour la première fois, en 2019, l’un d’entre eux, originaire de Singapour, avait été renvoyé par le gouvernement chinois à la suite d’une enquête révélant les démêlés d’un cousin du président Xi Jinping avec le fisc australien.

Cette décision radicale des autorités chinoises est inter­prétée comme « une tentative extrême et évidente […] d’intimider les médias étrangers en prenant des sanctions contre leurs correspondants basés en Chine », selon le Club des correspondants de la presse étrangère en Chine (FCCC). À ce propos, le secrétaire d’État américain, Mike Pompeo, a déclaré : « Les pays matures et responsables comprennent qu’une presse libre rapporte des faits et exprime des opinions. » Quant au président Donald Trump, il ne manque pas une occasion d’exciter le sentiment nationaliste au sein de la population et d’attiser par là-même la guerre d’influence avec la Chine : il évoque dans ses déclarations « le virus chinois » et affirme, sans preuve, que le nouveau coronavirus se serait échappé d’un laboratoire en Chine. Ce sera aussi le choix du département d’État américain de donner le statut de « mission étrangère » aux cinq grands médias d’État chinois établis sur le sol américain, ce qui déclen­chera vingt-quatre heures plus tard l’expulsion des journalistes du Wall Street Journal. Assimilées à des missions diplomatiques, l’agence de presse Chine nouvelle, Chine Radio internationale, China Global Television Network, China Daily et Le Quotidien du peuple devront désormais rendre compte au département d’État de la liste de leurs employés ou encore obtenir une autorisation pour acquérir des propriétés aux États-Unis. « Ces gens sont en fait le bras armé de l’appareil de propagande du Parti communiste chinois », explique-t-on au département d’État américain, pour lequel les nouvelles modalités de contrôle s’alignent sur celles qui sont pratiquées par les autorités chinoises aux médias étrangers.

« Injustifiées et inacceptables », rétorque le 19 février 2020 le porte-parole du ministère des affaires étrangères chinois en réaction à l’annonce des contraintes imposées par les États-Unis, tandis que, de son côté, le personnel chinois des médias étrangers est obligatoirement salarié d’un organisme public chinois par lequel transite la rémunération versée par son employeur étranger. S’il ne voit pas de relation de cause à effet entre la décision américaine affectant les médias chinois et l’expulsion des journalistes du Wall Street Journal, le Global Times dans son édition du 20 février 2020 précise tout de même « que ce n’est pas tout à fait une coïncidence s’ils [ces faits] surviennent en même temps. Ils montrent que le conflit idéologique entre la Chine et les États-Unis s’intensifie ».

Washington confirme deux semaines plus tard l’augure du Global Times : les grands médias d’État chinois présents sur le territoire américain sont classés « organes de propagande ». En conséquence, à compter du 13 mars 2020, leurs effectifs seront réduits à 100 ressor­tissants chinois au maximum contre 160 auparavant. L’agence de presse Chine nouvelle subira la plus importante coupe, réduite à 59 salariés chinois, suivie de China Global Television Network qui en comptera 30 contre seulement 9 pour China Daily et 2, pour China Radio internationale. Les États-Unis n’expulsent pas directement les employés des médias de l’État chinois, mais le résultat sera le même.

« Depuis des années, la Chine impose une surveillance, un harcèlement et des intimidations de plus en plus durs sur les Américains et d’autres journalistes étrangers travaillant en Chine », explique dans un communiqué le secrétaire d’État Mike Pompeo, sans évoquer le renvoi des journalistes du Wall Street Journal. Selon le rapport annuel du Club des correspondants étrangers en Chine (FCCC), le pouvoir chinois se sert du visa de travail comme « une arme » à l’encontre des médias étrangers, notamment en écourtant de plus en plus fréquemment la durée de validité de la carte de presse (qui vaut comme permis de travail) de un an à six mois ou moins. En 2019, les douze journalistes qui ont reçu une carte de presse d’une durée réduite travaillaient notamment pour le New York Times, le Wall Street Journal, La Voix de l’Amérique, la BBC, le Telegraph, le Globe and MailLe Monde, le Sankei Shimbun.

« Nous appelons le gouvernement chinois à confirmer immédiatement ses engagements à respecter la liberté d’expression, y compris pour les membres de la presse », déclare le secrétaire d’État américain. Il s’agit pour les États-Unis de « rétablir une égalité qui n’a que trop tardé ». Les contenus diffusés par les médias chinois ne subiront « aucune restriction ». En outre, les salariés chinois d’autres médias ne sont pas concernés par cette mesure de restriction et les médias d’État chinois restent libres d’embaucher des personnes d’une autre nationalité.

Ce message de Washington appelant Pékin « à respecter la liberté d’expression », tout en expulsant des ressortissants chinois, relance immanquablement la mécanique de l’escalade. La Chine renchérit donc à son tour et annonce « se réserver le droit de prendre des mesures supplémentaires ». Le porte-parole de la diplomatie chinoise vitupère contre un département d’État américain agissant avec « une mentalité de guerre froide » ; « un parti pris idéologique » et « des arguments infondés pour opprimer politiquement des médias chinois basés aux États-Unis ». Il avait également préalablement répondu aux accusations du FCCC, dont il ne reconnaît pas l’autorité, que plus de 600 journalistes étrangers ont obtenu une accrédi­tation pour faire leur travail en Chine, précisant d’ailleurs que « tant qu’ils respectent les lois chinoises et travaillent en conformité avec la législation et les réglementations, ils n’ont pas à s’inquiéter ». Le FCCC, quant à lui, signale que, depuis le début de l’année 2020, deux correspondants ont reçu un visa d’une durée d’un mois seulement.

En 2019, 425 visas de journalistes ont été accordés à des ressortissants chinois pour travailler aux États-Unis. Les autorités américaines envisageaient, elles aussi, de limiter dorénavant la durée des visas octroyés aux salariés des médias de l’État chinois. Dénonçant les mesures de restriction concernant les visas, le Comité pour la protection des journalistes (CPJ), association américaine ayant notamment pour mission de dénoncer les atteintes contre la liberté de la presse dans le monde, interpelle la Chine et les États-Unis, en pleine crise sanitaire mondiale, pour « arrêter ce cycle dangereux de représailles qui menace le flux libre de l’information dans les deux pays ». Steven Butler, coordinateur du CPJ pour l’Asie, ajoute que « les États-Unis, en tant que démocratie avec une forte garantie constitutionnelle de liberté de la presse, doivent montrer l’exemple plutôt qu’adopter la stratégie autoritaire de Pékin ».

Selon le FCCC, au moins neuf reporters ont été contraints de quitter la Chine avant ou à l’expiration de leur carte de presse depuis 2013, soit après l’arrivée au pouvoir du président Xi Jinping. Le CPJ rappelle qu’à la fin 2019 la Chine détient au moins 48 de ses journalistes emprisonnés.

Sources :

  • « Coronavirus : à Pékin, petite quarantaine et grande propagande », Zhifan Liu, Libération, 19 février 2020.
  • « La Chine expulse trois journalistes du « Wall Street Journal » », Frédéric Lemaître, lemonde.fr, 19 février 2020.
  • « Washington réduit fortement le personnel des médias d’État chinois aux États-Unis », Le Figaro avec l’AFP, lefigaro.fr, 2 mars 2020.
  • « Le visa, « arme » de la Chine contre la presse », AFP, tv5monde.com, 2 mars 2020.
  • « Liberté de la presse : Washington s’en prend aux médias d’État chinois aux États-Unis », AFP, tv5monde.com, 2 mars 2020.
  • « La presse, motif d’une nouvelle tension entre Washington et Pékin », Claude Fouquet, lesechos.fr, 3 mars 2020.

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