Restructurations, plans sociaux : Covid ou pas, les médias français se délestent de leurs salariés

NextRadioTV, Grazia : à la télé ou dans la presse, des fermetures de médias et une réorganisation qui vide les rédactions. À L’Équipe, ce sont les salaires qui doivent baisser et le temps de travail augmenter. Mais le confinement n’explique pas tout : NextRadioTV paye l’échec de la convergence avec SFR, Grazia s’aligne sur la stratégie de valorisation des marques de son propriétaire et les congés à L’Équipe sont des reliques d’un passé doré.

En annonçant, dès le 20 mai 2020, soit une semaine après le début du déconfinement, un plan de transformation aux allures de plan social, Altice France a pris acte de l’échec de la stratégie de convergence lancée par Patrick Drahi entre ses activités télécoms et médias (voir La rem n°36, p.28). Certes, officiellement, la convergence reste bien un objectif et c’est d’ailleurs Alain Weill, fondateur de NextRadioTV, racheté en 2016 par Altice, qui est aujourd’hui le président de SFR et d’Altice France. En revanche, il n’est plus à la tête d’Altice Média France où Patrick Dreyfuss a pris le relais. Et Altice Média France ressemble de moins en moins à un groupe de médias : l’ensemble s’est débarrassé de ses titres de presse, L’Express (voir La rem n°52, p.39) et Libération (voir La rem n°54, p.48), et ce sont désormais les activités dans la télévision payante qui sont visées.

Le groupe invoque des conditions de marché nouvelles qui l’amènent à ne plus envisager de concourir pour les droits sportifs alors qu’Altice avait été, à la fin des années 2010, l’un de ses principaux animateurs (voir La rem n°40, p.40). Dans les faits, le groupe ne détient plus que les droits de diffusion de la Champions League pour un an. Les chaînes sportives ont donc vocation à disparaître : le 18 mai 2020, L’Équipe annonçait que la chaîne RMC Sport News allait définitivement cesser ses programmes le 2 juin 2020, la chaîne étant à l’arrêt depuis le début de la crise sanitaire ; deux jours plus tard, Alain Weill annonçait la fin des retransmissions d’athlétisme et de tennis ; enfin, le 17 juin 2020, les syndicats du groupe révélaient l’ampleur du plan de transformation dans les activités médias d’Altice qui concerne un tiers des effectifs, de quoi vider les chaînes sportives de leurs salariés. Sur les 1 500 employés du groupe, dont 1 300 CDI, entre 330 et 380 CDI doivent être supprimés. S’ajoute également la diminution par deux du recours aux intermittents et aux pigistes, soit environ l’équivalent de 200 emplois. Finalement, un accord a été trouvé avec les représentants des salariés en septembre 2020, qui limite à 245 CDI la suppression d’effectifs, sur la base de départs volontaires, et une réduction des piges ramenée à 33 %.

Parmi les médias du groupe, les médias d’information (BFM TV, RMC) sont les plus épargnés, à l’exception de BFM Paris qui doit réduire ses coûts pour s’aligner sur le modèle des autres chaînes locales du groupe, à Lille et à Lyon. Autant dire qu’Altice Media va se limiter au périmètre de NextRadioTV, le dernier rachat d’Altice dans les médias, en se recentrant sur l’information audiovisuelle avec RMC et BFM TV, quand tout le reste est soit cédé, soit fermé. Et comme personne ne s’abonne à un opérateur pour écouter RMC ou regarder BFM, il va de soi que la convergence est désormais une vieille histoire. N’en reste au mieux que la capacité du groupe à cibler géographiquement ses publicités grâce à la transmission IP des flux TV, notamment pour ses chaînes locales. Mais il s’agit d’abord d’activités de régie.

La réorganisation d’Altice Media s’explique d’abord par l’échec de la stratégie de convergence, notamment dans les chaînes sportives, et beaucoup moins par l’effondrement des marchés publicitaires lié à la crise sanitaire : en conservant BFM et RMC, Altice conserve ses seules activités financées par la publicité mais le groupe ferme en revanche ses chaînes payantes. Dans d’autres médias, la crise sanitaire a plus directement joué le rôle de catalyseur. Ce fut le cas par exemple chez Reworld Media où le magazine Grazia, racheté en août 2019 (voir La rem n°49, p.44), a vu ses ventes papier chuter durant le confinement quand son audience en ligne a multiplié les records. Reworld a donc décidé dès juin 2020 d’en tirer toutes les conséquences en arrêtant l’hebdomadaire papier pour le basculer en ligne afin de constituer un « écosystème de marque », Reworld ayant pour stratégie de valoriser les marques de presse avec des acticités événementielles et du brand content (voir La rem n°49, p.44). Dès lors, un plan social a été mis en place qui vide la rédaction de Grazia de la totalité de ses effectifs (16 journalistes). À l’avenir, seules des publications papier événementielles de Grazia sont envisagées qui auront d’abord pour objectif d’entretenir la visibilité de la marque, notamment dans les kiosques. La rédaction sera confiée à des prestataires extérieurs.

Les mêmes maux ne produisent pas toujours les mêmes remèdes mais entraînent à chaque fois des réorganisations douloureuses. C’est en partie le cas à L’Équipe où, pour l’instant, le plan de transformation annoncé a été bloqué par les syndicats. Le 8 juin 2020, deux semaines après le déconfinement, la direction du groupe présentait aux représentants des salariés un projet d’accord de performance pour L’ÉquipeFrance Football et Vélo. Si les effectifs ne sont pas concernés, le groupe ayant besoin de ses journalistes pour couvrir les nombreux événements sportifs à venir parce que reportés pour cause de crise sanitaire (les années paires sont celles des grands événements sportifs internationaux), en revanche ce sont les statuts des personnels qui sont remis en cause. Parce que les journaux sportifs ont été fortement pénalisés par l’annulation des compétitions, ils ont été plus touchés que d’autres.

À la chute de la publicité s’ajoute une baisse significative des ventes. L’Équipe doit donc faire des économies et a espéré revenir sur les conditions très favorables dont bénéficient ses journalistes, à savoir environ 14 semaines à ne pas travailler chaque année entre les congés et les RTT. L’objectif du groupe était de ramener de 18 à 6 le nombre de RTT tout en imposant une baisse temporaire des salaires de 10 %, une pratique courante aux États-Unis mais nouvelle en France. Les représentants des salariés, qui ont dû déjà accepter la fusion des rédactions web et papier en 2018, assortie d’un plan de réduction d’effectifs, ont pour l’instant refusé tout accord. Mais la question de l’augmentation du temps de travail sans hausse des salaires, en contrepartie d’une garantie sur l’emploi, reste posée par la direction. Un titre comme L’Équipe se retrouve en effet dans cette situation paradoxale où les statuts de ses cadres, très favorables, ont été gravés dans le marbre durant la période faste du quotidien, avant les années 2000. Or cette période précède de peu celle de la disruption numérique pour la presse. Le quotidien est donc aujourd’hui contraint d’adopter un modèle économique où les coûts fixes sont beaucoup mieux maîtrisés.

Sources :

  • « Nous devons réduire les effectifs de NextRadioTV », interview d’Alain Weill, PDG d’Altice France, par Caroline Sallé, Le Figaro, 20 mai 2020.
  • « L’Équipe se prépare à se serrer la ceinture », Nicolas Madelaine, Les Echos, 3 juin 2020.
  • « L’Équipe présente un traitement de choc », Enguérand Renault, Le Figaro, 9 juin 2020.
  • « Grazia arrête son magazine hebdomadaire », Alexandre Debouté, Le Figaro, 19 juin 2020.
  • « BFM et RMC coupent un tiers des effectifs », Caroline Sallé, Le Figaro, 19 juin 2020.
  • « NextRAdioTV veut supprimer jusqu’à 30 % de ses CDI », Nicolas Madelaine, Les Echos, 19 juin 2020.
  • « Les salariés de NextRadioTV restent mobilisés », Alexandre Debouté, Le Figaro, 26 juin 2020.
  • « L’Équipe en quête d’économies », A.D., Le Figaro, 3 août 2020.
  • « Moins de départs que prévus chez BFM et RMC », Les Echos, 17 septembre 2020. 

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