Australie, États-Unis : agences de presse et journaux en péril

Aux États-Unis, la presse locale continue d’affronter des difficultés et bascule progressivement sous le contrôle de fonds dont l’objectif est d’abord la réduction des coûts, même au détriment de l’information. La presse en ligne licencie en réponse à la crise sanitaire. En Australie, c’est l’agence de presse qui disparaît.

La presse anglo-saxonne révèle, avant celle des pays où les aides permettent de faire survivre des entreprises fragiles, ce qui devra immanquablement se produire sans changement rapide de l’écosystème des médias d’information. Avant même la crise sanitaire qui a conduit à une chute brutale des dépenses publicitaires des annonceurs, la crise de la presse faisait de nouvelles victimes. Aux États-Unis, la presse locale continue sa descente aux enfers. Avec le rachat, en août 2019, de Gannet par GateHouse Media (voir La rem n°53, p.59), les fonds qui contrôlent GateHouse ont imposé un nouveau modèle. En réduisant les coûts, en taillant dans les effectifs des rédactions, en mutualisant la production d’information, il est possible de retrouver une efficacité économique sur le marché de la presse locale. Pour preuve, cette efficacité retrouvée a autorisé le numéro 3 à s’emparer du numéro 1 pour que la consolidation produise encore une baisse nouvelle des coûts. Le même traitement sera probablement appliqué au nouveau numéro 2 de la presse locale américaine, le groupe McClatchy, présent dans 14 États américains avec une diffusion quotidienne de 2 millions d’exemplaires. Ce dernier a dû se placer sous le régime des faillites en février 2020. Il paye de mauvais choix stratégiques, le groupe s’étant fortement endetté en 2006 pour racheter son concurrent, le groupe Knight Ridder, moyennant 4,5 milliards de dollars. Deux ans plus tard, la crise financière faisait s’effondrer les recettes publicitaires de la presse. Étranglé par sa dette, le groupe McClatchy n’a pas pu investir correctement dans la numérisation de ses titres. En choisissant de se placer sous le régime des faillites, il s’assure de pouvoir négocier sa dette de 700 millions de dollars et de passer, à son tour, sous le contrôle des fonds qui l’ont financé, notamment le fonds Chatham Asset Management. Ce dernier devrait appliquer au groupe les mêmes méthodes que celles, déjà éprouvées, appliquées par le fonds Fortress Investment Group à GateHouse Media.

À cet égard, la crise sanitaire risque d’être un accélé­rateur, demain, de la réduction des coûts et de la consolidation du secteur de la presse régionale américaine. Gannet a d’ores et déjà mis en place des mesures de chômage partiel entre avril et juin 2020 et impose une semaine par mois de congés non payés à ses salariés. Certains titres ont fait le choix de réduire le nombre de leurs éditions imprimées. D’autres seront contraints de licencier des journalistes alors même que près de la moitié des effectifs de journalistes américains de presse locale a déjà été supprimée depuis le début des années 2000. La presse magazine est également touchée : le 14 mai 2020, Condé Nast annonçait supprimer 100 postes sur les 2 700 que compte le groupe aux États-Unis. Les difficultés s’étendent aussi aux pure players qui, malgré des audiences en hausse, sont confrontés à la disparition des annonceurs. BuzzFeed a ainsi annoncé la mise en vente de ses éditions allemande et brésilienne qui seront fermées si elles ne trouvent pas preneur, le titre recourant au chômage partiel depuis le 13 mai 2020 en Australie et au Royaume-Uni. Cette décision pourrait annoncer la fermeture de ces deux autres agences étrangères, dans l’aire anglo-saxonne cette fois-ci. Le 14 mai 2020, Quartz annonçait de son côté licencier 40 % de ses salariés (80 personnes) et le lendemain Vice Media licenciait 55 personnes aux États-Unis et 100 personnes dans ses bureaux à l’international, soit 5 % du total de son effectif salarié.

Face à cette hécatombe, certains journaux optent pour un modèle non lucratif afin de moins dépendre des recettes publicitaires. Dans la presse locale, c’est le choix fait par le Salt Lake Tribune qui s’est transformé, en novembre 2019, en association à but non lucratif et compte désormais sur des donations pour se financer, les fondations étant actives aux États-Unis et permettent d’espérer des ressources plus pérennes. Il rejoint ainsi les « historiques » des médias, l’agence Associated Press, la radio NPR ou encore le Christian Science Monitor. Reste à savoir si le recours aux dons ne finira pas, lui aussi, par rencontrer ses limites à mesure que le nombre de journaux à but non lucratif augmentera.

De l’autre côté du Pacifique, la même logique de réduc­tion des coûts a conduit à la disparition de l’agence de presse australienne, après la fermeture de son homologue néo-zélandaise en 2011. L’Australian Associated Press (AAP) a été sacrifiée par les médias de l’île-continent qui, par leurs abonnements, contribuaient depuis toujours à son financement. Parce qu’elles ne proposent pas une information approfondie mais offrent beaucoup d’images de terrain, de nombreuses chaînes de télévision ont renoncé à leur abonnement pour faire des économies, considérant qu’il est possible de trouver l’information facilement et gratuitement sur les moteurs de recherche et les réseaux sociaux. Restait alors la presse qui codétient l’AAP, les deux principaux actionnaires de l’agence étant les groupes de presse Nine Network et News Corp., avec respectivement 44,7 % du capital chacun. Fragilisé, Nine Network a procédé à une revue stratégique de ses coûts et décidé de supprimer son abonnement à l’AAP, soit 9 millions d’euros par an. Avec cette décision, l’AAP redevenait assurément déficitaire, ce qui a conduit News Corp. à acter la fermeture de l’agence de presse, faute de pouvoir assumer les conséquences du retrait de son partenaire.

Pourtant, l’AAP était rentable. Elle avait déjà procédé à un plan de réduction de ses coûts, avec la suppression de 10 % de ses effectifs en 2018, ce qui lui avait permis de dégager de nouveau un bénéfice en 2019. Le départ de Nine Network aura été mortel bien que l’AAP ait de nouveaux clients, l’agence faisant partie des groupes qui produisent du fact checking (vérification des faits) pour Facebook. Sa fermeture est annoncée pour le 26 juin 2020, plus de 80 ans après sa fondation, en 1935, par le père de Rupert Murdoch. 180 journalistes et 200 photographes seront licenciés, certains devant être repris dans les rédactions des groupes des deux principaux actionnaires.

Au-delà de ces conséquences sociales, la fermeture de l’AAP est l’indication d’une plus faible vitalité démocratique en Australie, où un sauvetage n’a pas pu être mis en place. Or les agences de presse, en mutualisant les coûts pour aller collecter les faits sur le plus grand nombre possible de terrains, contribuent à alimenter les rédactions, notamment locales, qui seront désormais contraintes de s’en remettre aux moteurs de recherche. Mais ces derniers ne font que référencer l’information publiée. Sans dépêches, donc, pas de nouvelles d’ailleurs, ou en tout cas beaucoup moins et avec l’obligation de se constituer une revue de presse qui pourra être partisane, incomplète et tronquée. C’est ce qu’a rappelé amèrement le directeur de l’AAP, cité par Le Figaro : « Ce qui est terrible dans le sort de l’AAP est que nous sommes un organe d’information neutre. Nous ne faisons que couvrir et relayer les faits. » Cette neutralité n’est pas celle des politiques et des médias d’opinion, ainsi l’ex-Premier ministre travailliste australien s’est-il désolé de la disparition de l’AAP tout en reprochant à News Corp de contribuer à propager des « faits alternatifs » avec ses médias.

De son côté, l’actuel gouvernement libéral s’attache à sauver l’information en trouvant les moyens de financer les entreprises qui la produisent. Après la sortie d’un rapport sans concession de l’autorité australienne de la concurrence en décembre 2018, qui dénonçait les tendances déflationnistes favorisées par les plateformes sur le marché publicitaire en ligne (voir La rem n°50-51), le gouvernement a demandé à Google et à Facebook de trouver avec la presse un modus vivendi sur le partage de leurs revenus publicitaires quand ils référencent ou affichent des articles de presse. En effet, les deux plateformes captent l’essentiel de la ressource publicitaire en ligne en Australie, 47 % pour Google et 24 % pour Facebook, alors que les journaux sont exsangues malgré leurs bonnes audiences sur internet. Un accord n’a pas pu être trouvé. Le 20 avril 2020, le gouvernement australien a donc annoncé qu’il rendrait obligatoire la rémunération des éditeurs pour la diffusion d’articles par les plateformes. Ces dernières ont toutefois jusqu’en juillet 2020 pour trouver un accord avec la presse sur un code de bonne conduite, lequel pourrait permettre au gouvernement australien de revenir sur ses projets.

Sources :

  • « Un nouveau groupe de presse américain en faillite », Nicolas Rauline, Les Echos, 14 février 2020.
  • « L’agence de presse australienne AAP met la clé sous la porte », Chloé Woitier, Le Figaro, 4 mars 2020.
  • « L’Australian Associated Press va disparaître après 85 ans », Grégory Plesse, Les Echos, 4 mars 2020.
  • « La pandémie menace les journaux américains », Nicolas Rauline, Les Echos, 10 avril 2020.
  • « La presse américaine souffre de la pandémie », Chloé Woitier, Le Figaro, 16 avril 2020.
  • « En Australie, Google et Facebook devront payer pour diffuser des articles », Grégory Plesse, Les Echos, 21 avril 2020.
  • « Les médias américains font le pari de la philanthropie », Anaïs Moutot, Les Echos, 5 mai 2020.
  • « Vague de licenciements dans la presse anglo-saxonne », Nicolas Madelaine, Les Echos, 18 mai 2020. 
  • « Les pure players américains contraints de licencier », Chloé Woitier, Le Figaro, 19 mai 2020.

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