No code

Nouvelle tendance dans le secteur de l’informatique liée à l’apparition de plateformes de développement sans code, en anglais « No code development platform » (NCDPs). Ces structures offrent la possibilité à des personnes sans aucune compétence technique de créer toutes sortes d’applications web par le biais d’interfaces graphiques et de panneaux de configurations, sans passer par une programmation informatique traditionnelle. Indissociables des plateformes de développement à faible code, en anglais « low code platform » (LCDPs), ces nouvelles prestations répondent à la volonté d’accélérer significativement, et surtout de rendre accessible à un plus large public, la création d’applications numériques. Il peut s’agir de sites web (Wix, Weebly), d’applications mobiles (Thunkable, Glide), d’applications web (Bubble, Infinable), d’applications de gestion de données, (Airtable, Caspio), d’automatisation de flux (Zapier, Parabola), de création de formulaires (Typeform, Tally), et même d’intelligence artificielle (Ludwig, Lobe) ou encore de blockchain (Sparkster, OST).

Bref rappel

Quand la guerre civile a débuté en 2014 au Yémen, puis s’est internationalisée en 2015, notamment par l’intervention de l’Arabie saoudite, la demande en électricité solaire a fortement augmenté. Le réseau électrique auparavant fourni par le gouvernement a été totalement inter­rompu et les systèmes d’énergie solaire sont devenus la principale source d’alimentation électrique pour la plupart des foyers et des entreprises yéménites. Anwar Al-Haddad, ingénieur de formation, ayant une expérience dans le domaine de l’énergie solaire mais ne disposant d’aucune compétence informatique, explique dans des propos rapportés par FastCompany.com, avoir été sollicité par ses amis pour installer et utiliser des panneaux photovoltaïques. Après s’être rendu compte qu’aucune application mobile n’existait, qui plus est en arabe, Anwar Al-Haddad en a créé une, en utilisant la plateforme de développement sans code Thunkable. L’application mobile Shams (énergie solaire) aide les utilisateurs à calculer la taille du panneau solaire dont ils ont besoin et permet, en plaçant leur téléphone directement sur le panneau, de calculer son inclinaison optimale grâce au gyroscope de l’appareil, pour obtenir le plus de lumière possible. L’application disponible sur Google Play Store, téléchargée plus de 100 000 fois, recèle également articles et conseils sur l’installation, l’entretien et l’utilisation de panneaux solaires. Malgré sa bonne volonté, Anwar Al-Haddad aurait été incapable de développer une application mobile sans passer par une plateforme de développement sans code.

Le contexte

Le phénomène « no code » s’inscrit dans cette lente évolution de l’informatique qui consiste à inverser la tendance : ce n’est pas aux hommes de s’adapter à l’informatique mais à l’informatique de s’adapter à leurs besoins. Si cette évolution a en premier lieu concerné les utilisateurs de services numériques, les plateformes « no code / low code » l’étendent désormais aux concepteurs même de ces applications. Avant les années 2000, le seul moyen de créer un site ou une application web était d’écrire des lignes de code informatique dans un langage de programmation exécuté par l’ordinateur. Puis sont apparus plusieurs outils accessibles en ligne permettant à des néophytes de la programmation de créer des sites web simples sans compétences techniques poussées. Drupal en 2001, WordPress en 2003, Joomla en 2005 sont des systèmes de gestion de contenu (en anglais Content Management System (CMS), pour créer des sites web à l’aide d’une interface graphique sans avoir à « coder ». C’est l’avènement du « WYSIWYG », (acronyme anglais de « what you see is what you get » – ce que vous voyez est ce que vous obtenez), l’utilisateur, en s’appuyant sur une interface intuitive, peut manipuler et voir à l’écran le document tel qu’il sera publié.

Autour de 2010 les technologies low code / no code ont fait l’objet d’une offre commerciale, tant par les grands éditeurs informatiques comme Salesforce, OutSystems, K2, Mendix et plus tard Google que par des start-up spécifiquement positionnées sur ce marché. C’est également à cette époque que ces plateformes d’un nouveau genre ont fait l’objet d’une analyse ciblée de la part des grands cabinets d’études. Selon plusieurs analyses de Research and Markets, le marché qui pesait 4 milliards de dollars en 2017, est estimé à 45 milliards de dollars en 2025. Pour le cabinet d’études Forrester, les plateformes de low code ont engendré 3,8 milliards de dollars en 2016 et elles atteindront 15 milliards de dollars en 2020. Ainsi le concept du low code / no code n’est pas nouveau, mais son évaluation date des années 2010. Pour Pitchfork, cité par Les Echos« le montant investi aux États-Unis dans ce secteur a plus que quadruplé en cinq ans, passant de 114 millions de dollars en 2014 à 529 millions en 2019 ».

Low code vs No code

Alors que le périmètre du secteur low code / no code est encore flou, certains spécialistes débattent de son existence même. « Il serait illusoire de laisser entendre que l’on peut créer une application sans écrire une ligne de code, en déplaçant simplement des icônes par glisser-déposer », explique Laurent Chailley, directeur commercial d’Appian France, l’un des leaders mondiaux des plateformes de développement low code dont le siège est aux États-Unis.

Les plateformes low code visent en particulier le « citizen developer », défini par le cabinet Gartner comme « un utilisateur qui crée de nouvelles applications commerciales destinées à être adoptées par d’autres en utilisant des environnements de développement et d’exécution approuvés par la direction informatique de l’entreprise ». Une manière également de lutter contre le « Shadow IT » qui désigne l’utilisation par des salariés de logiciels ou d’applications au sein d’une entreprise sans avoir reçu l’aval de leur direction informatique et qui, selon une étude publiée en 2020 par le cabinet Gartner, serait à l’origine de 33 % des cyberattaques réussies. Nécessitant un développement informatique sommaire, les plateformes low code pourraient offrir l’opportunité aux salariés de développer des applications utiles à leur métier tout en étant chapeautés par la direction informatique de l’entreprise et sans risquer d’ouvrir une porte aux pirates.

Quant aux plateformes no code, elles sont plus spécifiquement destinées aux néophytes de la programmation informatique, avec en contrepartie des fonctionnalités moins souples que celles permises par une plateforme low code. Les plateformes no code fonctionnent selon une approche purement déclarative, encadrée par des modèles, où l’utilisateur conçoit une application par un glisser-déposer ou par une simple logique. Les plateformes low code autorisent un développement informatique pour paramétrer plus finement l’architecture de l’application développée. Bubble, Zapier ou Airtable sont quelques-unes des start-up leaders dans le domaine.

Bubble, Zapier et Airtable

Bubble Group, fondé à New York en 2012 par Josh Haas et Emmanuel Straschnov, est une plateforme de création d’une application web pour ordinateur ou smartphone, sans écrire la moindre ligne de code informatique. Si l’utilisation du logiciel en ligne est gratuite, l’hébergement cloud de l’application est payante, sous la forme d’une redevance mensuelle. La start-up revendique 270 000 utilisateurs ainsi que 230 000 applications créées, et réalise un revenu annuel de l’ordre de 2 millions de dollars. Après six années à développer et autofinancer ce langage de programmation visuelle, l’entreprise a levé 6,5 millions de dollars en 2019 pour accélérer sa croissance. Le type d’application web que l’on peut développer avec la plateforme Bubble est extrêmement varié. « Il serait tout à fait possible de bâtir Airbnb ou Twitter à partir de Bubble », explique Emmanuel Straschnov. Plato, start-up installée à San Francisco qui met en relation des ingénieurs et des développeurs avec des mentors travaillant pour Amazon, Facebook ou encore Lyft, s’est appuyée sur Bubble pour lancer son service ; tout comme la plateforme de gestion d’emprunts Dividend Finance, l’un des principaux fournisseurs américains de solutions de financement des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique pour les propriétaires ou encore Followup Edge, plateforme de génération et d’automatisation de contacts commerciaux.

Zapier est un service web dont l’objet est d’automatiser les petites tâches quotidiennes et répétitives des utilisateurs en connectant différents outils dans un catalogue de 1 500 applications, parmi lesquelles Facebook, Twitter, Gmail, WordPress, Google Drive, YouTube, Google Agenda, Linkedin ou encore Mailchimp. Ainsi, lorsqu’un salarié reçoit un mail avec une pièce jointe sur Gmail, le document est automatiquement enregistré sur le Google Drive de l’entreprise ; lorsqu’un nouvel article est publié sur le site web de l’entreprise, un tweet ainsi qu’un post Facebook sont automatiquement relayés sur ces réseaux sociaux ; lorsqu’une personne s’inscrit à un webinaire, un mail de bienvenue lui est envoyé, puis un rappel automatique la veille de l’événement. Zapier relie deux ou plusieurs services en interagissant comme intermédiaire. Souvent décrit comme un traducteur entre des APIs web, il fournit des flux de travail (workflow) pour automatiser l’utilisation conjointe d’applications web. La pratique de Zapier est intuitive et ne nécessite aucun développement informatique. À travers une interface simple, l’utilisateur crée un « Zap » en choisissant deux éléments : un déclencheur, comme la réception d’un mail, la publication d’un article ou une mention de l’entreprise sur les réseaux sociaux, et une ou plusieurs actions à réaliser, comme l’envoi d’un SMS, une publication sur les réseaux sociaux, la récupération d’une pièce jointe, l’enregistrement d’un mail dans une feuille Excel en ligne etc. Créé en octobre 2011 dans le Missouri, aux États-Unis, et dorénavant installé dans la baie de San Francisco, Zapier facture l’utilisateur au nombre de tâches effectuées dans le mois, une tâche étant comptée à chaque fois qu’un Zap déclenche une action. La gamme de prix varie de la gratuité pour cinq Zap et 100 tâches à 3 600 dollars pour un nombre illimité de Zap et deux millions de tâches effectuées par mois. L’entreprise a levé 1,4 million de dollars en octobre 2012 puis 1,3 million supplémentaire en novembre 2014. L’entreprise revendiquait 60 000 clients payants en 2017 et 100 000 en 2019, pour un revenu annuel de 50 millions de dollars.

Airtable se positionne également sur le marché du low code / no code et se dit allier « la puissance d’une base de données avec la familiarité d’un tableur ». Créée en 2013, l’entreprise a déjà levé 355,6 millions de dollars dont 185 millions en septembre 2020. Comptant 200 000 clients dans le monde, elle est valorisée 2,5 milliards de dollars pour un revenu estimé à 33,5 millions pour l’année 2020. Airtable est une solution hybride entre un tableur Excel, un gestionnaire de projet, une base de données et un éditeur de formulaires en ligne. Accessible de manière collaborative aux salariés d’une entreprise cliente de la solution, Airtable est né « de la frustration des limites imposées par Google Sheets et Microsoft Excel, des applications prenant en charge avant tout des données à base de chiffres », explique Howie Liu, l’un des cofondateurs de l’entreprise. Visuellement, Airtable ressemble à un tableur Excel en ligne, servant à enregistrer toutes sortes de données, chiffres, dates, numéros de téléphone, photos, codes-barres, formulaires, ce qui, potentiellement, offre une grande adaptabilité d’usages. Airtable peut notamment être utilisé pour concevoir une base de données de contacts, un planning éditorial et un calendrier partagé ou encore un catalogue de produits.

Plusieurs géants du web comme Tesla, Airbnb ou encore Netflix utilisent Airtable tous les jours. Le magazine américain Time produit quelque mille vidéos par mois, de longs documentaires comme des formats courts de moins d’une minute. L’équipe chargée de cette production audiovisuelle doit gérer le planning et l’exécution du calendrier de production, la budgétisation, la facturation, la gestion de la logistique de production, le suivi des stocks, la gestion des indépendants et l’organisation des festivals de films et des remises de prix, tout un système de production complexe. Jonathan Woods, le producteur exécutif de l’entreprise explique que les vidéos étant produites pour TimeMoneyFortune et Coinage, il lui a fallu donner plusieurs fois les mêmes informations dans différents tableaux Excel, une perte de temps. De plus, le processus de paiement des factures des indépendants, particulièrement opaque, pouvait nécessiter jusqu’à trois mois de traitement. Tout a été automatisé avec Airtable sans que cela nécessite de développement informatique important : le calendrier des opérations, le planning de production, le suivi des commandes, le paiement des factures ont été conçus par Jonathan Woods et son équipe afin de gagner un temps considérable en supprimant toutes les tâches redondantes, administratives et peu productives.

Perspectives et limites

Les plateformes de développement no code / low code rencontrent un certain succès parce qu’elles remédient aux principaux écueils des développements web, notamment la complexité, les coûts, les délais, auxquels s’ajoute la pénurie de main-d’œuvre dans ce secteur. Leur réussite s’explique également par la maturité des offres d’hébergement dans le cloud, notamment des « plateformes en tant que service » (Platform as a Service – PaaS), une des formes de cloud computing principalement destinée aux développeurs ou aux entreprises de développement. De plus, les plateformes no code / low code n’auraient pas autant de succès sans l’ouverture de nombreuses applications web à des environnements tiers, facilitée par les interfaces de programmation d’application (Application Programming Interface – API) qu’elles mettent à la disposition de tous. Les plateformes de développement low code / no code s’inscrivent également dans la tendance à la « gestion des processus métiers », (Business Process Management – BPM) et à la gestion des flux de documents, dont la méthode s’appuie sur une vue d’ensemble des différents processus de chacun des métiers d’une entreprise, afin de repérer leurs interactions pour les optimiser et les automatiser autant que possible. Ces plateformes ont surtout le mérite de s’adresser à la fois aux développeurs informatiques et aux néophytes de la programmation.

Selon Alain Faure et Laurent Sollier du cabinet d’architectes IT Octo Technology, « la pression induite par la digitalisation des activités pousse les entreprises à gommer la division qui a longtemps été faite entre les services informatiques et les services métiers ». Cependant, même si le marché et la demande croissent fortement, bon nombre d’entreprises resteront confrontées à des problématiques qui ne trouveront pas de réponses standardisées et qui nécessiteront un développement informatique à proprement parler. « Il y a 20 ans, les systèmes d’entreprise étaient mis en œuvre par des centaines de consultants et d’experts pour un coût de plusieurs millions de dollars explique Simon Chan, fondateur et PDG de DigiVue Consulting. Aujourd’hui, grâce au no code / low code, les mêmes systèmes peuvent être mis en œuvre par des acteurs plus petits, pour une fraction du prix et en un temps fortement réduit » : soit la fin du monopole absolu des développeurs informatiques dans la conception d’application web au sein d’une société de plus en plus tournée vers le numérique.

Sources :

  • « How TIME works smarter, not harder », try.airtable.com.
  • « How A Man With No Coding Experience Built An App That’s Bringing Solar Power To Yemen », Adele Peters, fastcompany.com, May 8, 2017.
  • « The Low-Code/No-Code Movement : More Disruptive Than You Realize », Jason Bloomberg, forbes.com, July 20, 2017.
  • « $27.2 Billion Global Low-Code Development Platform Market 2017-2022 by Component, Deployment Mode, Organization Size, and Vertical », ResearchAndMarkets.com, businesswire.com, January 16, 2018.
  • « No code, low code : témoignage et retour terrain », François Tonic, zdnet.fr, 2 mai 2018.
  • « Airtable, l’app qui veut détrôner Excel et Google Sheets », Xavier Biseul, journaldunet.com, 10 juillet 2018.
  • « No code, low code : mythes et réalités », François Tonic, zdnet.fr, 27 septembre 2018.
  • « Bubble lève 6,25 M$ pour diffuser largement sa plateforme no code », Maryse Gros, lemondeinformatique.fr, 20 juin 2019.
  • « Ressources no-code – Manifeste », Erwan Kezzar, Alexis Kovalenko, ressources.contournement.io, 26 juillet 2019.
  • « Le low-code, comment ça marche ? », Alain Faure, Laurent Sollier, blog.octo.com, 5 septembre 2019.
  • « Gartner : What to consider before adopting low-code development », Paul Vincent, Gartner, November 25, 2019.
  • « Low-Code Development Platform Market by Component (Platform and Services) », researchandmarkets.com, April 2020.
  • « Crunchbase – Discover innovative companies and the people behind them », Airtable ; Zapier ; Bubble, crunchbase.com, consulted on September 29, 2020.

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