Podcasting et radios en ligne : les grandes manœuvres

Lancement de RadioPlayer France, chrono­logie des médias pour l’audio, offres de podcasting par les services de streaming musical : l’écoute en ligne de programmes audio progresse et oblige les radios à accélérer le développement numérique.

En septembre 2019, les radios françaises faisaient état, en ordre dispersé, de discussions pour mettre en place un « Salto de la radio », à savoir une offre commune de diffusion de leurs antennes sur internet. En créant leur propre agrégateur de flux, les radios souhaitaient s’imposer face aux intermédiaires que sont les agrégateurs indépendants, comme TuneIn, Sybel ou encore Majelan, et tous les services d’intermédiation entre les auditeurs et leurs programmes, que ce soient Spotify, Apple Music ou les enceintes connectées d’Amazon ou de Google. Il ne s’agissait pas, avec ce projet, de s’émanciper de ces intermédiaires mais bien d’établir avec eux une relation permettant aux radios d’imposer leurs conditions, aussi bien en termes de rémunération, d’éditorialisation des contenus ou de récupération des données d’écoute, autant de conditions qui autorisent ensuite une personnalisation de l’offre en cas de recommandation et une personnalisation également de l’affichage des spots publicitaires.

L’initiative a été annoncée alors que les chiffres de la radio commençaient déjà à inquiéter, avant que la crise sanitaire et le développement du télétravail ne viennent en 2020 affaiblir encore ce média. Ainsi les radios musicales sont-elles les premières touchées par la désaffection des jeunes qui préfèrent YouTube ou Spotify pour l’écoute de la musique, un phénomène marqué le soir sur les radios ciblant les jeunes avec des programmes de libre antenne. Sur la période septembre-octobre 2020, Médiamétrie estime à 34,9 % la part d’audience cumulée des radios musicales en France. Plus explicitement, cela signifie que 45 % seulement des 15-34 ans écoutent des radios musicales chaque jour en France quand la proportion était de 60 % en 2016. Parmi les musicales, certaines jouent déjà la carte du numérique pour retrouver en ligne les jeunes auditeurs perdus sur les ondes. Depuis l’été 2019, Fun Radio met à disposition ses playlists sur les sites de streaming musical. Ces derniers sont donc essentiels dans le développement de l’écoute en ligne et c’est par eux que passera le rajeunissement des audiences.

Le projet de « Salto de la radio » est de ce point de vue un moyen de mieux articuler les besoins des radios avec les impératifs des intermédiaires de l’écoute numé­rique. En effet, l’écoute numérique représente déjà, en 2020, quelque 15 % du total de l’audience de la radio en France et ce chiffre est en augmentation à mesure que se banalisent les enceintes connectées et les interfaces d’accès aux flux audio, sites de streaming ou agrégateurs. Ces tendances, ainsi que la menace de plus en plus évidente d’un déséquilibre important entre grands intermédiaires et stations isolées, ont donné un coup d’accélérateur au projet de « Salto de la radio ».

À l’été 2019, Lagardère News (Europe 1), les Indés Radios, Radio France et RTL ont lancé une société commune afin de créer une interface « simple et gratuite », accessible depuis tous les types de terminaux, du smartphone à l’enceinte connectée en passant par le poste radio connecté des automobiles. Ils ont été rejoints ensuite par RMC et NRJ. Restait alors à déterminer la nature de l’interface et son contrôle, les radios françaises ayant finalement opté pour un prestataire de service plutôt que de développer leur propre application, ce qui aurait pris du temps et coûté de l’argent. Il fallait enfin imaginer la nature de l’agrégation des flux proposés afin que certaines stations ne se retrouvent pas favorisées par rapport à d’autres. En effet, si une interface numérique commune peut s’apparenter en ligne à ce qu’est la bande FM dans l’univers analogique où l’auditeur passe d’une radio à l’autre, il n’en reste pas moins que la présentation de cette interface permet de « pousser » certains flux au détriment d’autres, notamment parce que sur internet l’offre de contenus est très large. Pour lever l’obstacle, les radios ont misé sur la personnalisation de l’affichage des flux en fonction de l’utilisateur, un moyen d’éviter d’affecter une importance relative à certaines stations par rapport à d’autres. C’est sur ces fondements que les radios françaises ont pu annoncer, le 23 novembre 2020, le lancement de l’application RadioPlayer France au printemps 2021 qui fédérera les flux de 194 radios, 700 webradios, soit l’équivalent de 88 % de l’audience totale de la radio en France.

Le nom de l’application est celui de la société, prestataire de service, qui édite déjà le service RadioPlayer dans treize pays, en Allemagne, en Belgique, au Canada ou encore aux Pays-Bas. L’initiative française copie donc des initiatives similaires en Europe. Elle bénéficie de ce fait d’une interface technique déjà développée et testée qui permet un lancement rapide, l’objectif étant d’imposer l’application RadioPlayer devant les agrégateurs de flux dans les recherches des internautes. Forte des audiences des radios françaises, forte également de son implantation dans le monde, RadioPlayer pourra aussi mieux s’imposer auprès des constructeurs automobiles afin que son application soit préinstallée dans les autoradios et négocier avec les services de streaming musical, Spotify représentant en France quelque 7,2 millions d’abonnés fin 2019 quand il n’en comptait que 1,4 million en 2014.

Enfin, les radios récupéreront les données d’utilisation de l’application, ce qui leur permettra de personnaliser progressivement l’écoute mais aussi la publicité. RadioPlayer France ne sera pas seulement un agrégateur de flux : l’application se veut aussi un distributeur de podcasts, autre domaine en fort développement pour l’écoute numérique de programmes audio puisque les cinq grands éditeurs de radio en France ont généré, en novembre 2020, environ 104 millions de téléchargements ou d’écoute en streaming de podcasts. En la matière, Radio France domine largement avec France Inter et France Culture en première et seconde position dans le classement des téléchargements, ce qui explique aussi les performances du service public radiophonique sur la cible jeune.

Les antennes de Radio France ont en effet pleinement réussi le pari du rajeunissement des audiences grâce au numérique avec une hausse de 30 % du nombre de leurs jeunes auditeurs entre 2016 et 2019. Radio France a particulièrement misé sur les réseaux sociaux. Ses radios y ont diffusé leurs émissions sous forme de podcasts tout en produisant également des podcasts natifs. Mais Radio France est une exception qui bénéficie de l’avantage de la redevance et d’une faible exposition au marché publicitaire. Les radios privées sont en effet plus réticentes à distribuer leurs podcasts sur les réseaux sociaux car elles perdraient ainsi une grande partie des données et des recettes publicitaires que leur offre leur propre application. La particularité de Radio France dans le paysage radiophonique français s’est encore traduite sur la mesure des audiences de septembre-octobre 2020 avec l’arrivée de France Inter en tête du classement des radios. La station publique passe devant RTL en termes d’audience cumulée mais également de parts d’audience : 13,3 % pour France Inter contre 12,7 % pour RTL. Finalement, cette particularité de Radio France et ses bonnes performances autorisent le service public audiovisuel à imposer progressivement ses conditions aux intermédiaires que sont les agrégateurs comme les services de streaming musical, indépendamment donc de l’application RadioPlayer.

Le 14 octobre 2020, Sybile Veil, présidente de Radio France, annonçait instaurer pour les podcasts du service public audiovisuel une chronologie des médias, c’est-à-dire une mise à disposition limitée dans le temps de ces derniers, notamment quand ils sont diffusés par des intermédiaires comme Deezer ou Spotify. Radio France est en effet un groupe public qui produit beaucoup et donc contrôle les droits des programmes qu’il diffuse. Les podcasts des émissions ne seront donc disponibles sur les services tiers qu’une semaine après diffusion pour les émissions journalières, un mois pour les émissions hebdomadaires et trois mois pour les journaux dont l’intérêt en podcast est tout relatif. Une fois ces délais passés, le seul moyen d’accéder aux podcasts des stations de Radio France sera de se rendre sur l’application de Radio France, ce qui permet au groupe de retenir dans un environnement contrôlé une audience qui a pris goût à ses programmes dans d’autres univers de diffusion. Une fois l’internaute fidélisé à l’application Radio France, des recommandations personnalisées lui seront faites et il sera incité à écouter aussi les émissions en direct. En outre, l’auditeur pourra finir de suivre en podcast une émission qu’il a commencé à écouter en direct.

Enfin, les recommandations personnalisées sont aussi un moyen de développer l’audience des podcasts natifs du groupe audiovisuel public, un format sur lequel il a très tôt misé. Radio France revendique en effet 80 millions de podcasts écoutés par mois fin 2020, une audience significative qui, en cinq ans, a été multipliée par 3,5. Le groupe souhaite rapatrier en partie cette audience sur son service, l’application Radio France représentant 5 % du total des écoutes en 2016, et 32 % en 2020 avec pour objectif de fédérer 50 % des écoutes à terme. S’ajoutent à cette chronologie des médias des obligations faites aux plateformes tierces sur le respect de l’intégrité éditoriale des contenus repris et diffusés, ainsi que sur la rémunération des ayants droit pour les programmes, autant d’exigences qui conduisent Radio France à signer des contrats avec les intermédiaires concernés. Un accord avec Deezer a été passé en octobre 2020, puis avec Spotify en novembre 2020.

De ce point de vue, Radio France illustre à sa manière l’avenir de la radio, de plus en plus imaginé dans un environnement global en ligne qui articule média en propre et partenariats avec de nouveaux services de diffusion. Mais cette exemplarité est fragile parce que les services de streaming musical misent de plus en plus sur le podcast au point d’internaliser leur production. Spotify développe ainsi son offre de podcasting afin de proposer des contenus en exclusivité en plus de son catalogue musical (voir La rem n°50-51, p.38). Le groupe a dépensé un milliard d’euros en deux ans dans le podcast, qu’il s’agisse de studios ou d’investissements technologiques pour monétiser ses nouveaux contenus. Spotify a par exemple racheté Megaphone en novembre 2020 pour 235 millions de dollars, Megaphone étant un spécialiste de la publicité numérique dédiée aux contenus audio.

Enfin, en décembre 2020, le groupe suédois a passé un partenariat avec « Harry et Meghan », couple princier en quête d’autonomie financière, pour des podcasts autour d’« histoires d’espoir et de compassion ». Le couple-star créera pour l’occasion son propre studio de podcasting, Archewell Audio. Il rejoindra dans cette démarche le couple Obama ou Kim Kardashian. Mais Spotify est de moins en moins seul sur le marché. Il doit faire face à Apple Podcast, également installé tôt sur le marché, mais aussi à des nouveaux venus aux grandes ambitions tels que Sirius XM, groupe américain de radio par satellite qui a racheté le service de podcasting Sitcher pour 300 millions de dollars en juillet 2020, ou Amazon Music qui, pour 300 millions de dollars également, se lance dans le podcast avec le rachat, le 30 décembre 2020, du studio américain Wondery, créé il y a seulement quatre ans. La prise de contrôle de ce studio permettra d’alimenter l’offre de podcasts d’Amazon Music, lancée en septembre 2020 autour de quelques exclusivités grâce à des contrats passés avec la star américaine DJ Khaled, la chanteuse Becky G. ou encore l’acteur Wil Smith.

Ce sont ces concurrences nouvelles pour les radios qui expliquent probablement pourquoi les plus grands groupes privés de radio ont demandé au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) un nouveau report, en 2022 désormais, du lancement de la radio numérique terrestre nationale en DAB+ (voir La rem n°50-51, p.35), après un premier report autorisé en juillet 2021, à la suite de la crise sanitaire. Le report du DAB+, c’est une concurrence numérique en moins à gérer pour ces groupes qui doivent se concentrer sur le développement de leur audience en ligne. Mais le DAB+ pourrait bien être aussi un moyen de revaloriser l’écoute traditionnelle au détriment de l’écoute à la demande grâce à la qualité et à l’étendue du réseau de diffusion sur le territoire.

Sources :

  • « Les radios musicales confrontées à l’essor du streaming », Alexandre Debouté, Le Figaro, 19 août 2019.
  • « Les radios à la reconquête de leur public », Marina Alcaraz, Les Echos, 28 août 2019.
  • « Les radios réfléchissent à une plateforme commune », Marina Alcaraz, Les Echos, 12 septembre 2019.
  • « RTL plaide pour la création d’un Salto de la radio », Enguérand Renault, Le Figaro, 12 septembre 2019.
  • « SiriusXM se transforme en rival direct de Spotify », Nicolas Richaud, Les Echos, 8 juillet 2020.
  • « Les stations de radio françaises veulent faire bloc dans le numérique », Nicolas Madelaine, Les Echos, 28 juillet 2020.
  • « Amazon Music se lance dans le podcast », Nicolas Richaud, Les Echos, 18 septembre 2020.
  • « Radio France instaure sa chronologie des médias pour la radio », Nicolas Madelaine, Les Echos, 16 octobre 2020.
  • « Radio France signe un accord avec Spotify sur les podcasts », Enguérand Renault, Le Figaro, 12 novembre 2020.
  • « Les radios françaises font front commun », Enguérand Renault, Le Figaro, 24 novembre 2020.
  • « Les radios unissent leurs forces dans le digital », Marina Alcaraz, Les Echos, 24 novembre 2020.
  • « Les radios musicales fragilisées par Spotify et l’information », Marina Alcaraz, Les Echos, 25 novembre 2020.
  • « En investissant dans le podcast, Amazon ajoute une corde à son arc médiatique », Chloé Woitier, Le Figaro, 4 décembre 2020.
  • « Les grandes radios demandent un nouveau report de la radio numérique terrestre », Nicolas Madelaine, Les Echos, 17 décembre 2020.
  • « Harry et Meghan signent avec Spotify et ajoutent une brique à leur empire médiatique », Caroline Sallé, Le Figaro, 17 décembre 2020.
  • « Amazon to Acquire Podcast Studio Wondery », Todd Spangler, variety.com, 30 décembre 2020.
  • « Comment Spotify a réussi à mettre les investisseurs de son côté », Nicolas Madelaine, Les Echos, 30 décembre 2020. 

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