L’Autorité de la concurrence inflige une amende géante à Apple

Pour avoir porté atteinte à la concurrence en imposant des conditions commerciales à ses distributeurs premium et pour s’être entendu avec ses grossistes en France, Apple écope d’une amende record liée à sa « dimension extraordinaire ». Le groupe est aussi sanc­tionné pour pratiques commerciales trompeuses.

1,1 milliard d’euros : c’est l’amende que l’Autorité de la concurrence a infligée en France à Apple pour avoir favorisé ses propres magasins et certains grossistes dans la vente de ses produits, hors iPhone. Prononcée le 16 mars 2020, l’amende est très importante quand on la compare au record précédent, l’amende de 350 millions d’euros infligée en 2015 à Orange pour avoir profité d’informations privilégiées liées au contrôle de la boucle locale. Cette importance est à la hauteur de l’enjeu.

En effet, Apple a commencé à déployer ses propres boutiques en 2001, au moment où elle a diversifié sa gamme, sortant du seul marché des ordinateurs pour commercialiser aussi des iPod. Avec ses boutiques, Apple a cherché à se distinguer des constructeurs concurrents en conférant à ses produits une image de marque distinctive, ce qui contribue à justifier leur prix élevé. Le groupe ne pouvait donc pas envisager que ses produits bénéficient dans d’autres réseaux de distribution de remises et autres « bons plans », à l’instar des produits concurrents qui sont des produits électroniques de grande consommation. C’est là le deuxième enjeu. Les produits Apple sont bien des produits de masse et le groupe ne pouvait pas miser sur une distribution exclusive dans les seuls Apple Store, à l’instar des marques de luxe. 

Il a donc fallu reproduire au mieux l’univers Apple en dehors du réseau intégré, mais toujours privilégier l’expérience procurée par les Apple Store. Pour ce faire, Apple a commis deux fautes selon l’Autorité de la concurrence. Il s’est d’abord entendu avec ses deux grossistes, Tech Data et Ingram Micro, également sanctionnés, pour qu’ils ne se concurrencent pas, procédant ainsi de facto à un partage du marché interdisant en aval aux distributeurs d’espérer des rabais et de pratiquer des opérations commerciales. Enfin, les distributeurs dits premium des produits Apple, ceux donc qui s’engagent, par leur accueil et leur service après-vente, à reproduire autant que faire se peut la qualité de service proposée dans les Apple Store, se sont vus pénalisés par les pratiques d’Apple qui a tardé à leur livrer ses produits les plus récents. Le groupe a favorisé ses Apple Store, provoquant ainsi des ruptures d’approvisionnement chez ses distributeurs non intégrés. Apple leur a également imposé des prix de vente ne leur permettant pas de se distinguer des prix pratiqués en Apple Store. Cette stratégie a permis de rabattre vers les Apple Store des clients auparavant fidélisés par les distributeurs premium. Parce que ces derniers ne pouvaient pas se passer d’Apple, le groupe américain est ainsi accusé d’avoir « exploité abusivement la dépendance économique de ces distributeurs premium à son égard ».

C’est d’ailleurs une plainte de l’un de ces vendeurs premium, la société eBizcuss qui, en 2002, a lancé l’enquête de l’Autorité de la concurrence. Celle-ci rappelle les règles du droit de la concurrence pour justifier l’importance de l’amende infligée : « Si un fabricant est libre d’organiser son système de distribution comme il l’entend, […] il est en particulier interdit, pour un fabricant tête de réseau, de porter atteinte à la concurrence que doivent se livrer ses grossistes en leur pré-attribuant des clients, de s’entendre avec ses distributeurs sur les prix de détail pratiqués à l’égard des consommateurs finals ou encore d’abuser de la situation de dépendance économique dans laquelle se trouvent ses partenaires commerciaux, notamment en les désavantageant par rapport à son propre réseau de distribution interne ». Elle justifie également le montant très élevé de l’amende par la « dimension extraordinaire » de l’acteur économique concerné. Il ne faudrait pas en effet que les pénalités infligées soient considérées comme insignifiantes pour des groupes aux poches très profondes, les incitant ainsi à reconduire des pratiques illégales.

L’amende importante infligée par l’Autorité de la concurrence contraste avec celle infligée le 7 février 2020 par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Cette dernière était chargée d’une enquête à la suite d’une plainte de l’association HOP (Halte à l’obsolescence programmée), laquelle s’appuyait sur la reconnaissance par Apple, le 21 décembre 2017, de pratiques visant à brider volontairement les performances des anciens iPhone pour en prolonger la durée de vie à l’occasion des mises à jour de l’OS. La DGCCRF ne retient pas l’obsolescence programmée, le ralentissement des performances étant un moyen aussi de prolonger la durée de vie des téléphones. Elle retient seulement des « pratiques commerciales trompeuses », Apple n’ayant pas informé les détenteurs d’iPhone des conséquences des mises à jour de leur OS. C’est sur ce constat que la DGCCRF et Apple se sont accordés dans le cadre d’une transaction pénale qui sanctionne Apple à hauteur de 25 millions d’euros.

Sources :

  • « Apple sanctionné en France pour avoir bridé ses vieux iPhone sans le dire », Le Figaro avec l’AFP, 7 février 2020.
  • « Apple, Tech Data et Ingram Micro sanctionnés », Communiqué de presse, Autorité de la concurrence, autoritedelaconcurrence.fr, 16 mars 2020.
  • « Apple condamné à une amende record de 1,1 milliard par l’Autorité de la concurrence », Sébastien Dumoulin, Raphaël Balenieri, lesechos.fr, 16 mars 2020.
  • « Apple écope d’une amende de 1,1 milliard d’euros », Elsa Bembaron, Le Figaro, 17 mars 2020. 

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