Validation, par la CEDH, de l’interdiction de publication d’enregistrements clandestins

CEDH, 14 janvier 2021, Sté Mediapart et autres c. France, n°s 281/15 et 34445/15.

Dans un arrêt du 14 janvier 2021, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a validé l’interdiction, en référé, telle que prononcée, dans un des aspects de ladite « affaire Bettencourt », par les juridictions françaises, de la publication, par le site d’information en ligne Mediapart, d’enregistrements sonores clandestins considérés comme portant atteinte à la vie privée des personnes qui en ont été l’objet. D’une façon qui pourrait paraître assez inhabituelle, ladite Cour a fait ici prévaloir la protection de la vie privée sur la liberté d’information.

Argumentation des parties

Devant la CEDH, les requérants (la société éditrice, le directeur de la publication et un des journalistes), invoquant l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ConvEDH), ont fait valoir que l’injonction de retrait, du site d’information en ligne, des extraits des enregistrements litigieux portait atteinte à leur droit à la liberté d’expression.

Ils contestèrent « le caractère général et illimité dans le temps de l’interdiction de publier » qu’ils qualifièrent de « censure ». Ils dénoncèrent la nature disproportionnée de la sanction, « en ce qu’elle a été prononcée par un juge des référés, juge de l’urgence et du provisoire, et qu’elle est devenue définitive en l’absence de toute action engagée au fond ».

À l’inverse, et bien que reconnaissant que « la parution des articles litigieux contribuait à un débat d’intérêt général », le gouvernement français fit valoir que « l’ingérence était nécessaire dans une société démocratique » et que « la mise en balance de la liberté d’expression avec le droit au respect de la vie privée, effectuée par les juridictions internes, s’est faite dans le respect des critères établis par la jurisprudence » CEDH.

Pour le représentant des autorités françaises, « le débat d’intérêt général auquel les articles litigieux entendaient contribuer ne justifiait pas la diffusion des enregistrements alors que tant leur mode d’obtention que leur contenu violaient de manière grave la vie privée des personnes concernées ».

Appréciation de la Cour européenne

Très classiquement, la CEDH, faisant mention des dispositions nationales en vigueur, considéra que l’ingérence que constituait l’ordonnance de référé était « prévue par la loi ». Elle constata ensuite que cette ingérence poursuivait « le but légitime de protection de la réputation ou des droits d’autrui ».

S’agissant de la nécessité de l’ingérence et du « juste équilibre à ménager entre le droit au respect de la vie privée et le droit à la liberté d’expression », la Cour a rappelé que l’article 10 ConvEDH « ne garantit pas une liberté d’expres­sion sans aucune restriction, même quand il s’agit de rendre compte, dans la presse, de questions sérieuses d’intérêt général » et qu’« une personne, même connue du public, peut se prévaloir d’une espérance légitime de protection et de respect de sa vie privée ». De ce fait, elle a estimé que « les juridictions internes pouvaient légitimement conclure, dans les circonstances de l’espèce, que l’intérêt public devait s’effacer devant le droit » des intéressés « au respect de leur vie privée ».

Poursuivant que « la sensibilité des informations attentatoires à la vie privée et le caractère continu du dommage causé par l’accès aux retranscriptions écrite et audio sur le site du journal appelaient une mesure susceptible de faire cesser le trouble constaté, ce que ne permettait pas la possibilité d’obtenir des dommages et intérêts », elle a admis, « qu’une autre mesure que celle ordonnée » en référé « aurait été insuffisante pour protéger efficacement la vie privée des intéressés ».

De tout cela, la CEDH a estimé, en l’espèce, que « l’ingérence litigieuse était nécessaire dans une société démocratique et que l’injonction prononcée n’allait pas au-delà de ce qui était nécessaire pour protéger » les personnes en cause « de l’atteinte à leur droit au respect de leur vie privée ». Elle en a conclu qu’« il n’y a pas eu violation de l’article 10 de la Convention » en ce que celui-ci prévoit que les abus de la liberté d’expression peuvent être l’objet de « restrictions ou sanctions ».

Retenant ici, au nom du respect de la vie privée, que « le caractère continu du dommage causé par l’accès aux retranscriptions écrite et audio sur le site du journal appelait une mesure susceptible de faire cesser le trouble constaté », la Cour européenne paraît cependant, en cette affaire, aller à l’encontre d’un précédent arrêt du 18 mai 2004, Sté Plon c. France, n°48148/00. Elle y avait admis que, du fait de son caractère provisoire, « l’interruption de la diffusion » de l’ouvrage (Le Grand Secret), signé par celui qui fut le médecin personnel de François Mitterrand, dans les jours qui ont suivi le décès de l’ancien président de la République, ordonnée par le juge des référés, « se trouvait justifiée », mais que « le maintien de l’interdiction », par les juges du fond, « ne correspondait plus à un besoin social impérieux et s’avérait donc disproportionné aux buts poursuivis ». Elle y avait alors conclu à la violation de l’article 10 ConvEDH.

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